Écouter le culte :
Un pharisien nommé Simon, invite Jésus à manger chez lui. Un pharisien, c'est-à-dire un homme très religieux. Celui-ci nous est d'emblée sympathique. Il est accueillant, ouvert, généreux.
Tout aurait dû bien se passer pour ce repas : Jésus aurait parlé du Royaume de Dieu tout proche, de l'urgence à mettre de l'ordre dans sa vie ; de l'espérance, de la joie, de l'amour offerts...
Tout aurait dû bien se passer s'il n'y avait eu l'intrusion…
d'une femme – dans ce repas et qui est une affaire d'hommes ;
une pécheresse – parmi ces religieux imbus de pureté et de moralité ;
une femme pécheresse qui, en pleurs, se jette aux pieds de Jésus et répand sur eux du parfum.
Simon est ravagé de colère, de honte, d'incompréhension aussi, devant Jésus qui accueille cette femme avec une infinie tendresse.
« Dieu est un Dieu du présent. Comme il vous trouve il vous prend, il vous permet de venir à lui. Il ne vous demande pas ce que vous avez été, mais ce que vous êtes maintenant. »
Ce sont là les paroles d'un Maître spirituel du 13ème siècle (Maître Eckart). Elles résument bien l'attitude de Jésus, qui accueille, non pas une femme pécheresse, mais une enfant de Dieu qui souffre, pleure, et qui au sein de sa détresse, croit, espère et aime.
Jésus accueille cette femme et lui donne ce que personne d'autre ne pourrait lui donner, trois promesses : tes péchés sont pardonnés ; ta foi t'a sauvée ; va en paix.
C'est trop grand, c'est trop beau, c'est trop bon; c'en est vraiment trop pour Simon. Alors patiemment, Jésus va lui expliquer – et à nous par la même occasion – qu'entre cette femme pécheresse et lui, Simon, qu'entre cette femme pécheresse et nous tous, qui que nous soyons, il n'y a en fait pas beaucoup de différences. Tous nous sommes au même titre insolvables aux yeux de Dieu et tous nos efforts et toute notre bonne volonté n'y changeront rien.
Les dettes, les fautes, les offenses sont certes très différentes, mais qu'importe : que l'on se noie dans un mètre d'eau ou dans dix, le résultat est le même. Nous dépendons de la même grâce, du même secours, du même Sauveur, sinon nous sommes perdus.
Et c'est ici que Jésus place une toute petite phrase, qu'il nous faut saisir comme un trésor, une perle précieuse : « Le grand amour que cette femme a manifesté prouve que ses nombreux péchés ont été pardonnés. Celui à qui on pardonne peu aime peu. » (Luc 7, 47)
Nous sommes au cœur du message évangélique.
Nous sommes sur un des piliers fondamentaux de la Réforme prônée par Luther : le salut par grâce.
Certaines versions de la Bible ont traduit de manière malheureuse : « Les nombreux péchés de cette femme ont été pardonnés parce qu'elle a beaucoup aimé. »
Et combien de personnes ont souffert injustement à cause de ce petit parce que, compris comme une condition, une exigence préalable pour recevoir le pardon.
Nombreux ont cru dès lors nécessaire de multiplier les sacrifices, les dévotions, les offrandes, pour prouver leur amour ; pour mériter le pardon et l'accueil auprès de Dieu. Le résultat de cette théologie de la rétribution c'est qu'elle n'a fait qu'amplifier une bien regrettable peur de Dieu.
Va en paix dit Jésus à la femme pécheresse. Jésus lui ouvre un avenir sans peur et sans reproche. Son passé ne lui sera jamais compté comme une dette ; il ne sera jamais inscrit au passif de sa vie.
Va en paix, c'est l'acceptation qu'un Autre que nous répare ce qui est à réparer, qu'un Autre que nous efface la dette que nous ne sommes pas en mesure de régler.
Jésus, le Christ, a tout accompli pour notre salut. Il n'y a rien à y ajouter.
Ta foi t'a sauvé. Car la foi nous unit au Christ dans un échange joyeux où Christ prend sur lui notre mort, notre incapacité à bien faire, et nous donne une vie nouvelle, victorieuse et portant du fruit.
C'est l'expérience fondamentale de Luther : Dieu n'est pas un juge menaçant, mais un Père aimant. Non pas un Dieu qui exige, mais un Dieu qui donne et qui se donne.
Je vous rapporte ici l'histoire d'une enfant à qui l'on avait parlé de Judas, et de sa trahison, et de son suicide. Cette enfant eut ces mots étonnants :
« Moi, si j'avais été Judas, je me serais pendue... Je me serais pendue au cou de Jésus ! »
Merveilleuse intuition de l'enfant qui rejoint ce qu'écrivait déjà Saint-Augustin, un millénaire avant Luther : « Si tu veux fuir la colère de Dieu, cours te jeter dans ses bras ! »
Le théologien Bonhoeffer écrit : « Tu es un pécheur, un très grand pécheur, incurablement, mais tu peux aller, tel que tu es, à Dieu qui t'aime. Il te veut tel que tu es, sans que tu fasses rien, sans que tu donnes rien ; il te veut toi-même, toi seul. Réjouis-toi ! »
Je prends ici une référence littéraire : le roman de Victor Hugo « Les Misérables ».
Dans ce récit il y a un moment charnière, rappelez-vous :
Jean Valjean vient d'être libéré du bagne. Il est accueilli un soir chez un évêque qui lui annonce l'Évangile. Le lendemain des gendarmes frappent à la porte de l'évêque. Ils encadrent Jean Valjean, menotté, car dans la nuit il a volé des couverts en argent chez son hôte et il s'est enfui.
L'évêque cependant l'accueille avec tendresse et lui dit : « Mon ami, je vous avais aussi donné les chandeliers en argent. Prenez-les donc, ils sont à vous ! »
Et bien évidemment les gendarmes sont obligés de relâcher le voleur.
Jamais Jean Valjean n'oubliera cette grâce offerte. Sa vie en sera transformée : le voleur devient un homme bon, honnête et généreux.
Parce que la grâce nous est offerte au commencement de notre histoire, nous pouvons vivre l'Évangile. C'est le pardon, premier et inconditionnel de Dieu qui rend possible l'amour et ouvre la porte à tous les recommencements.
Luther écrira : « Les hommes doivent mettre leur confiance uniquement en Jésus-Christ et non dans leurs mérites ou leurs bonnes œuvres. Nous ne rejetons pas les bonnes œuvres, au contraire, nous les enseignons. Ce que nous repoussons, c'est la pensée d'y chercher le salut. »
Une ancienne sagesse dit : « Ne cherche pas à faire le bien, soit en Dieu, et le bien tombera de ta vie comme le fruit tombe de l'arbre. »
Frères et sœurs, la Bonne Nouvelle, l'Évangile, c'est que Dieu ne se résigne à perdre aucun de ses enfants. C'est pourquoi il a franchi l'abîme ; le ciel est venu sur la terre.
Dieu est venu chez les hommes. C'est cela la grâce, la grâce en Jésus-Christ.
Dieu est venu chez les hommes. Et même s'il n'est pas accueilli, et même s'il est méprisé et mis en Croix, et même s'il est enseveli et que l'on roule la pierre… il n'en reste pas moins qu'il a franchi l'abîme, et qu'il est toujours là, vivant au milieu de nous !
Dieu ne se laisse pas séparer des hommes. Voilà la grâce.
L'amour de Dieu pour l'homme est indéfectible.
Que notre vie en soit tout entière illuminée et rayonnante. Amen