Écouter le culte :
Mes amis, l’Evangile de Jésus-Christ est absolument intraitable sur un point : ce ne sont pas les calculs d’une sagesse purement humaine qui seront capables de sauver le monde, et nous avec ! Car le monde ne nous appartient pas – pas plus que nous-mêmes.
Et si vous voulez une définition, d’entrée de jeu, de ce que peut bien vouloir dire sauver, je dirai : « nous faire devenir ce que nous sommes appelés à être, en totale vérité ». La sagesse humaine est incapable de nous faire devenir complétement nous-mêmes. Seule la folie de Dieu le peut.
Le thème est classique : la folie de Dieu vaut plus que la sagesse des hommes. Mais bon sang, classique ou pas, ce thème, c’est le fondement de notre espérance. Et nous prêchons la résurrection, et la résurrection, c’est une folie.
Le duel va donc s’engager entre le moraliste et l’évangéliste. Entre la terre et le ciel. Entre Jean de la Fontaine et l’Evangile. Quant à moi, je ne suis que le ménestrel, le commentateur sportif, l’humble messager. Maintenant que le programme est donné, sans plus attendre je vais prier ma lectrice de nous lire en premier, sans doute la plus connue des fables de la Fontaine.
La Cigale et la Fourmi
La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'Oût, foi d'animal,
Intérêt et principal."
La Fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? J'en suis fort aise.
Eh bien! Dansez maintenant.
Voici une fable, La Cigale et la Fourmi, que j’ai choisie spécialement pour ceux que l’argent et le travail préoccupent et qui nous écoutent ce matin. Vous êtes nombreux et je vous salue particulièrement.
Dans un monde où l’argent, le travail, la réussite prend de plus en plus de place. Dans un monde où se creusent les disproportions et les inégalités. Un monde d’excès, de burn-out mais aussi de bien-être, de richesses, de santé. Dans ce monde paradoxal, la fable de la Cigale et la Fourmi reste d’une brûlante actualité.
Pour nos enfants et nos petits-enfants, nous souhaitons bien sûr la réussite ! Pour nous-mêmes, nous la souhaitons également ! La réussite reste une bénédiction de Dieu. Et nous, qui avons bien travaillés, nous n’aimons pas les profiteurs ni les fainéants.
Alors d’après vous, quel est le sens de cette fable ? Est-ce une critique de la cigale dépensière ? Un éloge de la fourmi prévoyante? Ou bien une critique cachée de la fourmi égoïste et avare? Voilà une bonne question !
Traditionnellement, on trouve que la morale est du côté de la fourmi travailleuse et prévoyante. Nul protestant oserait spontanément dire le contraire. On doit faire honneur aux dons que Dieu nous a donné en travaillant. Le moraliste va s’axer sur l’éloge de la fourmi qui a su travailler durant l’été pour assurer sa subsistance durant l’hiver. La cigale par contre est l’exemple à ne pas suivre. Elle n’a rien fichu durant l’été ? Eh bien qu’à cela ne tienne, elle n’aura qu’à danser pour se réchauffer. Mais ne devrait-on pas plutôt louer aussi la cigale d’avoir vécu de l’amour de Dieu et mépriser la fourmi qui est une sacrée avare ?
J’aimerais vous rappeler ces Paroles de Jésus dans l’Evangile de Matthieu : « Ne vous inquiétez donc pas en disant : Qu'allons-nous manger ? Qu'allons-nous boire ? Qu'allons-nous mettre pour nous habiller ? Votre Père qui est au ciel sait ce dont vous avez besoin. Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et Dieu vous accordera tout le reste. »
D’où ma question – oui, j’ai une question pour vous : à votre avis, qui fait la volonté de Dieu, la fourmi ou la cigale ?
L’Evangile plutôt que de donner raison à l’un en désavouant l’autre va détourner le propos : je vous l’ai dit, l’Evangile retourne la morale comme une crêpe.
On trouve dans l’Evangile de Luc au chapitre 16, une phrase de Jésus qui est extraordinaire, vous les économistes du monde, écoutez-la bien, cette phrase. Jésus dit : « Faites-vous des amis avec l’argent trompeur, de sorte qu’au jour où il viendra à manquer, ces amis vous reçoivent dans des demeures éternelles. »
Voilà une résurrection ! Se trouve cautionné par Dieu autant le jouisseur des dons qu’il reçoit que celui qui sait les donner. L’avarice ne saurait en tous cas jamais être louée. La fourmi dès lors est disqualifiée, elle qui est une avare.
Reste alors la cigale, la jouisseuse, la Marie à côté de Marthe. La cigale a chanté tout l’été, profitant des biens de Dieu, ayant confiance en la promesse « qu’à chaque jour suffit sa peine ». Mais visiblement, elle ne s’est pas fait des amis, vu qu’on lui refuse l’entrée à la bise venue. Elle n’a visiblement pas non plus fait totalement sa part. Elle est disqualifiée, elle aussi.
Tirons deux conclusions de cette fable mais à la lumière de l’Evangile : ne soyons jamais avare et sachons investir et dépenser quand il le faut, avec un brin plus de confiance et d’espérance. Dieu pourvoit, il faut le croire. Mais surtout avec nos investissements, sachons nous faire des amis, et on ne se fait rarement des amis malhonnêtement, faisons-nous des amis avec l’argent trompeur comme ça au jour où il viendra à manquer, ils seront là pour nous aimer et nous soutenir.
Voilà chers amis, ce n’est pas moi qui le dis, c’est bien l’Evangile de Jésus-Christ ! Amen.
Le Loup et l’Agneau
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Une autre fable, celle-ci pour tous les parents ou grands-parents qui côtoient des enfants doux comme des agneaux. Le Loup et l’Agneau : une fable intéressante car son langage est aussi celui de la Bible, dans laquelle on trouve souvent l’image du loup et de l’agneau.
Cet agneau qui se désaltère dans l’eau vive pourchassé par ce loup habile est presqu’une fresque de l’Eglise sur laquelle on verrait un chrétien désaltéré par l’eau vive du baptême être persécuté par la morale des loups du monde prêts à le dévorer. Alors, quelle est la morale de cette fable ? Eh bien oui, cette fable met en évidence une réalité cruelle à portée universelle : dans ce monde, le faible est la proie du fort. L’Eglise agneau est appelée à disparaître sous les crocs acérés de la sécularisation. Le petit enfant agneau est appelé à se faire dévorer par les assauts du mal.
Le moraliste relèvera l’importance de ne surtout pas se trouver dans la position de l’agneau. Mieux vaut honnêtement la position du loup, par définition, car il gagne toujours à la fin : mieux vaut être fort que faible. Ou comme le dit ce merveilleux adage que j’aime beaucoup : mieux vaut être riche et en bonne santé que pauvre et malade.
C’est la morale du monde ! Il faut être un gagnant, un battant. Et c’est encore une fois ce qu’on espère pour son enfant. Nous l’éduquerons dans cette voie, comme jadis La Fontaine éduqua ainsi le fils du roi. Personne n’aimerait pas voir son enfant être le souffre-douleur, la risée du préau. Défends-toi, lui dira-t-on, sois fort. Ne te laisse pas faire.
Le moraliste, c’est vrai, montrera quand même que le loup n’agit pas selon une bonne morale car il devrait, lui qui est fort, faire du bien au plus faible. Mais ce n’est pas ainsi que ça se passe, malheureusement. Le propre de la morale est d’établir un dualisme net entre le bien et le mal, entre le fort et le faible. Mais l’Evangile de la résurrection n’est jamais d’accord avec cette dualité. Car forces et faiblesses sont en nous et elles sont toutes deux des dons de Dieu. L’agneau comme le loup est un don de Dieu.
Jésus préfère donc une autre vision du monde qui dit: « Bienheureux les pauvres en eux-mêmes car le royaume des cieux est à eux. » (Matthieu 5, 1)
La faiblesse peut être une grande force, et le meurtre d’un faible (sur une croix par exemple) peut avoir une bien plus grande portée que celui d’un puissant. Le vrai sens de la foi, c’est de rappeler ceci. La faiblesse peut être la plus grande force. La non-violence, le plus fort des combats. Le pardon, le plus grand défi posé à la haine et au mal. On préférerait voir le loup se faire vaincre par l’agneau : les loups, on ne les aime pas. Pourquoi sont-ils alors quand même notre idéal.
Pour l’Evangile du Christ, chers amis : c’est l’Agneau immolé, le vainqueur du monde, et non les loups puissants et sans vergogne. Amen.
Allez, chère lectrice, lis-nous encore une fable pour le plaisir : la célèbre fable du Lièvre et de la Tortue.
Le Lièvre et la Tortue
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. - Sitôt ? Etes-vous sage ?
Repartit l'animal léger.
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore.
- Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mit près du but les enjeux :
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.
Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ;
J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D'où vient le vent, il laisse la Tortue
Aller son train de Sénateur.
Elle part, elle s'évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s'amuse à toute autre chose
Qu'à la gageure. A la fin quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit
Furent vains : la Tortue arriva la première.
Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi, l'emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?
On dit souvent de l’Eglise qu’elle a un train de retard. Elle court trop lentement. Elle fait la tortue mal adaptée au monde du cyber-XXIe siècle. Ou dans une autre critique on dit que les autorités ecclésiales sont comme des lièvres avec plusieurs longueurs d’avance, alors que les paroisses traînent derrière et sont perpétuellement en lendemain de deuil. Attendez, crient-ils, on est encore en train d’encaisser les décisions d’il y a dix ans ! Alors pour nous, Eglise, quelle est la morale de cette histoire ?
Le moraliste dira qu’il s’agit là d’un pied de nez aux fanfarons de toutes sortes. Ceux qui se vantent et qui se croient les meilleurs peuvent être surpris par ce qu’ils n’auraient pas vu venir, à savoir les prévoyants, les discrets, les forces tranquilles. Cela rassurera ceux qui veulent d’une Eglise témoin nostalgique d’un monde révolu. L’Eglise n’a pas à être rapide, déterminée, active car sa patience – vertu parmi les vertus – la sauvera.
La moralité de la fable est bonne, si ce n’est qu’il s’agit d’un pari ! Car je vais vous dire : la vraie fanfaronne de l’histoire, c’est la tortue et non le lièvre car elle tend un piège au lièvre et en plus elle lui fait la morale à la fin : « Et que serait-ce si vous portiez une maison ? » Lui dit-elle dédaigneuse. C’est finalement très « petit » de piéger ainsi ce pauvre lièvre juste pour lui faire la leçon. On aurait attendu de la tortue qu’elle ne fasse pas de provocation vantarde, surtout sur le terrain de la vitesse.
Le moraliste encore une fois voit le monde avec des œillères s’il estime que les faiseurs de leçons sont des exemples à suivre. Jésus disait : vous qui voyez la paille dans l’œil du voisin, ne voyez-vous pas la poutre qui est dans le vôtre ?
Finalement la morale de cette fable pour les témoins de la résurrection sera plutôt la suivante : on ne reprendra plus le lièvre à fanfaronner, par contre on reprendra la tortue à faire la leçon. Le gagnant, c’est donc le lièvre car il s’améliorera et, pour cela, il mérite nos louanges. Car, est loué celui qui peut apprendre de ses erreurs.
Eglise, tu es dans la course ! Eglise, ne fanfaronne pas de ta lenteur ! Eglise, prend aussi exemple sur le lièvre, son erreur l’a fait grandir, il en sera de même pour toi. Et comme Paul le disait : reste dans la course et concours pour le prix. Oui, Eglise, tu dois courir toi aussi même si tu es lente. Tu as assez brouté, tu t’es assez reposée, tu t’es assez assise sur tes lauriers. Maintenant cours et va de l’avant vers le prix !
Voilà, chers amis, quelques exemples du mauvais sort que l’Evangile réserve aux fables des moralistes.
Toutes les paroles que Jésus a enseignées ont conduits gentiment, lentement, les puissants du monde à le faire mourir. C’est à cause de son enseignement, qui retourne comme une crêpe les valeurs morales, religieuses, politiques de son temps, en leur répondant toujours par l’endroit où l’on s’y attend le moins. C’est à cause de cet enseignement – inspiré de la folle sagesse de Dieu - qu’il sera, ce Christ, cloué sur une croix. Et c’est ce merveilleux échec qui, 2000 ans après, demeure au fondement de notre succès.
Amen.