Écouter le culte :
1ère lecture : Luc 6, 27-31
L’enseignement de Jésus à la foule n’est ni angélique, ni va t’en guerre. Jésus reconnaît la force de destruction des conflits humains et propose un chemin innovant. Cet enseignement, Luc nous l’a heureusement transmis, vous le trouverez au milieu du très long chapitre 6 de son évangile :
« Je vous dis à vous qui m’écoutez : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous injurient. A qui te frappe sur la joue, présente encore l’autre, et à qui te prends ton manteau ne refuse pas non plus ta tunique. A qui te demande donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas. Et comme vous voulez que les hommes vous fassent, faites-leur de même. »
2e lecture : 1 Corinthiens 2, 1-5 et 13-15
La communauté de Corinthe est en conflit. Les uns ont désigné le prédicateur Apollos comme leur champion, d’autres ne vantent que l’apôtre Paul comme chef, certains se réclament de Céphas – bref, les rivalités sont exacerbées. Fondateur de l’église chrétienne de Corinthe, Paul est alerté des profondes divisions qui affaiblissent grandement la communauté. Comment va-t-il s’y prendre pour résoudre ce grave problème de leadership ? Quels vont être ses arguments et sa méthode ? Ecoutez plutôt le début du chapitre 2 de la 1e lettre aux Corinthiens :
« Moi-même, quand je suis venu chez vous, frères, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le mystère de Dieu. Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ et Jésus Christ crucifié. Aussi ai-je été devant vous faible, craintif et tout tremblant ; ma parole et ma prédication n’avaient rien du discours persuasif de la sagesse, mais elle était une démonstration faite par la puissance de l’Esprit, afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. (…) L’homme laissé à sa seule nature n’accepte pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu. C’est une folie pour lui, il ne peut le comprendre, car c’est spirituellement qu’on en juge. L’homme spirituel juge de tout et n’est lui-même jugé par personne. »
Le refus d’être l’homme providentiel
La communauté de Corinthe est en conflit, sa survie est en jeu ; pourtant, l’apôtre Paul renonce volontairement à persuader ses interlocuteurs par l’art du bien parler. La position de Paul est originale : il refuse d’utiliser le prestige de la parole pour convaincre les Corinthiens de s’unir plutôt que de s’affronter dans des conflits stériles. Il refuse de se faire valoir et de démontrer qu’il a raison. Paul initie ses interlocuteurs à la pédagogie de la paix. Avec cette attitude, l’apôtre est en complet décalage avec son temps, un temps où l’honneur est l’une des valeurs dominantes. Les orateurs antiques se devaient de parler avec assurance, sûrs d’eux-mêmes pour faire bondir l’audimat de l’époque et asseoir leur crédibilité. Ici Paul renonce même à faire valoir son érudition – et il avait de quoi en remontrer à plus d’un – pour convaincre les différentes parties en présence de se réconcilier.
Aujourd’hui, une telle attitude passe au mieux pour de la mollesse. Les discours musclés sont à la mode. N’y a-t-il pas, en nous, ce besoin de « l’homme fort », de l’homme qui sait « taper sur la table » et imposer ses vues ? Ne sommes-nous pas fascinés par « l’homme providentiel » - vous l’avez remarqué, c’est toujours un homme dont il s’agit, le héros qui s’occupe de tout et nous permet de nous reposer en paix ?
Comment comprendre cette propension de nous en remettre, de confier notre destinée à quelqu’un d’autre qui en prendrait la responsabilité ? Cette attitude n’a-t-elle pas fait le lit des dictatures les plus féroces et donné un pouvoir de vie et de mort à des dirigeants religieux sans scrupule ?
Souvenez-vous de la secte du Temple solaire : suivre les ordres, surtout ne plus devoir penser, ne plus subir les affres du choix, éviter les tourments du doute, ne plus craindre de se tromper et de devoir en assumer les conséquences. Bref, s’en remettre à un chef, un vrai, qui sait plus et mieux que nous, qui se charge de tout – quel soulagement !
Paul refuse d’endosser le rôle de l’homme providentiel, il renonce même à utiliser son savoir-faire, son habilité, son influence pour entraîner les Corinthiens dans la bonne cause de la réconciliation. Comment comprendre ce choix de Paul ? Dans quel but renoncer à son pouvoir de conviction alors que la communauté est en péril ? Et pourquoi aborder ce conflit en parlant de sa propre faiblesse ?
Le physicien Albert Einstein avait déjà pressenti l’origine de bien des maux : « Le problème - disait-il - ce n’est pas l’énergie atomique, c’est le cœur de l’homme »
La force au cœur de la fragilité.
Pour donner une issue positive au conflit qui menace la communauté, Paul en appelle à un changement complet de logique : « J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ et Jésus Christ crucifié ! »
A la croix, Jésus de Nazareth nous apprend que Dieu jamais ne règne par la violence. Jésus nous montre un autre chemin. Il a choisi d’aller vers ce qui l’attend. Nous sommes invités à abandonner une foi puérile que seule une réalité facile parvient à satisfaire. La croix nous éveille à une foi adulte au prix de l’insouciance et de nuits parfois difficiles, où nous appelons l’aube de tous nos vœux. Le chemin qu’ouvre Jésus est celui de l’acceptation, acceptation de nos limites, et aussi de notre impuissance. A Gethsémané, il a combattu intérieurement toute une nuit, il a prié dans l’angoisse – un combat nécessaire pour accepter d’affronter sans arme ce qui l’attend. La prière le rend prêt à entrer dans la nuit, à accepter l’échec total de sa mission, la honte, le mépris, le mensonge, l’amour transformé en haine… la mort infâme.
« La faiblesse peut être une grande force, et le meurtre d’un faible – sur une croix, par exemple – peut avoir une bien plus grande portée que celui d’un puissant. Le vrai sens de la foi, c’est de rappeler ceci. La faiblesse peut être la plus grande force. La non-violence, le plus fort des combats. Le pardon, le plus grand défi posé à la haine et au mal » nous rappelait dimanche passé mon collègue le pasteur Yves Bourquin.
La violence a dressé la croix. La force reçue par le Christ a changé le sens de cette croix : « ma vie on ne me la prend pas, je la donne ! » La croix est le lieu de la plus grande fragilité, le lieu aussi où se révèle la force véritable.
« Il y a une fissure en toute chose, … c’est par là que passe la lumière. »
En rappelant à ses interlocuteurs qu’il s’est montré « faible, craintif, tout tremblant » devant eux, Paul convoque les Corinthiens devant l’instance ultime, devant Dieu et son action, devant son mystère. Il ne s’agit pas d’Apollos, de Céphas ou de l’apôtre, fondateur de la communauté, mais d’une rencontre avec Dieu, le Dieu de la croix, événement qui échappe à la maîtrise de Paul comme à la nôtre.
Paul a fait lui-même l’expérience de la faiblesse. Il a vu sa prière non exaucée lors qu’il demandait d’être guéri de l’écharde dans sa chair. Il a été amené à réaliser qu’au creux même de cette fragilité, dans cette fissure qui le diminue, réside une force capable de le porter. Dans son corps désarmé la puissance du Christ vient se déployer : « C’est quand je suis faible que je suis fort ! » Paul est fort de la force du Christ qui vient en lui ! La croix est au cœur d’une pédagogie de la paix. Quand cette vulnérabilité est acceptée, l’autre n’est plus un rival à museler ou un faire-valoir à manipuler, mais un prochain à aimer.
« Il y a une fissure en toute chose, » en toi et en moi, « c’est par là que passe la lumière. »
C’est ainsi que bien des chrétiens du 1er siècle ont été – malgré tout – des faiseurs de paix, disent les sociologues, en refusant de venger les maux qu’ils subissaient, en aimant leurs ennemis, répondant à la haine « en tendant l’autre joue ». Certains ont perdu la vie en raison de cette attitude courageuse qui a contribué à apaiser les relations dans un système clanique de vendettas incessantes. Cette pacification a favorisé les échanges commerciaux et a présidé à un développement économique sans précédent de la région de l’Attique. La démocratie grecque est ainsi née du refus d’un mode de vie marqué par la loi du plus fort au profit d’une vision nouvelle de la société.
Etre faiseurs de paix
En septembre, le journal Le Temps faisait le portrait de différentes personnes qu’il nommait les « faiseurs de paix », des participants à la conférence de paix organisée régulièrement à Genève par l’ONU. Quel bonheur de découvrir dans son journal favori ces personnes et comment elles travaillent à desserrer le carcan de la haine et inverser la spirale de la violence dans leur pays. Vous avez peut-être lu ces portraits.
Un américain, par exemple, Christian Picciolini raconte comment il est devenu lui-même un suprémaciste blanc. « Je n’avais aucune affinité avec l’idéologie d’extrême droite. Mes parents sont des immigrés italiens arrivés dans les années 60. Ils ont dû travailler très dur, 24h sur 24 et 7 jours sur 7. J’étais en colère. J’avais le sentiment d’être abandonné ». Adolescent, il rencontre le 1er néonazi skinhead des Etats-Unis, Clark Martell, qui a su lui donner un cadre, une famille. « M’accorder de l’importance a suffi pour que je bascule, ajoute-il. Pour la première fois, je me sentais puissant ! » Aujourd’hui, il a fondé une association pour aider ceux qui veulent quitter des mouvements extrémistes, et organise des rencontres par exemple entre un antisémite et un survivant de l’Holocauste pour désamorcer la haine. Oui, il tente de réparer le passé.
« Il y a une fissure en toute chose… c’est par là que passe la lumière. »
Après 53 ans et plus de 8 millions de victimes, la paix s’est enfin conclue en Colombie. Les Forces armées de libération de la Colombie, les FARC, abandonnent leurs armes. Un homme a joué un rôle clé dans cette paix, un policier qui a passé une partie de sa vie à lutter contre les ennemis de l’Etat. Il a pourtant fait partie de la délégation qui a ardemment et secrètement négocié pendant plus de deux ans avec l’ennemi, puis obtenu la paix. « La confiance a commencé à se tisser après des centaines d’heures de face-à-face » raconte-t-il. Pico Malaver lance alors une initiative qui s’avéra déterminante. Il crée une unité de police pour l’unification de la paix, 3'000 policiers qui garantiront la sécurité du processus. Aujourd’hui, cette unité protège certains anciens dirigeants des FARC. « Les FARC sont devenus des citoyens comme les autres. C’est à nous, police nationale, de protéger leurs droits et leur liberté. »
« Il y a une fissure en toute chose… c’est par là que passe la lumière. »
Nous connaissons aujourd’hui la corrélation entre la peur et l’agressivité tant au niveau des individus que des société, de sorte que chacun de nous qui prend l’initiative de céder, désarme la peur de son adversaire et l’arrache à l’escalade de l’agressivité. Voilà la pédagogie de la paix.
Cette force de réconciliation, nous en avons particulièrement besoin aujourd’hui. Cette force spirituelle qui refuse d’alimenter la spirale de la violence et de la peur, de polariser les débats, et de désigner les ennemis. Cette force qui permet de privilégier une recherche de rencontre‚ d’apaisement, de dialogue. Cette capacité à transformer les antagonismes inévitables en complémentarités. Cette force qui nous permet d’accepter simplement de ne pas avoir raison et qui nous donne le courage de faire le premier pas. Accepter sa propre fragilité, cette fissure dans nos vies, permet de travailler à plus de justice tout en respectant l’humanité des hommes injustes.
Conclusion
« Paix aux hommes de mauvaises volonté et qu’un terme soit mis à toute vengeance, tout appel au châtiment et à la rétribution. Les atrocités excèdent toute mesure (…)
C’est pourquoi, Seigneur Dieu, ne pèse pas leurs souffrances sur la balance de la justice et ne l’impute pas à leurs bourreaux, leur demandant compte de l’horreur, mais use d’un autre principe. Impute plutôt aux exécuteurs, aux délateurs, aux traîtres, à tous les malfaisants, le courage et la force d’âme des autres, leur endurance, leur dignité, leur lutte intérieure constante et leur invincible espérance (…)
Que tout cela compte devant Toi, Dieu, pour le pardon de la faute pour que revive la justice. Que compte tout le bien et non le mal. Que pour le souvenir de nos ennemis, nous cessions d’être leurs victimes, leur cauchemar et leur terreur fantomatique, mais leur secours pour qu’ils renoncent à leur fureur (…) ».
Trouvée dans les archives d’un camp de concentration nazi, cette prière juive se termine par une bénédiction :
« Et quand tout cela sera fini, donne-nous de vivre, hommes parmi les hommes, et que la paix revienne sur notre pauvre terre sur les hommes de bonne volonté et qu’elle vienne aussi sur tous les autres ! »
Amen
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Témoignage de Christine Landry
Puissance, pouvoir, autorité, fragilité : de quoi s’agit-il, pour moi, au quotidien ? Je suis dans la puissance – voire la toute-puissance – si je prends le pouvoir pour écraser, manipuler, même parfois avec une bonne intention. Dieu m’en garde ! J’exerce une autorité lorsque j’exerce un pouvoir qui m’a été donné pour le service d’autres personnes et qui demande à être assumé avec discernement : en tant qu’enseignant-e face à des élèves, en tant que parent face à ses enfants.
Quant à la fragilité…
Certaines personnes semblent visiblement en situation de fragilité : des personnes « différentes » selon des critères médicaux ou sociaux, comme les personnes porteuses d’un handicap, par exemple, ou celles qui sont dans un dénuement, une pauvreté extrêmes, ou encore déracinées.
Je suis maman de 4 enfants adoptés maintenant adultes, avec plusieurs handicaps. Ces personnes ont dû apprendre, et continuent d’apprendre – elles n’ont pas vraiment d’autre « choix », à « être », à « parler » en incluant, assumant leur situation, leurs fragilités, ce qui leur confère une forme d’authenticité, de crédibilité en leur donnant une autorité, une force particulières.
Et pour moi, pour chacun d’entre nous, qui ne nous sentons pas particulièrement marginalisés, ni spécialement fragiles, serait-ce aussi une voie pour être debout dans sa vie ? Lorsque je suis régulièrement à l’écoute du Christ dans mes profondeurs, comme décentrée de moi-même, de mes attentes, je peux petit à petit me positionner différemment face à une autre personne, sans prendre appui sur ce qui est fort et puissant en moi, mon savoir, mes certitudes.
Car par ces tête-à-tête, plutôt ces cœur-à-cœur, mes fragilités – eh oui, j’en ai, comme chacun, et quel cadeau de pouvoir les rencontrer – mes fragilités vont être mieux intégrées à ma personne, mes peurs apaisées et mon cœur pacifié par rapport à mes « ennemis intérieurs » et à des adversaires extérieurs. A ce moment-là je suis rendue capable, dans la rencontre, de cette autorité vraie, de cette force nouvelle qui permettent de devenir – un peu – « faiseur de paix ».
J’en fais l’expérience lors d’un conflit avec un proche, qui m’accuse pour la xième fois de ne pas le comprendre et argumente en énumérant toutes les fois où cela a été le cas. Je n’ai pas la même lecture des situations que lui, mais je suis absolument convaincue qu’il souffre et je sens que je ne peux pas répondre par des arguments – ce que j’avais essayé par le passé, et cela n’avait servi qu’à envenimer la situation. J’ai pu choisir, cette fois-là, de lâcher prise et de laisser dire sans répondre, mais aussi sans me dérober. Cette personne qui m’avait dit, à ce moment-là, qu’elle ne voulait plus me voir m’a rappelée une semaine plus tard.
J’ai compris que cette fois-là, lors de notre discussion, elle s’était sentie, respectée, acceptée, et peut-être même entendue, alors que je n’avais rien dit. Et j’ai aussi compris que je ne peux rencontrer vraiment l’autre, c’est-à-dire avec empathie, qu’avec ma zone vulnérable pacifiée, sinon je suis sur la défensive.