Écouter le culte :
1. Laisser pousser l’ivraie.
Aujourd’hui, dit-on, il existe trois religions :
- celle du cœur, l’on voudrait que tous soient heureux ;
- celle de la raison, l’on réfléchit comme si l’être humain était parfait ;
- celle des « tripes », quand les tripes sont en jeu, l’on oublie les deux autres !
Qu’on l’écoute avec les « tripes », avec du cœur ou sous l’angle de la raison, cette parabole de l’ivraie et du bon grain est sans cesse démentie par les jardiniers amateurs que certains d’entre nous sommes. Avec les beaux jours, nous arrachons avec conviction les mauvaises herbes qui ne cessent d’envahir les plates-bandes de nos jardins.
Quel jardinier, quel agriculteur pourrait appliquer ce qui est ici prescrit ? Laisser pousser l’ivraie avec le bon grain n’est pas raisonnable. Pourtant, cette parabole nous y invite.
De quoi s’agi-t-il ?
Il s’agit très clairement d’accepter la coexistence du bien et du mal dans le monde, et aussi en nous-mêmes…une coexistence prolongée. «Les biens et les maux sont consubstantiels à notre vie» constatait l’écrivain Michel de Montaigne.
Cette parabole a façonné notre manière de penser, notamment en politique.
«Toute démocratie postule l’existence du bien et du mal. Aussi est-elle obligée de consulter, de comprendre et de convaincre. Il s’agit même de transformer les antagonismes, inévitables dans tout groupement humain, en complémentarités ». Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais Tvetan Todorov, écrivain bulgare, aujourd’hui directeur de recherche au CNRS de Paris, dans un livre magistral intitulé « Mémoire du mal Tentation du bien ». « Contrairement aux totalitarismes de tout acabit, ajoute ce chercheur, la démocratie postule que le mal ne peut être extirpé une fois pour toutes, qu’il n’y a pas de solutions globales et définitives aux conflits humains».
Le mal, la maladie, le malheur sont étroitement mêlés à notre existence, à nos bonheurs, à nos réussites.
Je pense à l’un de mes collègues, âgé d’un peu plus de quarante ans, père d’enfants encore jeunes. Son médecin lui annonce qu’il est atteint d’un cancer qui allait d’ailleurs l’emporter quelques mois plus tard… Dans le journal de la paroisse, il écrit quelques lignes pour simplement annoncer sa maladie à ses paroissiens. Le titre de son article m’a frappée : « Pourquoi pas moi ? »
2. Prendre en compte le besoin d’absolu.
Je ne sais si vous êtes comme moi, mais de temps en temps, j’aimerais bien pouvoir anéantir les « méchants » : biffer les dictateurs sanguinaires, les profiteurs sans scrupules, ceux qui exploitent sans vergogne leur prochain, qui polluent la planète sans état d’âme… Ah ! pouvoir tout nettoyer, comme le commissaire Callaghan dans la série télévisée de Clint Eastwood : pouvoir effacer le mal et le malheur de notre terre : quel bonheur, quel soulagement. Qui n’est pas épris de pureté ? Qui n’aimerait pas se débarrasser une fois pour tout de l’ivraie, faire table rase pour réaliser ses rêves de bonheur et de fraternité universelle ?
Car vous et moi ne vivons pas seulement de confort, de facilités et de loisirs, vous le savez bien. Nous avons besoin de ce que les biens matériels ne nous procurent pas. Nous voulons que notre vie ait un sens, qu’un contact s’établisse entre nous et l’Absolu.
«Les mouvements intégristes - politiques ou religieux - prétendent satisfaire ces besoins. C’est pour cette raison que les personnes concernées les ont librement choisis ». Il est dommageable d’ignorer ce besoin de pureté, d’absolu, de transcendance. Au contraire, il est nécessaire de lui donner un cadre.
C’est une des raisons de l’attachement des réformés à la séparation des pouvoirs, à la laïcité de l’Etat, une laïcité qui donne un cadre au religieux et ne le refoule pas dans la sphère privée.
Le pire totalitarisme n’est-il pas celui qui se dissimule derrière un masque de vertu, qui s’exerce au nom du Bien, au nom de Dieu ?
3. Faire le tri, l’affaire de Dieu.
Le récit de l’évangile de Matthieu invite les zélateurs, les assoiffés de pureté de tous bords de baisser pavillon. Le tri définitif entre le bien et le mal ne nous appartient pas. Il aura lieu à la moisson, à la fin des temps, et il est l’œuvre de Dieu.
A l’époque où il a été écrit, ce texte combattait ce qu’il est coutume d’appeler «l’impatience messianique». Les Pharisiens représentaient ce courant de pensée du temps de Jésus. Ils attendaient deux purifications immédiates : celle du monde - par la conversion ou l’écrasement des infidèles - et la purification d’Israël par un jugement équitable. Rien de nouveau sous le soleil !
Cette tentation d’une société pure, d’une Eglise pure, d’un être humain pur n’est jamais loin. Elle s’exprime dans l’histoire sous des formes diverses. – « Tous ceux qui ont voulu établir le royaume de Dieu sur terre n’ont fait qu’y ériger l’enfer ! » rappelait André Philipp, ministre du général de Gaulle, évoquant la tristement célèbre «peste brune» qui a déferlé sur l’Europe voici plus de septante ans.
4. Tentation du manichéisme.
Les religions comme les régimes qui se veulent purificateurs remettent à l’ordre du jour le manichéisme selon lequel le monde procède de deux principes, un bon et un mauvais ; ce dernier devant être anéanti à tout prix. Nous nous souvenons de la fameuse guerre « contre l’axe du mal » dont on ne cesse aujourd’hui de récolter les fruits empoisonnés…
Pour les manichéistes, il y a le « nous » de ceux qui sont sur la bonne voie et le « eux » qui désignent ces autres. Une méthode excellente, qui en tout temps a fait ses preuves, c’est d’étiqueter les ennemis et les réduire à une catégorie. Vous le savez bien : les Juifs ou les Palestiniens, les Américains ou les Russes, les étrangers, les musulmans, les politiciens de gauche ou ceux de droite… Il y a « nous » et il y a « eux ».
Nous sommes invités, au contraire, à dialoguer avec ceux qui ne pensent pas comme nous, avec ceux qui ont d’autres convictions, d’autres croyances.
En prison, Nelson Mandela a appris à voir l’homme derrière le gardien qui se comportait parfois brutalement avec lui. Il a appris la langue de ses ennemis politiques, l’afrikaner, pour mieux les rejoindre et les comprendre. Pendant ses 28 années d’incarcération, sa colère contre les Blancs s’est apaisée, en revanche sa haine contre le système de l’apartheid s’est accrue. A sa libération, Nelson Mandela voulait que les tous les Africains du Sud voient qu’il aimait jusqu’à ses ennemis tout en haïssant le système qui avait fait naître son engagement et l’avait conduit en prison. «Pour faire la paix avec un ennemi, écrit-il, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé». C’est à ce prix que la guerre civile a été évitée en Afrique du Sud.
4. Tentation du relativisme
Comme paroissiens, comme citoyens responsables, nous sommes soumis à une double tentation : celle de vouloir installer le paradis dans la paroisse du Joran ou en Suisse romande (on n’en est pas loin !) et la tentation du découragement devant l’importance des problèmes et de l’ivraie qui ne cessent d’envahir le monde et nos vies ! Après des siècles de christianisme, comment se fait-il que le monde ne soit pas meilleur ? Cette interrogation vous a sans doute au moins effleurés. La réponse à cette question pourrait décevoir les plus intellectuels d’entre nous. Un ennemi - nous dit le texte biblique – a semé, de nuit, l’ivraie. Rien de plus. Il n’y aura pas d’explications supplémentaires à la lancinante question du mal sous toutes ses formes. Seule nous est faite l’invitation à reconnaître qu’un mystère habite le monde, nous-mêmes et toute personne que nous côtoyons. Ce mystère c’est que le bon grain pousse, et avec lui l’ivraie. Le mystère, c’est que le bien et le mal sont étroitement mêlés ; arracher l’un c’est condamner l’autre, définitivement.
Durant ce temps de préparation à Vendredi-Saint et Pâques, le chemin parcouru par Jésus-Christ est exemplaire. Fêté lors de son entrée triomphale à Jérusalem, aux Rameaux, il est quelques jours plus tard rejeté, condamné et crucifié : «Mon Royaume – dit-il - n’est pas de ce monde !» Ce crucifié, Dieu le ressuscitera au matin de Pâques. La vie éclate au milieu même de la mort ; dans les situations qui paraissent irrémédiablement perdues surgit l’espérance, un jour le bien, le bonheur et la vie triompheront ! La bonne nouvelle de ce matin, ce n’est non pas la disparition du mal sur cette terre, mais bien que le bon grain pousse. Il est nécessaire de donner des chances au bon grain, sans cesse et inlassablement !
5. Un chemin pour prendre des décisions…
Face à ceux qui prétendent apporter LA solution, s’appuyant sur une sorte de scientisme qui prétendrait tout comprendre et tout connaître du monde…
Face à ceux qui disposent de la vérité…
Face à ceux qui savent toujours où aller et que faire, qui ne souhaitent surtout pas s’embarrasser de discussions et pour qui la tolérance et la concertation n’ont pas de rôle à jouer…
Le courage et la fermeté sont nécessaires ! et avec eux la patience ! La patience qui rigoureusement en appelle au meilleur de l’humain, tout en acceptant sa part d’ombre. La patience qui croit au pluralisme, celle qui inlassablement reconstruit, celle qui accepte ce qui ne peut être changé. A cette œuvre-là, toutes les bonnes volontés sont requises.
Devant les choix qui nous attendent, au moment de prendre des décisions importantes, dans l’attente d’un diagnostic médical… utilisons notre raison et aussi notre cœur, ne négligeons pas nos émotions, mais surtout souvenons-nous de la parabole de l’ivraie et du bon grain, ne faisons de rien une Religion. N’érigeons rien en Absolu, sinon Dieu qui a voulu ce monde et qui l’aime !
Amen !
Confession de foi
Dans les Eglises réformées, la confession de foi est liée à une époque, une situation historique et personnelle. Ce matin, nous disons notre foi avec les mots du pasteur Dietrich Bonhoeffer, opposant au nazisme, mort au camp de concentration de Flossenbürg quelques jours avant capitulation de l’Allemagne.
« Je crois que Dieu peut et veut faire naître le bien à partir de tout, même le mal extrême.
Aussi a-t-il besoin d’hommes pour lesquels "toutes choses concourent au bien".
Je crois que Dieu veut nous donner chaque fois que nous nous trouvons dans une situation difficile la force de résistance dont nous avons besoin.
Mais il ne la donne pas d’avance, afin que nous ne comptions pas sur nous-mêmes, mais sur lui seul.
Dans cette certitude, toute peur de l’avenir devrait être surmontée.
Je crois que nos fautes et nos erreurs ne sont pas vaines et qu’il n’est pas plus difficile à Dieu d’en venir à bout que de nos prétendues bonnes actions.
Je crois que Dieu n’est pas une fatalité hors du temps, mais qu’il attend nos prières sincères et nos actions responsables et qu’il y répond.»
Amen