Écouter le culte :
« Jésus chasse du temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes ainsi que les changeurs qui s’y étaient installés » (Jean 2 : 13-14)
Frères et sœurs, chers auditeurs, cet épisode impétueux de la vie de Jésus a défrayé la chronique de son époque. C’est tellement vrai que les quatre Evangiles en parlent tous. C’est rare en effet qu’un fait soit rapporté par les quatre Évangiles à la fois. Les Evangiles synoptiques, c’est-à-dire les Evangiles de Marc, Matthieu et Luc, le placent juste avant la Passion, alors que celui de Jean le situe au début, juste après le miracle à Cana de l’eau changée en vin. Et comme nous le savons ce premier miracle de Jésus préfigure sa mort et résurrection. À cet endroit-là, cet événement a une importance capitale : il donne la tonalité à tout cet Evangile. Il faut dire que cette histoire n’est pas un fait divers et mérite d’être relue dans notre contexte postmoderne. Mais avant d’aller plus loin, il faut bien comprendre ce qui s’est passé.
Pourquoi Jésus, lui le « doux et humble de cœur », réagit-il si durement en ce lieu précis ? En effet, là se trouve la question de la signification et même de l’utilité du temple. À quoi cet édifice sert-il ? Pourquoi a-t-il été conçu ?
Frères et sœurs, chers auditeurs, précisons tout d’abord ce que nous savons déjà : le temple de Jérusalem comprenait deux grandes parties : à l’extérieur du temple, il y avait une immense façade, une cour, le parvis des Gentils (il s’agit des païens, des non-Juifs). Et c’est là que beaucoup de gens se rassemblaient pour traiter leurs affaires, écouter les docteurs de la Loi, acheter des animaux pour les sacrifices, changer de la monnaie, etc.
Ensuite, c’est le temple proprement dit, c’est-à-dire l’édifice du temple. Cet édifice était compartimenté : il y avait le lieu saint avec d’un côté la cour des hommes et de l’autre, celle des femmes. Nous rappelons que seuls les Juifs pouvaient y pénétrer.
Quant au lieu très saint, personne pouvait y pénétrer, sauf le grand-prêtre, une fois par an.
Ce qui nous intéresse ici et nous questionne, c’est le fait que Jésus chasse du temple les marchands et les changeurs. Mais, qu’est-ce qui justifie la présence des marchands et des changeurs sur le parvis du temple?
En effet, les marchands dont il est question ici étaient installés sur le parvis des Gentils. Ils assuraient le commerce des animaux destinés aux sacrifices : les bœufs, les brebis et les colombes. On peut comprendre que ce sont eux qui ont vendu à Joseph et Marie les deux petites colombes pour la présentation de Jésus au temple. La présence des marchands n’était donc pas facultative. Ils ont toujours été importants dans la société des hommes. Le pain et le vin pour le culte du dimanche proviennent bien de nos marchands actuels, même s’ils ne le vendent pas aux portes de notre temple de Chêne ! Soit dit, les marchands sont indispensables pour que puisse exister le culte. À l’époque de Jésus également, il fallait bien qu’ils fournissent les bêtes qu’on offrait en sacrifice.
Comme les gens venaient souvent de loin pour les fêtes religieuses, trois fois par an, cette pratique rendait les sacrifices plus commodes. Cela facilitait la vie des pèlerins : ils pouvaient donc trouver sur place les animaux pour les sacrifices. Cependant, cela posait un problème, parce que ces animaux, il fallait bien les payer. Or, la monnaie romaine qui était en circulation dès lors portait l’effigie de César. Et comme on le sait, César avait le statut d’un dieu. Pour les Juifs, c'était une « monnaie idolâtre », elle ne pouvait en aucun cas pénétrer dans le temple. C’est ce qui explique la présence des changeurs. Ces derniers, bien entendu, prenaient une commission sur toutes les transactions. Ainsi, ils étaient utiles pour que la « monnaie impie » n’entre pas dans le lieu sacré. Quel sacrilège dirait-on !
Mais en quoi, alors, cela devient-il un problème pour Jésus ? Alors que visiblement le trafic des marchands comme celui des changeurs rendait possible le culte des sacrifices. En plus de cela, ils sont juste sur le parvis et non dans le lieu saint. Où est donc le problème ?
Certainement, il y a des raisons pour que Jésus soit dans cet état. Peu importe que l’action prophétique de Jésus se soit exercée sur le parvis, accessible à tous, et non pas dans le sanctuaire lui-même, il n’en reste pas moins qu’elle a pour cible le symbole même de l’unité du peuple. Le temple de Jérusalem était le lieu où se manifestait la gloire de Dieu. Rappelons-nous la vision du prophète Ezéchiel : « Et voici que la gloire du Seigneur remplissait le Temple […] La maison d’Israël ne souillera plus mon saint nom ». (Ez 43 : 4-6).
Frères et sœurs, chers auditeurs, par son geste, Jésus s’attaque d’une part au caractère discriminatoire du temple : ce temple qui est pourtant appelé « Demeure de Dieu parmi les hommes ». Ce lieu est donc censé être ouvert à tous et toutes, sans aucune forme de discrimination. Mais Jésus constate que ce lieu devient un lieu de commerce et de marginalisation, c’est-à-dire réservé aux seuls Juifs et pas à d’autres peuples représentés ici par des Gentils et les païens.
On le voit bien, il y avait trop de barrières, d’obstacles qui empêchaient que tout le monde ait accès à ce lieu d’intimité et à ce lieu de rencontre avec Dieu ; et cela sans distinction ni de sexe, ni de religion, ni d’origine. On pourrait ainsi se demander, et à juste titre : où est la place des Gentils, des païens, bref, des non-Juifs dans ce lieu de prière ?
Un ensemble de choses a mis Jésus en colère, quand il dit : « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. » On peut constater, par ailleurs, que dans la Bible, Dieu se met en colère chaque fois que la dignité humaine est bafouée : exemple de la femme adultère (Jean 8 : 1-11). C’est bien le cas dans cet épisode : la dignité de certains enfants de Dieu est bafouée. Ils ne sont pas reconnus par d’autres comme des ayants droit à la maison de prière. Tout simplement parce qu’ils sont non-Juifs. Mais quelle souffrance aussi bien pour les marginalisés que pour le Père ?
On peut aisément imaginer que dans une famille, des frères et sœurs déshérités souffrent terriblement et ressentent un sentiment d’abandon. On peut aussi comprendre que le temple ne répondait pas ou plus à sa vocation : celle d’accueillir tout le monde sans distinction, afin de rencontrer Dieu, sans un autre intermédiaire que Jésus. Les paroles de l’Apôtre résonnent encore en nous, quand il dit qu’ « il n’y a plus ni Juifs ni Grecs… » (Gal 3 : 28).
« Ne faites de la maison de mon Père un lieu de trafic » : voilà le problème. On peut comprendre que la colère de Jésus n’avait pas pour but d’éloigner des marchands inutiles, mais, en agissant ainsi, il s’en prenait aussi au culte lui-même. En renversant les comptoirs, renversait-il la religion elle-même ? Détruisait-il le temple ?
Chers frères et sœurs, chers auditeurs, par ce geste, Jésus envoie deux messages forts : Premièrement, il s’attaque à la religion-même : il met ainsi fin aux sacrifices anciens et prêche une réforme.
Deuxièmement, dorénavant, par sa mort et sa résurrection, il est le seul intermédiaire entre Dieu et les hommes. Jésus a été envoyé par le Père pour sauver les Gentils, les païens, les Juifs, pour sauver toute l’humanité. Plus de sacrifices animaliers, c’est lui qui devient le sacrifice, la rançon pour toute l’humanité. En parlant du temple qu’il détruira et qu’il construira en trois jours, Jésus nous parle, nous révèle de son identité et de sa mission.
Qu’avons-nous à retenir ce cet épisode pour notre foi ?
Frères et sœurs, chers auditeurs, Jésus réagit ainsi pour la gloire de son Père. Fidèle à son identité et à sa mission et cela dans un environnement religieux et politique qui lui est hostile, Jésus n’hésite pas à prendre le risque nécessaire afin d’accomplir la volonté de son Père, de notre Père, qu’aucune brebis ne soit perdue, quel qu’en soit le prix. Et le prix à payer c’est sa mort, mais il sera ressuscité par le Père trois jours après.
Frères et sœurs, chers auditeurs, ne sommes-nous pas appelés à nous laisser interpeller par ce courage de Jésus pour témoigner de notre foi, aujourd’hui, dans nos différents lieux de vie ? Demandons au Seigneur de nous aider à vaincre nos peurs ; quel que soit notre âge, notre sexe, notre rang social ou notre situation particulière. Le courage de témoigner de notre foi, c’est peut-être un des enseignements à retenir de cet épisode.
Dans notre société post-moderne, ce n’est pas toujours facile d’être chrétien et de témoigner de notre foi, au risque parfois d’être marginalisé, exclu, de perdre certains privilèges et avantages sociaux ; voire d’être tué – c’est le cas malheureusement de nos frères et sœurs coptes par exemple. Il nous faut du courage et de la conviction. Cela peut se faire individuellement ou collectivement. Individuellement comme l’a fait par exemple saint François d’Assise ou Martin Luther, chacun à son époque.
C’est le cas des hommes et des femmes qui aujourd’hui encore prennent le risque d’accueillir leurs frères et sœurs immigrés au risque d’être poursuivis par la justice et même de perdre leur statut social. Jésus ne dit-il pas que le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ? (Marc 2,27). Puisque nous sommes à Genève, cité de Jean Calvin, on peut citer bien entendu les autorités genevoises avec la « Campagne papyrus ».
Cet engagement frères et sœurs, chers auditeurs, peut être également collectif, comme le font certaines associations de la défense des droits humanitaires, notamment « Action du Carême et Pain pour le prochain ». En dénonçant toute forme d’inégalité, de pauvreté, mais en promouvant surtout l’esprit de partage et de solidarité.
Être témoin du Christ c’est aussi être avec les autres et aller à leur rencontre dans le respect et la dignité sans aucune forme de discrimination. C’est la tâche que l’EPG nous a confiée au sein du mouvement « TEAG » (Témoigner ensemble à Genève ) qui regroupe en son sein des églises issues de la migration ou de la diversité, et celles dites historiques dont l’EPG fait partie.
Nous allons à la rencontre de ces Églises afin d’apprendre à se connaître, à identifier et reconnaître les richesses de chacune d’elles : c’est le charisme qui caractérise chacune d’elles et qui les différencient des autres. Et tout cela avec une seule finalité : témoigner de notre foi commune sur le canton de Genève où nous sommes implantées et ses alentours, tout en rendant ainsi visible l’Église qui est le Corps du Christ là où nous sommes. Car l’union fait la force.
Convaincues de la pertinence de ce ministère dans un univers religieux qui est pleine mutation, les autorités prennent le risque d’être incomprises et d’attirer certains désenchantements et des critiques incommodantes. Notre Seigneur fait figure d’autorité et ne laisse aucune place à l’ambiguïté au sujet du sens qu’il a de sa mission. Peut-on comprendre que la prochaine visite du pape François à Genève en juin s’inscrit dans la promotion du dialogue œcuménique et le signe d’églises marchant pour ensemble au nom du Christ ?
Apprenons donc de Jésus le sens du geste courageux et de l’absolue fidélité à la vérité de notre foi. À notre époque (et sans doute celle des temps passés), où la peur et les appréhensions ont souvent eu le dessus, puissions-nous retrouver la ferveur de nos convictions chrétiennes et laisser la force et le feu de l’Esprit nous emporter vers quelque puissant témoignage aux couleurs de Pâques et du Ressuscité.
Amen