Que reste-t-il du Crucifié pour nous?

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Écouter le culte :

« Ils se sont partagé mes habits, et ils ont tiré au sort ma tunique. » (Jn 19 : 24 ; Ps. 22: 19) Voilà ce que firent les soldats.

« L’Eglise doit accepter d’être dépouillée pour renaître », témoigne le théologien Timothy Radcliffe. Et il ajoute : « A l’approche de sa mort, Jésus a été dépouillé de beaucoup de choses. Il n’était plus entouré de partisans et d’admirateurs. Il a été privé de ses disciples qui l’ont renié et ont fui. Il a été finalement dépouillé de ses vêtements – comme nous venons de l’entendre – et laissé nu sur la croix. Tout ceci – conclut-il – a ouvert la voie au don inimaginable de la résurrection »

Je ne sais pas ce que vous en pensez, chers amies et amis, mais pour ma part, cela me fait peur d’être dépouillé, même si c’est dans une perspective heureuse de résurrection !

En effet, que nous reste-t-il, quand on nous prend tout ? A commencer par des êtres chers, comme dans l’attentat de Carcassonne. Que nous reste-t-il quand nous devons vivre avec très peu de moyens, survivre comme en Syrie ? Ceux qui ont des fins de mois difficiles, même dans notre magnifique région, savent l’angoisse d’ouvrir leur boîte à lettres, d’y trouver de nouvelles factures. Et que nous reste-t-il quand nous sommes dépouillés de notre réputation et que des amis nous tournent le dos ?

Si Jésus était crucifié aujourd’hui, ne le serait-il pas par notre indifférence et nos critiques ? Les disciples ont eu peur d’être dépouillés comme leur maître, ils ont fui. C’est humain d’avoir peur de perdre, non seulement nos certitudes, mais aussi nos forces physiques, psychiques à cause de la maladie, d’un accident ou de la vieillesse. Peur de perdre les amis qui disparaissent avec l’âge. Notre vie, aura-t-elle alors encore du sens ?

Par contre, quel cadeau d’oser croire que nos dépouillements peuvent aussi nous ouvrir à un nouveau courage d’exister, inspiré à la croix, soutenu par « le don inimaginable de la résurrection » , du Ressuscité dans nos cœurs !

Une dynamique de vie germe, en effet, à partir de nos dépouillements. Dépouillés peut-être, mais plus jamais seuls. Dépouillés, mais aimés. A partir des blessures, des ruptures, et même des deuils, la vie peut reprendre le dessus, renaître, se transformer, celle de l’Eglise aussi.

Il y a quelques dimanches, juste avant que le culte ne commence, une personne est arrivée dans cette église. Je l’ai saluée. Mais quand elle a vu que ce matin-là nous n’étions qu’une petite trentaine, elle m’a dit : « Oh il n’y a pas assez de monde, je m’en vais ! »

« C’est quand je suis faible que je suis fort » témoigne Paul aux Corinthiens (2 Cor. 12 :10). Et il leur dit même qu’il se réjouit de ses faiblesses. Quand je suis faible avec le crucifié, dépouillé avec lui, alors étonnamment je suis fort. Quand mon église, loin d’être dépouillée est fragilisée, je n’ai pas peur. Je ne la fuis point. Je continue de l’aimer !

Voyez justement au pied de la croix cet humble commencement d’Eglise : à peine quelques soldats qui ne réalisent pas le sens de leur partage; et encore moins que ce dépouillement donne raison au passage de l’Ecriture qui déclare : « Ils se sont partagé mes habits et ils ont tiré au sort ma tunique. » (Ps. 22 : 19)
L’Eglise ne commence pas dans l’euphorie d’un miracle, mais par le dépouillement de la vie, par une exécution. Tout commence à renaître fragilement dans le dépouillement d’un roi renié des siens, vidé de lui-même, pour nous faire toute la place.

Ce partage d’habits au pied de la croix annonce comme un signe de grâce. Les mêmes soldats qui ont dépouillé Jésus partagent entre eux quelque chose d’intime de lui: ses habits. Ils tirent au sort sa tunique, d’une seule pièce – unie comme devrait être notre communion dans la foi. Cette tunique sans couture me fait penser à notre capacité à aimer autrui d’une seule pièce, sans retenue et sans mettre de côté ce qui dépasse les bornes.
Vendredi-Saint : Dieu aime d’une seule pièce. Il sauve d’un seul amour notre humanité fragmentée par la violence, le mépris des différences, le dépouillement des uns et la concentration des richesses des autres.

Chers amies, amis, chers auditrices, auditeurs en Christ, depuis que Dieu en son fils a dépouillé la mort elle-même, ce qu’il nous reste c’est un partage imprenable d’amour et de vie !
Je me regarde. Je vous regarde. Nous ne sommes pas vraiment dépouillés, ni nus, mais habillés. Nous sommes déjà pleins de réconfort, de la joie d’appartenir à une communauté. Nous sommes remplis du courage d’exister avec Christ à nos côtés. Cependant, je voudrais avoir une pensée pour ceux d’entre vous que le dépouillement décourage, au point de vous sentir dépossédés, dépouillés même de Dieu. Ceux parmi vous qui se battent avec des ennuis, des pressions, des hauts et des bas de moral, avec la perte du désir de vivre ou de leur mémoire.

Tous ces dépouillements humains, le Crucifié les habite avec nous. Mais il a besoin de nous pour être présents aux croix des autres, à leur douleur. Même ceux qui ont « fait une croix sur nous » depuis longtemps, nos prières les préparent à entrevoir un jour du changement : l’inimaginable résurrection de nos liens.

Comment entrevoir cette lumière au bout du tunnel ? Si ce n’est en entrant dans ce grand lâcher-prise qui est aussi un dépouillement. En libérant de l’espace dans nos esprits surinformés, comme un disque dur dont toute la mémoire serait occupée. En lâchant prise, pour faire place au don inimaginable du Ressuscité dans notre humanité, à sa semence d’éternité en nous.

Dans le récit de Jean, trois paroles de Jésus en croix rassurent notre humanité jusqu’en ces derniers retranchements.
• « Voici ton fils mère… voici ta mère » (Jn 19 : 27), dit Jésus. Nous confier les uns aux autres nous rend plus humains. Nous débrouiller tout seul nous prive d’aller au bout de notre humanité.
• « J’ai soif » (Jn 19 : 28), ajoute Jésus. Une éponge vinaigrée lui est tendue au bout d’une perche. Jésus, l’eau vive, meurt sans reconnaissance de sa soif. Jésus nous aide à rester humains, à nous laisser dépouiller du besoin de reconnaissance des autres, à nous former ensemble à la confiance.
• « Tout est achevé » (Jn 19 : 30), dit en dernier lieu Jésus, accomplissant sa mission d’amour, remettant son Esprit au Père et aux siens.
Ce qu’il nous reste, quand tout est fini, quand nous fermons les yeux des êtres chers qui ont partagé notre vie, ce qu’il nous reste et ce que Dieu sauve, c’est notre humanité : la colère, la douleur qui nous sidère, la peine à réaliser ce qui nous arrive, la peur d’être seuls, notre tristesse. Mais aussi la consolation des autres. Ces liens qu’on pleure, Dieu les sauve ! Même dépouillés de tout, l’amour reste.

« En Jésus-Christ, rien ne peut nous en séparer même pas la mort », écrira Paul aux Romains (8 : 38).

« Devant ce qui se passe dans le monde », écrit Roland de Pury, « Dieu ne garde pas les bras croisés, il garde ses bras en croix. »

Sœurs et frères de Jésus le Christ, ce qui nous est offert ce matin au pied de sa croix, notre richesse : rester humains les uns pour les autres, mettre en valeur cette humanité que Dieu sauve.

Notre boulot, comme les soldats au pied de la croix : partager entre nous, mais aussi plus loin que dans ce culte et même aujourd’hui qu’à la radio, partager ce qu’il nous reste de ce Vendredi-Saint. En apparence, pas grand-chose, si ce ne sont les habits d’un Crucifié et sa tunique. En vérité, tellement davantage, quand notre partage fait montre de quelle femme et de quel homme unique nous sommes appelés à devenir.

Dépouillés mais revêtus du Crucifié, Dieu nous ouvre au don inimaginable de résurrection.

Amen

En Jésus-Christ crucifié, Dieu consent à notre humanité jusqu’au bout. Mais que reste-t-il de notre confiance en lui dans nos ruptures, nos deuils, nos découragements ou encore devant la vulnérabilité de son Eglise? Dans le récit de la passion selon saint Jean, trois paroles de Jésus en croix donnent le don à notre espérance: « Femme, voici ton fils… voici ta mère », « J’ai soif » et « Tout est achevé ». Des paroles qui invitent à retrouver la communion avec les autres, à oser demander leur aide, à consentir à un amour complet du Seigneur pour nous qui nous sauve de l’isolement. Ce n’est pas par le succès et la réussite que l’Eglise grandit, mais par la croix, par notre présence confiante au coeur des ruptures et des fragilités.

Détails

Avec la participation de
Bernard Bolay, Chantal Carrard, Rosemarie Kocher Chappuis et Paul de Micheli
Orgue
Pierre-Laurent Haesler
Musique
Isaline Dupraz et Marie Lipp, soprani, Michèle Paillard à la viole de gambe et Pierre-Laurent Haesler au clavecin