Écouter le culte :
Chers amies et amis,
Sœurs et frères dans le Christ,
On entend souvent dire, comme une vérité établie, que les églises se vident, voire que les églises sont vides.
Soit, admettons. Ne discutons pas ici et maintenant ce qui pour l’opinion publique semble une évidence.
Soit, admettons. Et on peut honnêtement et humblement faire le constat qu’une certaine forme d’Eglise réformée est mourante ou déjà morte. Elle n’est plus au milieu du village, elle n’a plus socialement le poids d’antan, ses cultes sont souvent désertés par les jeunes générations et par les autres et la population protestante diminue à une vitesse alarmante.
Soit, admettons. Et cela interroge l’avenir de l’Eglise. Que devient-elle dans un monde en mutation ? Comment peut-elle, comment doit-elle muer à son tour ?
Soit, admettons. Les églises sont vides… comme l’était un tombeau un lendemain de sabbat à Jérusalem.
Il se pourrait, la comparaison est audacieuse ou impertinente, que nos églises et nos temples ressemblent à des tombeaux. Il se pourrait que nos églises et nos temples ne soient plus que les signes et les vestiges d’un glorieux passé auquel on voudrait encore croire, que l’on voudrait encore espérer.
Et comme le tombeau vide, les églises vides peuvent faire l’objet de plusieurs lectures et interprétations. Elles peuvent susciter différentes attitudes.
Il y a d’abord Marie de Magdala, qui voyant le tombeau ouvert et l’absence du corps, s’en va en courant vers Pierre et l’ami de Jésus communiquer son désarroi : « Ils ont enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons où on l’a mis ! »
Qu’allait-elle faire au tombeau ? Faire mémoire ? Rendre hommage à Jésus en prenant soin de son corps ? Se retrouver près de lui, silencieusement ? Pleurer la perte d’un passé et la fin d’une aventure ? L’évangéliste ne le dit pas. Mais il dit son désarroi, sa course folle, son besoin d’aide et d’en référer à ceux qui pour elle ont autorité.
Dans le tombeau, il ne reste que les bandelettes à terre et le linge à part dans un autre lieu. Il ne reste que les signes de la mort et de sa défaite. Les signes d’un passé dépassé.
L’essentiel est ailleurs, mais Marie ne le voit pas. Ou pas encore… Elle ne peut imaginer le vide comme une promesse. Pour l’instant…
Devant une Eglise qui change et qui doit changer, qui n’est plus comme avant, qui ne sera plus comme avant, qui n’occupe plus le même espace dans la société, la panique est possible. Et l’angoisse ! Et la nostalgie !
Et comme Marie, je peux exprimer mon désarroi : « Mon Eglise réformée, où est-elle ? Où l’a-t-on mise ? Qu’est-elle devenue ? Qui a vidé nos églises et nos temples ? »
Et comme Marie, je peux me tourner vers les responsables et attendre d’eux les réponses. Et comme Marie, je peux ne voir que les signes d’une absence sans discerner que l’essentiel est ailleurs, que l’essentiel est à venir, qu’il ne faut plus l’attendre là où on le cherche.
Il y a Pierre ensuite, qui semble le chef des disciples, et qui avec l’ami de Jésus court au tombeau. Il y a urgence, et comme responsable, il se sent concerné par ce qui arrive.
Mais remarquons juste au passage qu’il est dépassé par la génération nouvelle.
Devant le tombeau vide, il ne dit rien. Il ne fait rien. Ce n’est pas que la nouvelle génération qui le dépasse, mais bien l’événement de Pâques. Le tombeau vide le prive de paroles et d’action.
Devant les églises vides, et comme pasteur, je peux bien partager la perplexité de Pierre. Pressé par l’urgence et la responsabilité de rendre compte, courir à perdre haleine, sans réponse, être déboussolé, dépossédé de tout pouvoir d’agir, ne trouvant aucune explication définitive, être dépassé par les nouvelles générations qui vont plus vite et autrement. Je peux, comme Pierre, rester silencieux, dubitatif, ne sachant que dire ni que faire.
Il y a enfin l’ami de Jésus, qui s’il dépasse Pierre, sait lui reconnaître une primauté. Il n’entre qu’après lui dans le tombeau.
Il voit et il fait confiance. Qu’a-t-il compris ? Qu’a-t-il pensé ? L’évangéliste n’en dit rien. Il dit seulement la confiance de l’ami de Jésus bien qu’avec Pierre il ne connaissait pas l’Ecriture selon laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts. Il fait confiance, sans comprendre ce qui se passe, mais croyant que justement, l’essentiel est ailleurs.
Ainsi sa foi, sa confiance, précède le savoir. L’expérience du tombeau vide le conduit à la confiance et ensuite, ensuite seulement, l’Ecriture lui sera connue et confirmera sa confiance.
Devant les églises vides, je peux à la suite de l’ami de Jésus, faire confiance. Faire confiance sans savoir. Sans savoir ce qu’il adviendra dans la suite. Faire confiance que l’histoire de l’Eglise réformée ne s’arrête pas là, du moins sous sa forme actuelle, comme l’histoire de Jésus ne s’arrêtait pas là mais s’est poursuivie autrement.
Ou encore, car l’Eglise, réformée ou non, n’est pas l’essentiel, faire confiance que le message de l’Evangile, dont l’Eglise réformée n’est qu’une servante parmi d’autres, se répandra encore et encore.
Faire confiance que si une certaine Eglise doit passer par la mort, c’est pour ressusciter autrement, dans une forme nouvelle, tout à la fois semblable et différente, au point qu’au premier coup d’œil il sera difficile de la reconnaître.
Il est possible, pour ne pas dire nécessaire, pour demeurer servante de l’Evangile et témoin de la résurrection, que l’Eglise réformée passe par une mue d’importance. Pour que le message toujours nouveau de la croix et de la résurrection puisse être entendu dans un monde en pleine mutation et pour lequel nos églises et nos temples semblent des musées, où l’on parle une langue ancienne.
Mes amies et mes amis, devant les églises vides, devant mon Eglise réformée inquiète et inquiétée, je sais que je passe tour à tour de l’angoisse à la perplexité, de la perplexité à la confiance, de la confiance à l’angoisse, de l’angoisse à la perplexité, de la perplexité à la confiance… J’apprends ainsi, au jour le jour, à prendre soin des Marie, Pierre et ami de Jésus qui sont en moi. Sans blâmer l’une ou l’autre. Mais écoutant ce qu’ils ont à me dire, sur ce que je crois essentiel et qui peut-être ne l’est pas, sur ma peine à laisser aller ce qui peut, ce qui doit s’effacer ou disparaître, sur la confiance que j’éprouve ou que je n’éprouve pas.
Au jour le jour, j’apprends à prendre soin des Marie, Pierre et ami de Jésus autour de moi, de leurs inquiétudes, de leur perplexité silencieuse, de leur confiance.
Aujourd’hui, malgré la perplexité et l’angoisse, je crois possible de lire dans les églises vides un appel à faire Église autrement. Oserai-je dire même que les églises vides sont signes d’espérance, l’essentiel étant ailleurs qui nous contraint à imaginer l’Église autre ? Faire Église autrement, oui, mais comment?
La plainte n’est pas inutile, mais elle ne conduit à rien si elle nous enferme dans le passé. Elle dit pour le moins l’écho et le choc de la perte, du mal subi par la disparition, du dérangement occasionné. On peut l’écouter.
La perplexité n’est pas inutile, mais elle ne conduit à rien si elle nous paralyse. Elle dit pour le moins la perte de maîtrise et l’ignorance quant à ce qu’il est nécessaire de faire et la difficulté à les accueillir les deux. On peut l’écouter.
La confiance, elle, ose le constat de la perte et assume la perte de maîtrise et l’ignorance. Devant la mort, elle reconnaît qu’il n’y a que Dieu qui fait vivre et mourir, mourir et vivre. Elle confesse que le salut, non pas de l’Eglise, mais de la mission de l’Eglise, de la transmission de l’Evangile, ne repose pas sur l’agitation de l’Eglise, ses efforts et ses restructurations, mais sur Dieu qui suscite ce qui n’existe pas, qui ressuscite ce qui est mort !
Dieu suscitera une Église nouvelle pour que l’heureuse annonce, comme au commencement, ne cesse d’être proclamée.
En ce dimanche de Pâques, souvenons-nous que le Vivant a construit son Eglise sur un tombeau vide. Alors construire une Eglise sur des temples vides ne lui fait pas peur !
Amen !