Écouter le culte :
Introduction à la lecture
Le récit biblique d'aujourd'hui est celui d'un drame affreux : c'est l'épisode de Caïn et Abel. Deux frères, et l’un deviendra le meurtrier de l'autre. Il s'agit de violence, de violence insensée.
Mais il s'agit aussi d'autre chose. Il s'agit de l’être humain. Il s'agit de son Créateur, Dieu. Il s’agit de leur rapport.
Écoutons maintenant ce récit – écoutons ce qui est dit, mais cherchons aussi ce qui n'est pas dit, ce qu'il faut deviner, ce qui se cache dans les silences du récit.
(Lecture de Genèse 4, 1-7 et 8-16)
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Prédication
Chers Amis,
À première vue, le récit est extrêmement simple. Adam et Ève conçoivent Caïn et Abel, puis ils disparaissent de la scène. Le reste se joue entre Caïn, Abel et Dieu.
Ce qui nous pose une première question : Qui nous raconte cette histoire ? Qui est le témoin ? Est-ce l'un des protagonistes ? Ou y a-t-il un quatrième personnage, quelqu’un qui voit la scène du dehors et qui nous la relate ?
On nous dit que Caïn et Abel préparent tous les deux une offrande pour Dieu : Caïn une offrande végétale, Abel une offrande de viande. On nous dit que Dieu apprécie l'offrande de Abel, mais qu'il se détourne de celle de Caïn.
D’où la deuxième question : Comment Caïn le sait-il ?
La phrase du narrateur inconnu, c'est : « Le Seigneur tourna son regard vers Abel et son offrande, mais il détourna son regard de Caïn et de son offrande. »
Encore une fois : Comment Caïn le sait-il ?
Au passage : tout paraît ici une affaire de regard, de face tournée ou détournée, de visage ouvert ou abattu. Mais vous savez comme moi qu'il n'est pas toujours simple d'interpréter le regard de quelqu'un. Quant à interpréter le regard de Dieu, et savoir s'il tourne ce regard vers nous ou pas…
« Le Seigneur tourna son regard vers Abel et son offrande, il le détourna de Caïn et de son offrande. » Je m'interroge aussi sur ce « et ». Que l’offrande plaise ou pas à Dieu, est-ce en rapport avec la nature de l'offrande ? Ou avec celui qui l’effectue ? Je peux très bien comprendre que Dieu préfère l’odeur du barbecue à celle de la soupe aux légumes, mais qui dit que cela signifie aussi que Dieu préfère Abel à Caïn ?
Et si l'histoire ne nous donnait que le point de vue du survivant, Caïn ? Et si Caïn c'était trompé sur le fait que Dieu se détourne de lui ? Car c'est de ça qu’il s'agit ! Du sentiment d'être rejeté par Dieu.
Caïn est irrité. Il a le visage abattu. Chez nous, on dirait qu'il fait la gueule. En Asie, on dirait qu'il a perdu la face. Toujours est-il qu'il est blessé et ça se voit sur son visage. Tellement blessé qu'il semble ne pas remarquer que Dieu vient lui parler, à lui, personnellement.
Dieu n'a pas détourné son regard. Ou peut-être juste un instant – mais maintenant, Dieu est entièrement là pour Caïn. Il lui parle, il lui propose de relever son visage, d'agir bien. Il l'avertit du risque de céder au mal. Et Caïn semble ignorer cette présence et ces paroles.
Pourquoi Caïn en reste-t-il à sa première impression d'être rejeté par Dieu ? Pourquoi ne voit-il pas et n'entend-il pas Dieu qui lui parle ?
C'est un mystère qui n'a pas de réponse. C'est le ministère de la violence qui déborde et devant laquelle même Dieu semble impuissant… à moins que Dieu ne choisisse de laisser l'humain libre, coûte que coûte ! Ça aussi, le récit ne le dit pas. Sans doute parce que c'est un mystère à répétition. Parce que l'histoire humaine est remplie de ces débordements insensés. Les petites guerres dans les familles, les grandes guerres entre les peuples, toutes les deux aussi destructrices à leur échelle.
Car c'est la vie qui est en jeu ! Caïn, qui se croit victime d'une injustice, ce sent maintenant le droit d'être injuste à son tour. Et dans son aveuglement, il tue celui qu’il voit comme un rival. Il le tue et c'est si facile ! Il le tue et ça tient en trois lettres. Et c'est irréparable, pas moyen de revenir en arrière. De ne pas l'avoir vraiment voulu ne change rien. De n'avoir pas mesuré les conséquences non plus. Abel est mort. Caïn est devenu un meurtrier. Rien ne sera jamais plus comme avant.
Et pourtant… Et pourtant, Dieu le créateur de nos vies, Dieu est encore là ! Il n'abandonne pas celui parmi les deux fils qui reste, malgré le crime que ce fils a commis. Dieu n’abandonne pas Caïn. Bien sûr, Caïn devra assumer les conséquences de son crime. Il ne mourra pas, ce qui est déjà une grâce. Mais c’est en quelque sorte le sol qui va se révolter; le sol qui a bu le sang de Abel, ce sol va désormais refuser sa force à Caïn. Caïn le cultivateur se voit privé de sa ressource, de son métier. Pour lui, le sol est devenu stérile. Caïn en est réduit à vivre d’expédients, à gauche et à droite.
C’est là que Caïn prend peur. Il a peur d’être tué à son tour. Car quand on a fait le mal, on voit le mal partout. On vit avec la peur. Qui a tué, vit avec la peur d’être tué ! Dieu n'abandonne pas Caïn. Il va le protéger, comme il protègera tant de fautifs parmi nos ancêtres.
Et c'est comme si l'histoire biblique se plaisait à nous montrer combien de nos ancêtres ont commis l'irréparable ou failli le commettre. Pensez à Abraham avec Isaac, à David avec le mari de Bethsabée, et avec David, à tous les rois d’Israël coupables de meurtres ! Pensez au prophète Élie qui croit juste de massacrer les prophètes de Baal ! Aux frères de Joseph qui l'ont vendu ! Pensez à Judas qui a livré Jésus-Christ !
Mais le message de la répétition de ces récits sanglants, ce n’est pas que nous sommes des descendants de criminels : c’est que nous n’existons que par grâce, toujours à nouveau. Et que c’est cette grâce qui à chaque fois permet que l’histoire continue, malgré la faute, malgré le drame, malgré l’échec.
Et s’il y a quelque chose à garder de l'épisode de Caïn et Abel, c'est bien que Dieu ne nous laisse pas tomber, même quand nous nous détournons de lui.
Et si Dieu a quelque chose à nous dire, c'est bien de relever nos visages, de ne pas nous laisser vexer par les circonstances de la vie, mais de regarder à lui, à sa grâce, pour non seulement ne pas commettre l'irréparable, mais à son appel, pour faire le bien.
Amen