Écouter le culte :
Témoignage de Stéphanie Chablais-Rey : son vécu autour de la notion de résistance
(Introduction de Benjamin Corbaz)
Stéphanie nous parle de sa vie comme avec cette image qu’elle m’a soufflée : c’est comme si elle était en train de planter un clou et le marteau disparaît. Elle, par différents moyens, essaie de planter ce clou, sans résultat. Et là, Dieu lui donne une pince, mais que faire avec cette pince ? En essayant de faire quelque chose, cela tord le clou. Donc elle ne peut plus planter le clou qui est fichu, que faire ? Et là, finalement, elle se dit qu’elle peut l’utiliser en l’état et y accrocher quelque chose de beau, comme un tableau. Dieu n’abandonne pas, il transforme nos faiblesses et permet d’aller au bout. Merci Stéphanie de nous le rappeler. Je te passe la parole.
(Stéphanie Chablais-Rey)
Que veut dire pour moi résister? Nous avons la chance d’habiter un pays où nous sommes libres de nos croyances. Nous n’avons pas à nous cacher et lutter comme dans certain pays. Par contre cela n’empêche pas que notre foi soit mise à l’épreuve
Voici une petite partie de mon histoire....
Il y a un peu plus de 30 ans, j’avais alors 10 ans. On me diagnostiquait un cancer dont le pronostique était mauvais. Dans mon souvenir, il était clair que j’allais me battre et que Dieu était à mes côtés. Grâce aux prières de la famille, de l’église et également au travail des médecins, la guérison fut prononcée 10 ans après. Quel soulagement!
Il y a environ 12 ans, ma santé a commencé à se détériorer. Rien de bien grave, mais suffisamment pour que je commence à consulter. Évidement les médecins ne trouvent rien si ce n’est une formule sanguine qui n’est pas complètement dans les normes. Puis j’ai commencé à avoir des symptômes de plus en plus conséquents : de la fièvre, des douleurs cardiaques, des maux de tête bizarres, une fatigue anormale, jusqu’à l’arrêt de travail.
Les médecins ne trouvent toujours rien… jusqu’à ce que j’aille à une conférence en Bulgarie dans le cadre du « Cancer et l’enfant », et là, devant moi sur l’écran, tous mes symptômes voire plus. Le médecin qui parle nous présente les effets secondaires à long terme des chimiothérapies et radiothérapies. A ce moment là, dans ma tête, beaucoup d’émotions, de la joie, de la colère, de l’incompréhension.
Retour à la maison : je fais quoi de tout ça maintenant? J’en veux à Dieu! « Je croyais que tu m’avais guérie! C’est injuste, comment je vais m’occuper de mes enfants, de mon mari, de ma maison? » Puis j’en veux au médecin...
Je ne suis pas quelqu’un qui se laisse abattre. Une fois la colère et les larmes passées, je prends le taureau par les cornes, tant au niveau médical qu’au niveau spirituel. Je demande l’onction d’huile; pas pour la guérison mais pour déclarer que je me place sous la protection de Dieu. L’église a aussi prié dans le sens d’une guérison. Pas de guérison pour l’instant. Et c’est là que j’ai tout entendu : tu manques de foi, tu as des péchés à te faire pardonner, mauvaise chrétienne… Dur d’entendre cela de la part de l’Église. Heureusement, l’Église n’est pas Dieu.
Je crois que Dieu a un plan parfait pour moi, même si je ne comprends pas tout. Et c’est là que Dieu me donne tous les outils que j’ai besoin pour résister et me tenir debout. Il me donne sa grâce, je ne vis pas sous la culpabilité, je suis dans la joie et non dans la dépression, je ne suis pas victime, et il me donne la paix intérieure.
Cela ne s’est pas fait en un jour, mais quand j’ai pu accepter mon état et lâcher prise sur tout ce que je ne pouvais plus contrôler, tout a été plus facile. Et ma faiblesse actuelle m’oblige à lui faire confiance, à m’appuyer sur lui et là je suis plus forte. Ma foi a grandi et grandit encore.
Résister c’est lâcher prise et faire confiance.
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Prédication de Benjamin Corbaz:
Chers frères et sœurs en Christ,
« Pas content, pas content, pas content, pas content… » Ben quoi ? Je suis protestant, alors je proteste ! (Prononcé en criant, d’abord loin du micro, puis en se rapprochant, comme une manifestation qui se rapproche)
Plus sérieusement, en ce dimanche de la Réformation, j’ai envie de vous poser une question simple mais qui sera peut-être une colle : cela veut dire quoi « être protestant » ? Est-ce, comme certains préjugés le pensent, assister à des cultes stricts et ennuyeux, longs et rigoureux, cérébraux et intellos ? Est-ce protester à tout va, comme tout à l’heure, en criant : « pas content, pas content » ? Pour vous, être protestant, c’est quoi ? Si vous deviez choisir un mot, quel serait-il ?
Être protestant, qui signifie étymologiquement « attester de sa foi devant… », c’est pour moi trois verbes : résister, prier, aimer.
Être protestant, c’est d’abord résister. Résister au nom de notre foi devant les idoles du monde, devant sa violence, devant tout ce qui est contraire aux valeurs de l’Évangile. Résister, c’est rester debout face aux pressions violentes ou sournoises qui cherchent à détruire l’humain dans la société. Résister, c’est croire en la possibilité de quelque chose de meilleur pour l’humanité et prier pour que Son règne vienne. Résister, c’est agir d’une manière qui suit les préceptes de l’Évangile, en aimant son prochain comme soi-même.
Cette année, nous commémorons deux anniversaires de figures protestantes qui m’ont inspiré pour cette prédication. Une femme, blanche, un homme, noir. Deux enfants de Dieu qui ont, à leur manière, résisté au nom de leur foi : Marie Durand et Martin Luther King.
Marie Durand, d’abord, qui vécut au début du XVIIIe siècle. En pleine guerre des religions suite à la révocation de l’Édit de Nantes, les protestants français sont persécutés par les soldats du roi Louis XIV. Les villages sont rasés, les pasteurs sont tués, les hommes envoyés aux galères, et les femmes emprisonnées. Être protestant, c’est être en danger de mort.
En 1730, Marie Durand est enfermée à Aigues-Mortes dans la Tour de Constance, prison où sont réunies de nombreuses femmes protestantes. Elle n’en sortira qu’en 1768, il y a 250 ans cette année. Trente-huit ans. A cause de sa foi, Marie Durand est restée enfermée pendant 38 ans, dans des conditions de vie inhumaines. Trente-huit ans de résistance. Trente-huit ans de douleurs et de gémissements, d’espoirs et de déceptions, de faim et de froid, de maladie et de mort, dans cette tour. Trente-huit ans de résistance et d’espérance, gardées vivantes par la prière, les psaumes, la lecture de la Bible, cette parole vivante qui permet de continuer à croire, patienter et espérer. Trente-huit ans, c’est mon âge et cela me donne le vertige d’imaginer pendant toutes ces années, Marie Durand et les autres femmes protestantes résister à la tentation de la facilité. Pour elles, un seul mot aurait suffi : « J’abjure. » « Je renonce à ma foi protestante pour accepter la foi catholique. » Un seul mot aurait suffi, mais il aurait signifié renier leur foi, leur identité profonde.
Ces femmes en prison ont aussi résisté à la tentation de la désespérance, de croire que Dieu les aurait abandonnées, ça aussi elle l’ont fait. « Register », une femme l’a même gravé dans la pierre du cachot de la Tour de Constance. « Register », en dialecte vivarais, signifie « résister ». Comme un testament que les femmes de la Tour de Constance, Marie Durand en tête, voulaient laisser aux générations suivantes de protestants.
Résister. Oui mais pour cela, il faut un ancrage, une nourriture, une source: c’est la prière. Marie Durand le savait bien, elle qui a puisé dans les méditations bibliques et dans la prière sa force d’espérer contre toute espérance. Dans le jardin de Gethsémané, au cœur de la nuit qui précède sa Passion, au seuil de l’épreuve, Jésus lui aussi invite les disciples à résister en veillant et priant, « afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation. » Comme pour Marie Durand, la prière est cette indispensable source qui permet de ne pas tomber dans la tentation de la désespérance ou de la violence, mais qui donne ce courage d’être.
Mais comme il est difficile de ne pas y succomber. Les disciples s’endorment, ils faillissent ainsi à leur mission. Combien de fois nous aussi nous nous endormons ou nous choisissons la solution de facilité ? Combien de fois à cause de notre faiblesse nous n’arrivons pas à résister ? Combien de fois nous oublions de prier pour y puiser la force et le courage d’être ?
Mais, être protestant c’est aussi reconnaître que la grâce seule suffit ! Dieu nous fait grâce, sans condition, quelles que soient nos faiblesses. Cet amour gratuit de Dieu rend l’être humain apte, à son tour, à aimer ses semblables gratuitement aussi. Cet amour de Dieu qui nous précède nous tourne donc vers les autres en nous invitant à les aimer. Résiste, prie, aime. Résister, au nom de sa foi, en puisant sa force dans la prière et en aimant son prochain, son ennemi même.
Martin Luther King, ce pasteur noir des États-Unis, assassiné il y a tout juste 50 ans, s’est battu contre l’injustice, contre la ségrégation entre noirs et blancs. Il s’est battu au nom de sa foi en un Dieu qui ne distingue pas ses enfants, qui nous aime tous d’un même amour. Le texte de l’Évangile du jour dans le lectionnaire catholique nous parle d’amour : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. (…) Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Marc 12, 30-31)
L’amour, c’est la base de tout, et en particulier c’est la base de toute éthique chrétienne. « Dieu n’est-t-il pas un extrémiste de l’amour ? », disait Martin Luther King. Dieu commence par nous aimer, quoi que l’on ait fait. Et il nous invite à continuer la chaîne d’amour. Car pour changer le monde, nous avons besoin d’amour, comme le disait le pasteur américain : « L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité ; seule la lumière le peut. La haine ne peut pas chasser la haine ; seul l’amour le peut. »
L’amour est cette arme non-violente d’une puissance extraordinaire. Jésus, dans ses combats, a aimé. Sur la croix, il dira : « Père, pardonne-leur, car il ne savent pas ce qu’ils font. » (Luc 23, 34). Marie Durand, elle aussi, dans ses résistances à l’injustice, a aimé. En s’occupant de ses compagnes d’infortune, en priant. Martin Luther King, lui aussi, dans ses combats pour la justice, a aimé, puisant son inspiration dans le Christ lui-même et son enseignement d’amour des ennemis. Il disait : « Soyez pacifiques. Nous voulons aimer nos ennemis. Soyez bons pour eux. Aimez-les et montrez-leur que vous les aimez. »
Résister, prier, aimer.
Et aujourd’hui, chers frères et sœurs, à quoi devons-nous, protestants du XXIe siècle, résister au nom de notre foi ? « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » : les Huguenots revenaient souvent à ce verset. Et aujourd’hui, qu’est-ce que cela serait ? Certes, il n’y a plus de guerre chez nous, mais combien de maux gangrènent notre monde ! Certes, nous les protestants, nous ne sommes pas les seuls à résister à ces maux, c’est l’affaire de chaque humain, mais combien la foi peut se révéler porteuse d’espérance et peut nous y aider !
Aujourd’hui, nous vivons dans un monde qui marche sur la tête, où la surconsommation et la pression de la société détruit les âmes, où les burn-out et les difficultés s’accumulent pour tous ceux qui travaillent, y compris nos amis paysans, un monde où la valeur des humains et leur dignité sont souvent bafouées.
Aujourd’hui, je le crois, nous protestants du XXIe siècle, devons résister au mouvement planétaire de surconsommation qui pille la création et ses ressources.
Nous devons résister à la déshumanisation de notre société, bien souvent nombriliste et individualiste, qui voue un culte au seul bonheur individuel et égoïste, qu’importent les autres.
Nous devons résister à la peur, à la désespérance, à la terreur voulue par certains fanatiques.
Nous devons résister à une vision du monde ségrégationnée, où le noir n’a pas la même valeur que le blanc, où le migrant n’a pas sa place.
Oui chers frères et sœurs, et si pour une fois, nous osions résister en ouvrant notre cœur, en priant, en aimant ?
Devant la tentation de l’exclusion, accueillons l’étranger parce qu’il est notre frère en Christ.
Devant la tentation de la peur, apprenons à connaître les autres, à les aimer tel qu’ils sont.
Devant la tentation de l’individualisme, ouvrons-nous à la solidarité, aux liens tissés les uns avec les autres, dans l’amour de notre prochain.
Devant la tentation de la surexploitation de la création, aimons la terre qui nous a été confiée et encourageons ceux qui en prennent soin, comme les paysans de nos régions, en consommant local.
Écoutons, accompagnons, aimons ceux qui vivent des temps difficiles.
Redonnons-nous du souffle en priant, en méditant, en chantant.
Vivons dans la confiance que Dieu ne nous abandonne pas.
Pour moi, c’est tout cela résister, prier, aimer. Et c’est possible. C’est à la portée de chacun.
Alors à la suite de Jésus de Nazareth, de Marie Durand, de Martin Luther King et de tous les témoins qui eux aussi ont résisté, c’est à nous maintenant, chers frères et sœurs, d’aimer, de prier et de résister grâce à notre foi. Car comme le disait la résistante française Lucie Aubrac : « Le mot résister doit toujours se conjuguer au présent. » Nous sommes le présent de la Réforme !
Qu’il en soit ainsi.
Amen.