Écouter le culte :
Chers frères et sœurs en Christ,
Avez-vous vu ces images frappantes, presque choquantes, de distribution de nourriture aux plus démunis, en plein cœur de Genève ? Début mai en pleine période de crise, et encore pas plus tard qu’hier, plus de 2000 personnes faisaient la file pour recevoir un colis de produits de première nécessité. En Suisse. A Genève. Et cela ne fait que commencer, semble-t-il. Quel avenir pour ces personnes en situation de précarité ?
Dans un monde forcément nouveau suite à cette crise sanitaire sans précédent, nous sommes confrontés à l’incertitude. Les difficultés du monde n’ont pas changé avec la crise ; plus grave, elles ont empiré. Tout est devenu précaire, dans les deux sens du terme : à la fois appauvri et à la fois incertain. Oui, chers frères et sœurs, ce matin je me questionne : comment faire face à l’incertitude avec laquelle nous devons vivre désormais ? Quand j’essaie de me projeter dans l’avenir, c’est le flou le plus total. Une « incertitude angoissante », comme disait Françoise tout à l’heure dans son témoignage. Comment reprendre nos vies, à la fois individuellement et collectivement ?
« Quand tu ne sais pas où aller », dit un proverbe africain, « regarde d’où tu viens ». Peut-être qu’avant de regarder en avant vers demain, il faudrait se tourner en arrière, vers hier. Et essayer d’y trouver les réponses pour nous aider à faire face à l’incertitude de l’avenir.
Alors regardons en arrière ! Et pour cela, je vous propose de réfléchir à cette question : pendant ce temps de crise sanitaire que nous avons vécu, ce temps si particulier de confinement, qu’avez-vous appris ? Qu’avez-vous découvert ou redécouvert ?
« Prenez soin de vous ! » : comme le souligne cette expression utilisée de si nombreuses fois récemment, pour moi cette crise sanitaire a révélé avec force l’importance du lien et de prendre soin les uns des autres dans notre société.
Pendant cette crise, en effet, j’ai vu tant de choses qui m’ont donné de l’espoir, notamment dans le soin que les uns prenaient des autres. J’ai vu des familles à distance mais en lien, prendre soin des plus isolés, apprenant à apprivoiser les nouvelles technologies pour rester connectés. J’ai vu de la solidarité chez les jeunes, et les moins jeunes, en proposant des services à ceux qui en avaient besoin. J’ai vu des hommes et des femmes mobilisés pour apporter leur pierre à l’édifice commun, des soignants aux pharmaciens, en passant par les caissières de supermarchés et les policiers, sans oublier l’armée et la protection civile, eux aussi mobilisés au front du Covid-19.
Depuis le 10 avril, je participe moi aussi à cet effort commun, étant mobilisé à la protection civile qui intervient dans des missions de soutien aux EMS et aux hôpitaux. Placés avec leurs habits orange si reconnaissables dans ces lieux qui leur sont souvent étrangers, les hommes astreints n’ont bien sûr pas choisi d’être là et la rencontre avec le monde médical peut les ébranler. Ceux qui les entourent ont donc décidé de mettre en place, pour eux, un espace d’écoute pour qu’ils puissent décharger leurs fardeaux s’ils sont trop lourds. Faisant partie de cette cellule de soutien psychologique, j’ai pour mission avec d’autres de rendre visite chaque jour aux astreints qui, pour prendre soin des autres, doivent également prendre soin d’eux-mêmes. Ainsi, en les écoutant, en les accompagnant, j’essaie de leur permettre de vivre au mieux la mission d’aide qui leur a été confiée.
Cet engagement sur le terrain, je le comprends à la lumière de l’amour du prochain, mis en avant par le Christ : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » Juste avant sa mort, Jésus donne ce commandement nouveau à ses amis, juste après leur avoir lavé les pieds. Jésus par cet exemple invite à prendre soin des autres en se mettant à leur service, en les aimant, comme il nous a aimé. Et ce commandement d’amour, nous pouvons le vivre dans nos différents lieux de vie : en paroisse ou en famille, à l’EMS ou à l’hôpital, dans notre emploi ou dans nos divers lieux d’engagements, même si nous n’avons pas choisi de venir.
Ce commandement d’amour, Jésus en donne un exemple concret par sa vie, notamment avec ce récit de la guérison du paralytique de Bethesda que nous venons d’entendre. A mon sens, ce récit évangélique vient éclairer notre situation de manière forte. Regardons cela de plus près.
D’abord l’homme paralysé. Depuis 38 ans, il est littéralement « privé de force », tant économiquement que socialement, tant moralement que spirituellement, mais surtout bien sûr, physiquement. En utilisant ce même mot « asthénique » 3 fois en 4 versets, nous pouvons imaginer que Jésus suggère que l’asthénie touche tous les domaines de la vie de l’homme. Sans ressources, tant économiques que morales, embourbé dans une solitude paralysante, l’homme est comme éteint, à peine vivant.
Et que fait Jésus ? D’abord Jésus voit cet homme, son regard s’arrête sur lui. Alors que cet homme était clairement ignoré par tous les autres qui ne le laissaient pas passer pour entrer dans la piscine miraculeuse, Jésus, par son regard, le fait exister. Puis Jésus se renseigne sur lui, « apprenant qu’il était dans cet état depuis longtemps déjà ». Et enfin, il s’approche et il entame un dialogue. Il recrée un lien. Pas question ici de foi, mais simplement d’humanité, de reconnaître en l’autre un frère. Ainsi, Jésus, le Christ, recrée la vie. En lui parlant, il restaure l’intégrité du paralytique. Il replace au centre sa dignité humaine.
Et par conséquent, il le resitue devant ses responsabilités d’enfant de Dieu. « Veux-tu guérir ? » : loin d’être rhétorique, cette question de Jésus au paralytique est capitale. Si cet homme manque à chaque fois l’occasion de la guérison, il donne à cela des explications qui ressemblent bien à des excuses. N’a-t-il pas assez de force ou pas assez de volonté ? Il faut dire que bien souvent, quitter son grabat et le « confort » de sa situation est bien plus difficile qu’il n’y paraît.
« Veux-tu guérir ? » : en l’interpellant ainsi, Jésus lui signifie que même s’il est actuellement « privé de force », cet homme a en lui la force de vie nécessaire ! Mais seul un choix profond et radical de changement de vie peut lui permettre d’y avoir accès.
Au fond, tout au long du récit, et encore par la suite, Jésus ne lâche jamais cet homme. Il l’accompagne, lui tenant bien fermement la main. L’homme ne répond pas clairement à sa question initiale ? Qu’importe, Jésus ne le lâche pas. Il s'en soucie. Il le replace devant ses responsabilités. Un peu plus tard au temple, il ne lui lâche pas les baskets, mais continue le suivi en l’exhortant avec cette autre parole forte, je cite le verset 14 : « Te voilà bien portant : ne pèche plus de peur qu’il ne t’arrive pire encore ! » Jésus ici cherche surtout à exhorter cet homme guéri : fais quelque chose de ta nouvelle vie ! Comme un coup de pied aux fesses pour le mettre en garde contre le danger qu’il ne retombe dans cette asthénie d’avant.
Ainsi, par ce récit de guérison mais surtout d’accompagnement, je crois que Jésus nous indique un chemin à suivre dans nos vies, celui de l’amour, en nous invitant à prendre soin les uns des autres. Prendre soin, c’est redonner de la force, accompagner, ne pas lâcher, et exhorter – quitte à parfois mettre un bon coup de pied aux fesses – c’est aussi confronter la personne à ses responsabilités, avec « bienveillance sans complaisance », comme nous nous le disons souvent entre collègues.
Mais surtout, chers frères et sœurs, ce texte vient nous interpeller sur le choix que nous voulons faire aujourd’hui. Bien sûr, nous n’avons pas choisi cette situation, bien sûr, nous n’avons pas choisi d’être là, mais nous pouvons choisir ce que nous voulons en faire. Que voulons-nous ? voulons-nous guérir ? ou voulons-nous rester couchés sur notre grabat de l’incertitude, certes plus confortable ?
La bonne nouvelle de ce matin, chers frères et sœurs, c’est donc que nous avons le choix. Choisir le chemin de l’amour dans la lignée du Christ, choisir d’entreprendre un chemin de vie qui redonne de la force et qui relève, que ce soit de manière individuelle ou collective. Choisir de changer, de ne pas revenir à la vie d’avant la crise, même si cela serait plus confortable. Choisir le chemin de la solidarité, même si ce choix est coûteux, car « solidarité » signifie bien se priver de quelque chose pour l’offrir à d’autres. Mais n’est-ce pas cela dont le Christ a témoigné par sa vie ?
Alors en ce premier dimanche suite à la première étape de déconfinement, l’Evangile vient nous interpeller ce matin en prenant au sérieux les difficultés de notre société malade à cause de l’individualisme, l’injustice, la pauvreté, le non-respect de la dignité humaine ou de la création : quel sera notre choix de société ? Que voulons-nous ? Et personnellement, suis-je prêt à quitter mes conforts ? Est-ce que je veux vraiment que cela change ?
Oui, l’Evangile nous montre une piste pour faire face à l’incertitude de ce monde nouveau : prendre soin les uns des autres en redonnant de la force à ceux qui n’en ont plus. Car prendre soin permet de retrouver un sens, profond, à l’existence, prendre soin permet d’être en vie, simplement debout, avec les autres. C’est en cela, par la force et le sens retrouvés, que nous pouvons nous sentir plus à même de faire face à l’incertitude de l’avenir. C’est en tout cas ce que je vis ces temps à la protection civile.
Alors bien sûr, ce choix est coûteux, mais la bonne nouvelle, c’est que le Christ est là pour nous accompagner, comme il a été présent pour le paralytique. Jésus prend soin de ceux qui prennent soin. Il ne les lâche pas mais les tient fermement. Il vient en aide aussi à ceux qui le demandent, pour autant, justement, qu’ils répondent à sa question : « Veux-tu guérir ? »
Veux-tu que cela change, que notre société change et ne revienne pas au statut d’avant la crise, le veux-tu même si c’est plus confortable de ne rien faire ? Que choisis-tu ?
Alors, que l’on soit en habit PCi orange ou non, mais avec confiance, et avec le Christ, prenons notre grabat pour prendre soin les uns des autres et… en marche !
Amen.