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Les noces de Cana
Chers frères et sœurs en Christ, ici à La Chaux-de-Fonds et ailleurs grâce à la radio,
Quiconque a participé à un repas de noces connaît cette expérience d'une joie particulière lorsque la communion entre les convives est réussie. Jésus participe beaucoup à ces repas festifs où les convives sont nombreux ; à tel point qu'avec ses disciples, il était traité de « glouton ou d'ivrogne » (Matthieu 18, 19). Or le banquet est l'image dominante du Nouveau Testament pour évoquer « le bonheur à venir ». Les noces de Cana se situent dans cette thématique de la joie en perspective et expérimentée dans le repas de noces.
Le vin, denrée indispensable lors de telles réjouissances, est figure de la joie de ce Royaume à venir. Jésus est désigné comme l'époux. Le compagnonnage des disciples est semblable à une fête, une noce, pendant laquelle les amis se réjouissent. Même si le mot « joie » n'apparaît pas dans le récit, il est l'élément sous-jacent du « vin meilleur que l'ancien ». « Le vin a été créé pour la joie des hommes », nous a rappelé la première lecture. Le vin est une des trois denrées fondamentales dans le Bible. Avec le blé et l'huile, il est perçu comme un don de Dieu. Il symbolise l'abondance. Celle-ci est le sceau qui authentifie la fidélité à l'Alliance. À l'opposé, les manquements à l'Alliance conduisent à la disette.
Symbole de prospérité, le vin manifeste la plénitude des temps messianiques (Osée 14, 8). La joie éternelle est promise avec une profusion de vin, d'huile et de blé. Cette surabondance, qui prouve l'ouverture des temps messianiques, est attestée dans le récit par la grande quantité de vin que représente deux à trois mesures multipliées par six, soit autour de six cents litres de vin. Le Royaume est manifestement advenu. Jésus se laisse connaître pour qui mange à sa table. Il nous invite au banquet d'abondance, sa générosité est sans fin et sa vie est déjà offerte puisque c'est lui le Pain de vie !
Pouvons-nous nous réjouir ? Dire aujourd'hui que les temps messianiques sont accomplis, c'est dire notre joie ! Notre joie d'être déjà au banquet où le Christ lui-même se donne comme l'époux, banquet pendant lequel nous recevons la nourriture consistante de ses enseignements et de sa vie. Notre joie de disciple se réalise aujourd'hui ! Or, il apparaît de plus en plus difficile de se réjouir. Quand nous nous réjouissons, nous avons peur de manquer de solidarité avec la foule des personnes qui souffrent. Avons-nous le droit de nous réjouir dans un monde marqué par tant de misères et d'injustices ?
Mais si la joie se perd, le monde n'en deviendra pas meilleur. De même, le refus de se réjouir n'aidera pas non plus les souffrants. Au contraire, le monde a besoin d'hommes et de femmes qui découvrent le bien, qui s'en réjouissent et retrouvent l'élan nécessaire et le courage de parvenir au bien. La joie n'éteint pas la solidarité ! Bien au contraire, la joie du croyant pèse et mesure l'épreuve et la souffrance. Notre joie assume l'humanité comme le Christ. Notre joie n'est pas une grimace ou un masque posé sur une humanité légère et inconsistante. Notre joie provient de notre enracinement dans la vie du Christ.
La vie donnée du Messie ouvre l'horizon de chaque instant et brise le néant. Notre existence en ce monde n'est pas une vie pour la mort ; une vie issue du néant et retournant à celui-ci. Notre vie est voulue par un amour infini et s'avance vers lui. Nous avons besoin de cette confiance originelle que seule la foi peut donner. Cette confiance nous est donnée au banquet de l'époux. Cette confiance qui conduit à croire que, malgré tout, Dieu est bon et qu'il est là, présent et agissant dans ce monde ! Croire qu'il est bon de vivre et d'être humain parce que notre destination est une joie sans fin. De là vient notre courage de vivre dans la joie. La joie s'attache au bien déjà là, elle se communique et peut enflammer les autres. Nous sommes serviteurs de la joie au sein d'un monde qui en a tant besoin.
Dans notre contexte de joie et de jaillissement de celle-ci au banquet messianique, Marie a une place importante. En général, Marie est discrète dans l'Évangile, même dans celui de Jean, elle demeure assez silencieuse. Sa dernière prise de parole dans l'Évangile de Jean se situe au début du ministère public de Jésus. Son rôle est double : elle constate le manque et indique son fils comme référence aux servants. La réaction du fils peut nous heurter littéralement, lorsque Marie constate : « Ils n'ont plus de vin » et que Jésus répond : « Quoi, à toi et moi, femme ! »
Rien dans le récit ne nous permet de savoir le sentiment de Marie dans l'événement. Son rôle est le constat d'une attente, d'une joie qui manque avec le vin insuffisant. D'un point de vue théologique, le constat de Marie manifeste la prière de l'humanité : il y a un manque à vivre. Il y a en l'être humain un désir infini qui est l’attente du Sauveur. Marie favorise la révélation de Jésus comme Sauveur. Et la réponse de Jésus est presque brutale ! Comment comprendre la conjonction de coordination, du toi et moi ? Beaucoup de commentaires voient dans la conjonction une séparation dans le sens : «Qu'y a-t-il entre toi et moi?» Mais cette position fait omission du sens de la conjonction en grec courant. Il faut alors comprendre : toi et moi signifient nous. La phrase devient alors : «Qu'y pouvons-nous?» Ou bien : «En quoi cela nous concerne-t-il?»
Le niveau d'interprétation devient celui dont saint Jean est coutumier : un niveau théologique. La réponse manifeste le décalage entre la demande humaine et l'offre de Dieu, décalage entre la prière qui constate le manque et Dieu qui se donne en nourriture. La phrase annonce alors l'incompréhension de l'humanité devant la croix, œuvre de salut et de vie éternelle. C'est ainsi qu'à Cana, comme dans tout l'Évangile de Jean, se dresse la croix, sommet de la révélation, paradoxe incroyable du Dieu vivant. Telle est la gloire de la croix : Jésus le Sauveur se donne dans la mort sur la croix, mystère incompréhensible de vie éternelle !