Écouter le culte :
Chers paroissiens, chers auditeurs,
L’Évangile nous convoque, encore ce matin, à méditer autour du thème de la guérison. Ici, il s’agit d’un lépreux qui aspire à la guérison et qui finit par l’obtenir. À Jésus, il dit vertement : « Si tu le veux, tu peux me guérir. » Et comme du berger à la bergère, Jésus lui répondit : « Je le veux, sois guéri. » Tout se passe dans la grâce et la spontanéité.
Mais qu’en est-il vraiment de la lèpre ? Être malade de la lèpre, c’est d’abord porter, malgré soi, un corps. C’est une maladie qui défigure le visage, s’attaque aussi aux différents membres du corps : les pieds, les mains ou les genoux. Elle les rend raides. La lèpre est une véritable catastrophe corporelle pour celui qui en est touché et pour l’entourage qui n’y voit que péniblement l’image de Dieu. Ce mal est profondément désespérant et porte l’estampille d’un profond désarroi. Du point de vue social, elle cristallise une déliaison telle que le patient est sommé d’errer en périphérie, hors de la société. Il gît dans son isolement ; ce qui aggrave encore son traumatisme. Car le psychique en est profondément marqué. Il est rare, par exemple, qu’un enfant de lépreux accepte de présenter son parent à un tiers.
Et, pour finir, dans la société du temps de Jésus, la loi en vigueur qualifiait un tel personnage d’impur. Ainsi, spirituellement, il est considéré comme indigne. La séparation n’est pas seulement d’avec les gens de son pays mais aussi d’avec Dieu lui-même, suivant la conception en vigueur.
En criant « si tu le veux tu peux me guérir » ou suivant la version la plus proche du texte original « me rendre pur » à la place de « me guérir », le patient espère une libération entière. La rencontre avec Jésus provoque donc cette réhabilitation à large spectre. Désormais il n’est plus cet errant, cet oublié de la société, mais un homme totalement libéré. Le soulagement est entier. Enfin il redevient humain.
Un bémol cependant : notre homme semble couver une certaine amnésie. Alors que Jésus lui recommanda, suite à sa guérison, de n’en parler à personne, l’homme fraîchement guéri et débordant d’enthousiasme, alla raconter à qui voudrait l’entendre ce qui lui est arrivé. Peut-être n’y comprenait-il pas grand-chose ? Cette hypothèse nous paraît invraisemblable. Car chaque lépreux dans ce contexte précis devrait le savoir.
Était-ce, selon lui, une publicité en guise de reconnaissance de ce qu’il avait reçu ? Était-ce la célérité de sa guérison qui l’avait totalement perturbé ? De toute façon, à ce stade, il ne comprend pas encore les enjeux cruciaux du Royaume de Dieu qui se tisse.
Jésus n’a pas encore été glorifié. Son programme ne prévoyait encore pas une telle démonstration. Il ne veut pas inutilement se mettre à dos l’ordre établi. Jésus, le Fils de l’homme, Fils de Nazareth, ne souhaite pas enfreindre la loi en vigueur. D’ailleurs, n’est-il pas venu l’accomplir comme il est écrit dans l’Évangile de Matthieu 5, 17 ? («Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir.»)
Ainsi, patiemment, l’agenda du Royaume prend place au cœur du monde. Jésus ne croit pas à l’efficacité de l’anarchie. Le lépreux guéri aurait dû d’abord s’adresser au prêtre, au lieu du temple, pour faire constater cette guérison somme toute spectaculaire. Ce dernier lui aurait alors attribué une attestation en bonne et due forme. Décidément, une faille s’est introduite dans ce mécanisme de guérison d’un lépreux. Et ceci, malgré Jésus.
Chez nous, la maladie de la lèpre n’existe plus depuis fort longtemps. Et tout ce protocole ne semble pas nous concerner. Mais le contexte pandémique tel que nous le vivons ne fait-il pas écho à cette maladie ? L’isolement, la peur et l’angoisse ambiants rendent une telle comparaison possible.
Si la lèpre nous est étrangère, la psychose rampante et l’isolement ne le sont pas. Nombre de nos contemporains, proches ou lointains, se battent dans certains pavillons de nos hôpitaux où le va-et-vient est proscrit. La solitude qui étreint nos malades, avec l’impossibilité de les visiter, suscite maintes réflexions.
Mais l’isolement et la détresse ne sont pas seulement l’apanage de ces cadres-là. Avouons-le, la Covid-19 révèle toutes sortes de fragilités et de désespérances : certains de nos jeunes, ou moins jeunes, ne supportant plus cette vie de semi confinement ou de confinement dans toute son ampleur, parfois même, envisagent le pire. La situation de nombre de nos commerçants ou de nos artisans, tous ceux qui composent l’essentiel de notre vie sociale et économique, suscite une incompréhension profonde, voire un sentiment d’échec. L’avenir semble bouché. Nous sommes de part en part bousculés.
Mais que peut l’Évangile dans ce contexte chahuté, celui dans lequel nous vivons aujourd’hui ? Aussi incompréhensible que cela puisse paraître, Dieu est présent et nous fait confiance. Il pense qu’on peut y aller malgré tout. À Gédéon, du temps des Juges de l’Ancien Testament, il disait : « Va avec la force que tu as ». Malgré ce qui nous bouscule et rend nos quotidiens quelconques, nous pouvons aller chercher des ressources au fond de nous-mêmes parce que c’est là qu’elles se nichent. En temps de crise, Gédéon pouvait retrouver cette force grave qui l’habite. Elle s’appelle Dieu. Par le canal de la prière, nous pouvons nous relier à Dieu. Ce n’est aucunement un gémissement inhérent à la peur. C’est au contraire un mouvement à la fois réflexif et vertical pour retrouver ce qui, inconditionnellement, nous pétrit.
Nous sommes des lépreux guéris ou en cours de l’être. Nous sommes ces Gédéon modernes qui pouvons, en temps de Coronavirus, nous tourner vers l’Éternel qui reste toujours l’Éternel (Yahve).
L’Évangile de Marc a cette caractéristique d’être moins descriptif dans ses paragraphes. Mais imaginez un seul instant tout ce que le lépreux aura entrepris pour s’approcher de Jésus : il aura fait preuve de courage, car une telle rencontre paraît improbable. Il n’était pas imaginable que les deux personnages puissent dialoguer un seul instant. Entre un homme qui prenait la Parole dans les synagogues du pays et un individu considéré comme pestiféré, la frontière n’était pas mince.
D’où ce courage lui venait-il ? De l’expérience vécue ? De ce qu’il pouvait voir faire Jésus et qui l’incita à proclamer : « Si tu le veux, tu peux me guérir » ? En réalité, Jésus ne représentait pas encore pour plusieurs celui qui annonce le royaume à venir. Plutôt, il était considéré comme un guérisseur doué qui résolvait des problèmes hic et nunc. Le lépreux ne questionnait pas l’origine ou la source de la puissance de ses prouesses. Le courage de notre homme n’est pas celui dont les disciples ont besoin après la résurrection, lorsque Jésus affirme : « Prenez courage car j’ai vaincu le monde. » (Jean 16, 33).
Certes, le lépreux s’en remet à la volonté de Jésus. Mais pour quelle raison ne l’aurait-il pas guéri ? N’y a-t-il pas là une façon inconsciente de culpabiliser Jésus et de le rendre responsable de sa maladie ?
Cette période malmenée par la Covid-19 correspond, pour le croyant, à une école de la patience. Cependant c’est l’écoute de la Parole qui parachève l’œuvre du Christ en nous. Jésus n’a-t-il pas dit : « L’homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute Parole qui sortira de la bouche de Dieu. » (Matthieu 4, 4) ? Le lépreux guéri a fait sien le pain ici symbolisé par la guérison. Toutefois, il n’a que peu porté attention à la Parole dite. Le tout n’est donc pas d’être guéri mais de nourrir continuellement son âme. Cette période d’épreuve est aussi un moment d’écoute de cette Parole avec l’aide de l’Esprit Saint.
La compréhension de l’Évangile n’est complète que si cette appropriation de la Parole entre dans la dynamique de son effectivité. Dieu nous accueille dans le but de nous transformer. Autrement dit, de nous conduire à l’obéissance. En lui, aucune angoisse, aucune situation quelle qu’elle soit, ne doit nous désespérer. Nous sommes bousculés mais vivants.
Amen.