Écouter le culte :
Chers amis rassemblés dans l’église d’Ecublens,
Chères auditrices et auditeurs d’Espace 2,
En ce troisième dimanche du temps de la Passion, nous allons nous remémorer le Christ, prenant congé de ses disciples, à la veille de la nuit tragique qui le précipita dans la mort. Nous allons le rejoindre pour nous mettre à l’écoute de son discours d’adieu, sans pour autant ignorer que, nous aussi, nous sommes dans une situation bien particulière.
La pandémie nous a occupés durant deux ans. Elle s’est déroulée sur le fond du dérèglement climatique qui, lui, continue de déployer ses effets. Et, comme si cela ne suffisait pas, la guerre a éclaté en Ukraine multipliant les incertitudes politiques et économiques. Aussi sommes-nous nombreux à éprouver de la lassitude, de l’anxiété et de la frustration. Nous sommes nombreux à désirer renouer avec le monde d’avant, un monde d’avant que nous avons néanmoins tendance à idéaliser. Nous sommes nombreux à vouloir retrouver la vie, la vraie vie, la joie de vivre.
Mais qu’est-ce que la vie ? La vraie vie ? Où se trouve-t-elle ? Dans la liberté retrouvée ? Dans des rencontres sans contraintes ? Dans le divertissement ? Dans la méditation ? Dans le combat pour la paix ? Oui, où se trouve la vraie vie ?
Confronté à cette question aux mille réponses possibles, Jésus, déclara, il y a plus de 2000 ans, à la veille de sa mort : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Que veut-il nous dire, l’homme de Nazareth, en prononçant ces mots étranges, ces mots qui résonnent pourtant fortement en nous ? Que veut-il nous dire, à nous les rescapés du Covid, confrontés maintenant à la menace de la guerre et du dérèglement climatique ?
« Je suis le chemin. »
Le chemin est ce qui nous permet d’avancer dans une direction déterminée. Il nous mène d’un endroit à l’autre, il nous conduit à la destination que nous avons choisie. Toute la question est de trouver le bon chemin, de ne pas s’engager dans des impasses, dans des chemins qui égarent, dans des chemins qui tournent en rond, dans des chemins qui ne mènent nulle part.
Toutes et tous, nous avons fait l’expérience ou, à tout le moins, entendu parler du GPS, ce système de guidage installé dans nos voitures ou dans nos téléphones portables. Grâce au GPS, nous trouvons facilement notre chemin, nous nous déplaçons en toute sécurité. Mais il arrive que la liaison avec le satellite qui nous guide s’interrompe, que le système tombe en panne. Nous voici alors immobilisés en rase campagne, démunis, ayant perdu le sens de l’orientation, incapables de retrouver notre chemin. Nous sommes perdus au sens littéral du terme, nous ne savons plus où aller ni comment y aller.
Cette expérience du chemin trouvé ou perdu ne s’applique pas seulement à nos déplacements quotidiens. La sagesse nous l’a appris : notre vie est comparable à un chemin à parcourir, un chemin qui va de la naissance à la mort. Pas à pas, nous avançons dans notre existence, nous la construisons. Mais il nous arrive de nous perdre, d’être désorientés, de ne plus savoir comment avancer, où aller. Il nous arrive d’hésiter entre plusieurs chemins possibles : faire carrière, accumuler des richesses, acquérir du pouvoir, se consacrer à sa famille, tout sacrifier à une passion. Il arrive que le chemin que nous avons pris soit interrompu par les accidents de la vie : la maladie, le deuil, le chômage, les crises familiales, la guerre. Se pose alors de façon lancinante la question : Quel est donc le chemin qui nous permet d’accéder à une vie bonne, à la vraie vie ?
À la veille de son arrestation, de son procès perdu et de son exécution, Jésus s’adressant à ses disciples, déclare : « Je suis le chemin ». Nous sommes décontenancés. Un homme menacé, au seuil de la mort, peut-il être un chemin ? Le chemin ? Pourquoi Jésus dit-il cela ? Quel est son projet ? En fait, Jésus nous propose de nouer une relation qui donne orientation et sens à notre vie, une relation qui nous permet d’avancer pas à pas dans notre vie. Il est le chemin parce qu’il nous ouvre le chemin de la vie bonne. Par son enseignement et sa vie, il nous offre l’accès à des réalités décisives pour la conduite et l’accomplissement de notre existence.
Mais à quoi ou à qui Jésus nous donne-t-il donc accès ? Il précise : « Je suis le chemin » parce que je vous donne accès à la vérité. La vérité est un bien grand mot, un mot que chacune, chacun d’entre nous interprète à sa manière. En ce temps qui voit fleurir les fake news, les vérités alternatives, la désinformation, comment peut-on encore parler de vérité ? Comment s’y retrouver dans ce magma d’opinions contradictoires ? Avec Pilate, nous sommes tentés de demander à Jésus : « Qu’est-ce que la vérité ? ».
La vérité dont Jésus veut parler n’est pas la vérité au sens habituel, la vérité telle qu’elle est ordinairement comprise aujourd’hui. Elle ne désigne pas un savoir avéré et vérifié, le savoir scientifique par exemple. La vérité dont Jésus est le porteur est de tout autre nature. Elle désigne ce qui est solide, digne de confiance, ce sur quoi je peux m’appuyer, ce qui n’est pas emporté par les aléas de la vie, ce qui est une référence fiable. Cette colonne contre laquelle je puis m’adosser et me reposer, ce fondement sur lequel je puis me tenir sans risquer de vaciller, c’est ce que recouvre, aux yeux de Jésus, le mot Dieu.
Jésus est le chemin parce qu’il m’ouvre l’accès à la réalité bienveillante et fondamentale dans laquelle je puis avoir une absolue confiance : Dieu. Il ouvre ce chemin parce qu’il est lui-même le visage de Dieu pour nous.
Mais, objecterez-vous, nous vivons dans un monde qui a totalement perdu la trace de Dieu, dans un monde qui n’a que faire du chemin proposé par Jésus, dans un monde pour qui toute référence religieuse est devenue superflue. Comme l’a montré la crise que nous venons de traverser, seule la réalité immédiate et tangible semble faire autorité. À l’exemple de Thomas, nous ne croyons que ce que nous voyons. Ou alors, comme Philippe, nous rétorquons à la déclaration de Jésus : « Montre-nous le Père et cela nous suffit ».
Mais, prenons garde ! Nous nous enfermons alors dans une approche rétrécie de la réalité. Nous ne voyons pas plus loin que le bout de notre nez. Comme le rappelle Hamlet : « Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel que dans toute votre philosophie. » Ou alors comme Jésus qui réplique : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m’as pas reconnu. Celui qui m’a vu a vu le Père. »
Voir plus loin que le bout de son nez, c’est élargir notre vision du monde, c’est s’ouvrir à l’imprévu, c’est s’apercevoir que le visage de Jésus incarne la présence de Dieu dans notre monde. Hamlet a raison : il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel que dans notre vision rabougrie du monde. Dans la relation que nous nouons avec Jésus, nous découvrons le fondement solide qui nous permet de trouver notre place dans le monde et d’avancer. Mais me demanderez-vous : en quoi cette référence à un fondement solide, à Dieu, change-t-elle concrètement quelque chose dans notre vie courante ? Est-ce simplement une opinion respectable de plus, ou alors la découverte de Dieu sur le visage de Jésus a-t-elle un enjeu réel ?
« Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Jésus veut dire : en tant que chemin, je t’ouvre l’accès à la présence de Dieu et de ce fait, je t’offre la vie en plénitude. Admettons, mais qu’est-ce que la vie, la vie bonne dont Jésus se veut l’annonciateur ?
La vie dont parle Jésus ici n’est pas la vie après la mort, la vie éternelle au sens populaire. Il ne dit pas : je te promets de prolonger indéfiniment ta vie après ta mort, mais « je suis » la vie ici et maintenant. Ce qui est en cause, ce n’est pas l’au-delà, mais l’instant présent. Ce n’est pas la durée, mais la qualité de la vie. La vie dans la foi est une vie de qualité.
La vie dont parle Jésus n’est pas davantage la vitalité biologique, comme si le croyant était protégé des accidents de santé, de la maladie, du vieillissement et de la mort. La vraie vie ne se résume pas à la santé. Pas plus qu’elle n’est une protection contre les catastrophes de tous ordres qui peuvent survenir au cours de notre existence.
En fait, la qualité de vie accordée par Jésus tient dans un double don. Le premier don est le courage de vivre. La source de ce courage tient dans la découverte que je suis accepté par Dieu tel que je suis et sans condition. Bien sûr, j’ai mon orgueil, je voudrais être le seul maître de ma vie si bien qu’il m’est difficile d’admettre que je suis aimé et que je suis précieux aux yeux de Dieu. Mais si j’accepte l’amour inconditionnel de Dieu à mon endroit, alors je suis soulagé de tout souci concernant mon passé et mon avenir. Je puis me fier à cette promesse. Animé par ce courage de vivre, je puis aborder chaque moment de mon existence dans la légèreté et la liberté. Mais aussi dans la responsabilité et le souci du prochain.
La qualité de vie promise par Jésus tient en second lieu dans la confiance dans la vie. Tout ce que nous vivons actuellement tendrait à nous persuader du contraire, à perdre toute confiance dans l’être humain ou dans l’avenir de notre monde. Mais la promesse qui m’est faite d’être accepté inconditionnellement par Dieu, me permet de ne pas voir dans le malheur du monde une fatalité destructrice, mais une réalité qui doit être recadrée, réappréciée à la lumière de l’amour dont je suis l’objet
Celui qui a le premier et le dernier mot sur ma vie m’invite à la confiance, à la confiance dans la vie. C’était déjà l’expérience d’Abraham dont il est dit qu’il espéra contre toute espérance.
Le courage de vivre et la confiance dans la vie : voilà les deux dons que Jésus nous fait à la veille de sa mort, lui aussi convaincu que le chemin qu’il va emprunter est un chemin de vie. La croix mène à Pâques.
« Je suis le chemin, la vérité et la vie. »
Amen.