(In)justice(s)

Eglise du Pasquart, Bienne (©Nadine Manson)

Écouter le culte :

Ce n’est pas juste !

Ce n’est pas juste : j’ai donné, et je n’ai rien reçu ! Je n’ai pourtant rien fait de mal, et j’ai l’impression que le malheur s’abat sur moi, ou pire, sur mes proches... Et puis, j’ai fait tout ce qu’on m’a demandé, voire plus ! et je n’ai même pas été récompensée.

Ce n’est pas juste ! Que dois-je faire encore, que je n’aie pas déjà fait ? Que dois-je être, que je ne sois pas déjà ? Est-ce que Dieu serait contre moi ? Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné·e ? Je me plains beaucoup, mais mon Dieu, qu’il est difficile de te louer dans ces conditions... Pourtant, d’autres y arrivent !

Esaïe, lui, raconte un peuple qui te chante, confiant et joyeux. Et Pierre dans les Actes des Apôtres, dit même : « Maintenant, je comprends vraiment que Dieu n’avantage personne ». Je ne comprends pas, Seigneur … Comment puis-je te chanter dans la douleur ? Comment croire à ta justice quand l'injustice hurle partout ?

Je ne sais pas comment vous faites, vous, mais pour ma part, quand j'ai besoin de prendre du recul, j'aime qu'on me raconte des histoires. Pas des mensonges, n'est-ce pas ! Non, j'aime qu'on me raconte des histoires, des récits qui touchent à quelque chose de vrai, de juste.

Alors voici l'histoire qu'une amie m'a racontée :

« Un enfant était couché depuis des semaines à l’hôpital, sans que sa santé ne s’améliore. « Ne guérirai-je jamais ? Vais-je mourir ? » demanda l'enfant à l’infirmière. Celle-ci était une femme avisée, et elle dit : « Non, tu ne mourras pas. Vois-tu l’arbre devant ta fenêtre ? Maintenant, en hiver, il n’a pas de feuilles. Mais au printemps il reçoit des forces nouvelles. Quand cet arbre aura de nouveau des feuilles, tu guériras. » 

L’enfant se réjouit et regarda chaque jour l’arbre. Le printemps vint, les buissons et les arbres alentours eurent des bourgeons. Et l’espérance de l’enfant grandissait de jour en jour. Mais son arbre n’avait pas de bourgeons ! « Qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi mon arbre n’a-t-il pas de bourgeons ? »

Une nouvelle infirmière était arrivée dans le service, elle ne comprenait pas la question de l’enfant, et elle ne comprenait rien aux arbres ! Elle répondit sans y penser : « L’arbre est probablement mort. » A partir de ce jour, l’enfant alla de plus en plus mal, sans que les médecins parviennent à trouver pourquoi.

Par chance, l’ancienne infirmière revint dans le service. Quand elle vit l’enfant en fort mauvais état, elle fut effrayée et s’assit auprès de son lit. L’enfant pleura et lui raconta que son arbre était mort et que lui aussi devrait maintenant mourir. Alors l’infirmière comprit, et dit : « Mais non, l’arbre n’est pas mort. C’est un platane, et les platanes reçoivent leurs feuilles beaucoup plus tard que la plupart des autres arbres. Attends encore quatre semaines, et il aura des feuilles, et toi tu guériras ! »

Deux semaines plus tard, le platane poussait ses bourgeons, et l’enfant commença de se lever. Et après deux autres semaines, le platane avait ses feuilles et l’enfant rentrait à la maison. »

Même sans jamais avoir été aussi malade que cet enfant, je peux me dire : « oui, cet enfant, c'est moi. » Comme lui, je vis parfois des injustices sans les comprendre ; comme lui, j'ai besoin qu'on me redonne espoir ; comme lui, j'ai besoin qu'on me raconte des histoires, des histoires qui disent vrai, qui disent juste ; comme lui, j'ai besoin de quelqu'un qui m'offre un autre regard sur ma réalité. Pas n'importe quel regard, non, un regard qui me permet de guérir, de grandir, de continuer à avancer.

Ce regard, ça peut être celui de Dieu. Dieu qui promet à son peuple que la joie et le salut viendront : « Avec joie vous puiserez aux sources du salut. » Dieu qui envoie Pierre à la rencontre de Corneille, un centurion romain, parce que Jésus Christ est « le Seigneur de tous les êtres humains ». Ce regard, ça peut être celui des auteurs de ces textes bibliques, qui nous font part, à nous aujourd'hui, de leur espérance et de l'image qu'ils ont de Dieu. Ce regard de Dieu sur nos vies peut tout changer.

Oui, Esaïe raconte un peuple joyeux et confiant qui chante le Seigneur. Mais c'est un peuple banni d’Israël, relâché après sa captivité. Ce sont bien eux, ces exilés, qui trouvent la force de chanter la gloire de leur Dieu. Malgré tout ce qu’ils ont vécu, malgré la peur, la violence, l’invasion, le déracinement, la déportation. Malgré tout cela, des prières de louange montent de leur cœur. Oui, ce coeur qui souffre de l'injustice loue le Seigneur, malgré tout.

Mais que faire quand l'injustice ne nous touche pas seulement nous, mais nos proches ? Et plus largement, que faire face à l'injustice qui nous entoure ? Que va-t-on dire à celles et ceux qui subissent l'injustice, dans notre paroisse, dans notre ville, dans notre pays ? Que va-t-on dire aux affamés, aux assoiffés, aux sans-abris, aux citoyens de pays en guerre ? Qu'il suffit de changer de regard ? Va-t-on raconter cette histoire d'arbre dont les feuilles pousseront bientôt aux Ukrainiens et aux Ukrainiennes ? Que faire, que dire face aux civils au quotidien arraché par la violence des conflits ? Que faire, que dire aux soldats russes, aux soldats ukrainiens ? Peut-on leur affirmer sereinement, comme Pierre face à Corneille, que Dieu n'avantage personne ? Va-ton leur dire de louer Dieu ? Et nous, allons-nous louer Dieu dans ces conditions ? 

Ça serait oublier que l'infirmière de notre petit récit, elle ne fait pas que raconter une jolie histoire à l'enfant. Elle est infirmière ; et en tant qu'infirmière, avant tout, elle soigne cet enfant. C'est vrai, l'Evangile est une belle histoire, peut-être la plus belle histoire qui soit, une histoire qui peut faire du bien, mais c'est bien plus que cela ! L'Evangile, c'est avant tout le Christ qui nous invite à sa suite.

Pierre, dans le passage des Actes que nous avons entendu, fait un résumé de la vie de Jésus-Christ, évoquant son baptême, ses miracles, sa mort et sa résurrection. Mais si Pierre fait ce récit, c'est après avoir marché des kilomètres et des kilomètres pour rejoindre Corneille, pour partager l'Evangile avec les non-juifs représenté par ce soldat romain « attaché à Dieu ». Pierre a marché à la suite de Christ, car Jésus a « commandé d'annoncer la bonne nouvelle au peuple et d'attester qu'il est celui que Dieu a établi pour juger les vivants et les morts. » Pierre a marché à la suite de Christ, il est allé à la rencontre de l'étranger, de l'ennemi, de l'autre. Pierre a marché à la suite de Christ, car « tout être humain dans le monde qui reconnaît son autorité et qui fait ce qui est juste lui est agréable. »

Faire ce qui est juste... voilà où nous pouvons être des infirmiers et des infirmières autour de nous : annoncer l'Evangile et pratiquer la justice. Voilà le soin que nous pouvons apporter à celles et ceux qui nous entourent : la justice. Ça n'est pas un vain mot, balancé pour faire joli et se donner bonne conscience ; non, la justice, c'est avant tout se mettre à la suite du Christ, et rejoindre l'autre, rejoindre en particulier les opprimés, les laissés-pour-compte.

Oui mais... cette fameuse justice, comment croire qu'on peut la mettre en œuvre alors qu'une tension demeure dans les paroles de Pierre ? Dieu n’avantage personne, mais Jésus n’est pas visible pour tout le monde... Le texte des Actes nous dit : « Dieu lui a donné d'apparaître, non à tout le peuple, mais à nous qu’il a choisis d'avance comme témoins ».

Qu’est-ce que cela signifie ? On chante la justice de Dieu, l'impartialité de Dieu depuis le début de ce culte, mais au final, il y a quand même des élus ? De quelle justice parle-t-on alors ? De quelle justice est-on capable ?

Nous avons évoqué la situation en Ukraine, car de prime abord, elle nous touche plus facilement qu'un autre conflit. Mais pourquoi ne sommes-nous pas autant bousculés par ce qui se passe au Yemen ou en Afghanistan ? Il faut bien l'admettre, nous sommes, nous humains, incapables d'impartialité. Ce qui est plus proche de nous nous touche plus, c'est ainsi.

Il en va donc de notre devoir de croyants et croyantes de nous rendre proches, de rejoindre celles et ceux qui souffrent, celles et ceux qui nous sont autres, comme Pierre est allé rejoindre Corneille. Mais on bute toujours là-dessus : qu'en est-il de la justice de Dieu ? Comment croire en sa justice quand on nous affirme sans sourciller qu'il n'apparait pas à tout le peuple ?

Je vois deux pistes de réponse possibles. D'une part, cela nous renvoie à notre propre responsabilité : Dieu n'apparait pas à tout le monde, car s'il le faisait, il ne nous laisserait pas le choix, il outrepasserait la liberté qu'il nous a accordée. Du temps de Pierre, Jésus est apparu en tant qu'incarnation de Dieu à celles et ceux qui étaient prêts à le rencontrer comme tel.

D'autre part, si Dieu ne nous apparaît pas à toutes et tous en tout temps pour se manifester comme notre Seigneur, c'est parce qu'il s'est inscrit dans notre histoire humaine, dans la trame de nos vies terrestres. Jésus est né, a vécu, est mort une fois pour toutes. Mais par sa résurrection, il transcende cette histoire humaine et nous rejoint aujourd'hui, si nous le souhaitons.

Donc, ce qui peut apparaître comme une injustice, à savoir que Jésus ne s'est manifesté qu'à quelques uns, j'aurais envie de le comprendre comme une manifestation de sa justice. Et puis, si ces explications ne résolvent pas tout, si la justice de Dieu est parfois incompréhensible, c'est aussi parce que Dieu est et reste avant tout un mystère qui dépasse notre entendement.

Ce Dieu qui est à la fois la colère et la consolation pour Esaïe, ce Dieu, notre Dieu, est un Dieu qui tient tout dans ses mains. Oui, « il a fait de grandes choses », et nous sommes incités à les faire « connaître dans le monde entier ». C'est par des mots humains que l'Evangile est parvenu jusqu'à nous, c'est par nos mots que l'Evangile perdurera, c'est par nos mains que les œuvres de Dieu seront accomplies, c'est par notre justice que se verra la justice de Dieu ! Jésus n’est certes pas apparu à tous, mais son message est pour tous.

Dans cette responsabilité qui est la nôtre, Dieu ne nous laisse pas non plus tout seuls, à notre propre sort. Il a envoyé son Fils pour se faire comprendre et marcher à nos côtés. Chaque jour, il renouvelle nos forces. Chaque jour, il nous donne un espoir nouveau.

Evidemment, vous pourriez me dire que c'est bien beau tout ça, que l'histoire ne se termine pas toujours aussi bien que pour l'enfant qui attendait les feuilles de son arbre, qu'on a beau tout donner... parfois ça ne suffit pas. Mais si nous prenons nos responsabilités de croyants et croyantes au sérieux, si nous agissons à la suite du Christ, nous pouvons nous en remettre à la justice mystérieuse de Dieu. Et comme les exilés d'Esaïe, nous pouvons trouver une source de joie tout aussi mystérieuse dans le Seigneur, quelles que soient les circonstances.

Croire en la justice de Dieu, oeuvrer pour la justice de Dieu n'empêche pas de connaître la maladie, les difficultés, les atrocités de l’existence. Mais nous ne sommes pas seuls, car Jésus marche à nos côtés, car le Seigneur est notre force et notre chant ! Et cette présence de Dieu dans nos vies nous est promise quoi que nous fassions : pas besoin d'accomplir des miracles, de résoudre des conflits internationaux – mais si vous vous y sentez appelés, allez-y !

Non, nous n'avons besoin de rien pour être assurés de recevoir son amour, gratuitement, entièrement. Mais il nous appartient de partager cet amour. Car malgré sa puissance, Dieu a décidé qu'il n'aurait pas d'autre amour que le nôtre pour aimer le monde. Voilà notre responsabilité, notre réponse aux injustices qui nous taraudent : manifester par notre vie son amour pour chacune et chacun. Plus de temps à perdre : qui que nous soyons, quelle que soit notre situation, le moment est venu de saisir Sa main gracieuse, de mettre nos pas dans ceux de Jésus de Nazareth, de nous laisser porter par le souffle de l'Esprit !

Alors aujourd’hui, chantons ! Avec les exilés d’Esaïe, crions d’une même voix : « Voici, Dieu est mon salut; je me sens en sécurité, j’ai confiance, et je n’aurai plus peur. Car l’Éternel, l’Éternel est ma force et mon chant, il est mon Sauveur ! »

Au nom du Dieu trois fois saint, Amen !

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Les pasteur·e·s stagiaires de Suisse romande se réunissent pour célébrer un culte en direct depuis l’Église du Pasquart à Bienne.

Iels s'attachent à questionner la notion de justice et des réponses humaine et divine envers ce monde qui met à mal nos idéaux.

Que fait Dieu pour nous? Que faisons-nous pour le monde? Que faisons-nous pour nos semblables? Quel regard et quels actes face à ce monde où Dieu semble parfois absent? Un chemin d'incertitude où la foi reste le guide.

Un culte à suivre en images et en direct sur celebrer.ch.

Détails

Avec la participation de
Matthieu Mérillat et Sara Schulthess, pour la liturgie, Julia Durgnat, pour les lectures, Valérie Gafa et Luis Velasquez, pour la préparation
Orgue
Sara Gerber
Musique