Écouter le culte :
« Réveillez-vous ! Revêtez les armes de lumière ! Prenez garde ! Ne tombez pas dans l’abus ! Soyez vigilants, tout le temps ! », nous ordonnent les textes bibliques.
« Ô Dieu béat, tu descends des étoiles, ô divin enfant, ô adorable bambin, ne pleure plus, je n’aime que toi… », nous susurrent les Carols.
Debout ! Relevez la tête ! Alors la douce Marie pencha humblement la tête…
Pas de ripailles, pas de beuveries ! Mais… courons à la fête !
Bienvenue dans le temps de l’Avent ! À la fois temps d’action et de contemplation. D’action, eh oui ! C’est bientôt Noël, il y a les cadeaux à acheter, la dinde à commander, un t-shirt couleur saumon fluo à trouver pour le spectacle de l’école, des vacances d’été à réserver si on ne veut pas laisser passer les bons plans promo…
Et puis il y a les mandarines, les odeurs de cannelle, la neige qui a fait son apparition, et avec tout ça l’envie de se blottir sous une couverture toute douce au coin du feu en sirotant un bon thé chaud à la lueur de la bougie.
Oui, mais il ne faudrait quand même pas oublier de vite faire un petit coup de ménage, histoire que la maison soit en ordre, il se pourrait qu’un invité nous surprenne par sa venue !
Bienvenue dans le temps de l’Avent : une période dans laquelle nous sommes tiraillés à la fois par un sentiment d’urgence face à tout ce qu’il y a encore à faire avant la fin de l’année et par l’envie ou le besoin, bien de saison, de ralentir la cadence, de respirer.
Et ce qui est vrai pour l’estimable banalité de nos vies domestiques l’est aussi pour les grandes questions de la vie. L’inquiétude profonde face à ce qui se passe dans le monde ou face aux soucis qui nous touchent tout personnellement, cela est notre réalité, tout comme l’est – en même temps – la joie à la perspective de bientôt fêter Noël.
Le temps de notre actualité est rude : nous sommes écœurés de lire jour après jour les horreurs de la guerre, inquiets même lorsque nous entendons parler de cessez-le-feu, tellement on sait qu’ils sont fragiles. Nous sommes démunis face aux montées des extrémismes de toute sorte, interpellés par les replis identitaires. Et puis il y ces deuils ou la maladie qui nous touchent en plein cœur.
Et voici que grandit en nous un sentiment d’impuissance devant l’assourdissant vacarme de la souffrance de nos semblables.
Et pourtant, demain c’est Noël. Impatients, nous nous en réjouissons. Mais n’est-ce pas indécent de rire ici alors qu’on pleure là-bas ?
Nos désarrois et nos dilemmes sont malheureusement réalité tout le reste de l’année aussi. Alors pourquoi en parler spécialement aujourd’hui, me direz-vous ? Eh bien, parce que le début d’une nouvelle année liturgique me semble le bon moment pour mettre en perspective ces tensions qui nous habitent.
Dans notre tradition, le temps de l’Avent est un temps particulier de préparation et d’attente à une venue toute spéciale. Les textes bibliques du jour insistent sur l’imminence de ce qui va arriver et multiplient les exhortations à nous préparer urgemment au retour du Christ. Le chœur, quant à lui, chante la joie et la tendresse de l’accueil d’un bébé à Noël. Le temps de l’Avent signe la croisée de ces deux réalités : l’appel à agir ici et maintenant et l’attente confiante et reconnaissante. Un moment bien particulier, donc.
Paul – comme pour Luc, d’ailleurs – décrit un temps charnière, entre la venue de Jésus, sa naissance et sa vie, et son retour glorieux. Ce motif cher à la littérature apocalyptique nous paraît un peu étrange aujourd’hui. Et clairement, le concept de retour imminent du Christ est tout relatif 2000 ans plus tard.
Mais même lointaine de la nôtre, cette conviction des premières communautés chrétiennes a le mérite de nous réinterroger sur notre rapport au temps. Il n’est pas question chez Paul du temps dans sa dimension chronologique, du temps qui passe. Ce n’est pas l’ouverture l’une après l’autre des portes du calendrier de l’Avent.
Le terme que l’auteur utilise, « kairos » en grec, évoque la qualité du temps, les circonstances particulières, le temps où il se passe quelque chose, ou encore « le bon moment pour… ».
Et vous savez en quel temps nous sommes, nous dit Paul. Ne voyez-vous pas les signes ? Parce que nous ne vivons pas – je l’espère – en dehors du temps et du monde, parce que nous sommes immergés dans l’actualité de nos maisons, de notre ville, de notre pays, nous savons.
Nous savons la liste infinie des ténèbres du monde, et nous connaissons celles de nos propres obscurités. Et nous sommes en droit de nous demander si la fin n’a pas déjà commencé. Il est bien légitime de nous poser la question de quel est l’avenir encore possible, tant nous percevons de signes alarmants et décourageants.
Face à cette intensité de la nuit humaine, la tentation est grande de s’enivrer de futilité et d’un peu plus de soi-même. Qu’il est tentant de se réfugier dans le folklore aseptisé de Noël pour cacher l’amertume de la vie derrière les biscômes et chocolats, ou pour reprendre les mots de Paul, ne se préoccuper que de notre propre chair et de nos envies pour ne pas penser à nos responsabilités face à ce qui survient.
Nos têtes et nos cœurs sont à la morosité ambiante, c’est peut-être le bon moment pour réentendre la mélodie de Noël, non pas celle qui va nous anesthésier de « mignon » ou de « clinquant », mais celle qui confesse qu’une nuit, Dieu s’est donné à connaître sous les traits d’un nouveau-né pour partager la vie humaine. L’histoire de l’amour absolu, qui m’est offert gratuitement, peu importe l’épaisseur de mes propres ténèbres.
L’écoute sincère et honnête de cette bonne nouvelle fait naître en nous l’intuition que ce que nous avions pris pour les signes d’une inéluctable fin, pourrait bien en fait être l’annonce des conséquences de nos actions ou désengagements pour le monde. Ce que nous avions pris pour les signes d’une fin deviennent la promesse d’un début, d’une ouverture à l’avenir… à la condition que nous nous y engagions, que nous faisions notre part.
Oui, nous avons tout pouvoir humain de mettre en lumière les signes qui disent de nouveaux possibles. L’urgence de notre responsabilité à agir pour le bien de nos semblables naît justement de cette proximité avec le Dieu que nous confessons. Il n’y a pas de temps à perdre ! Nous ne serons pas chrétiens demain ! Nous avons une voix, nous avons la liberté ici d’exprimer nos opinions. Protestantes, protestants, nous sommes !
Alors bien sûr, quand je commence à dresser la liste de tous les combats à mener et de toutes les causes que je pourrais soutenir, j’en ai le vertige. Appréhender la nuit du monde dans son entier est anxiogène et paralysant. Mais grignoter petit bout par petit bout les ténèbres, commencer par ce qui est à notre portée, voilà qui me semble à la fois ambitieux et réaliste ! Ambitieux, car il ne s’agit ni plus ni moins que de changer le monde. Réaliste, parce que nous en avons les moyens, les capacités.
Il y a parmi nous des militantes, des travailleurs de l’ombre, des contestataires. Il y a des pacifistes, des solidaires, des révolutionnaires. Il y a des humanistes et des humanitaires, des penseurs, des altruistes, des écologistes. Des engagés pour les grandes causes là-bas, des personnes présentes pour leur voisin ici. Il y a ceux qui consolent, celles qui divertissent, ceux qui prient. Il y a des pédagogues, des visionnaires, des prophètes, des réformatrices. Il y a des optimistes, des résilients. Des enthousiastes, des modérés. Des créatives, des curieuses, des dévoués.
Alors, en Avent toute ?
Allons-nous « rejeter les œuvres des ténèbres et revêtir les armes de lumière » ? Ou pour poser la question avec les mots d’auteurs contemporains : « De l’ombre ou de la lumière, lequel des deux nous éclaire ? » (Calogero et Grand Corps Malade). Le choix nous appartient.
Moi ce matin, j’ai envie de vous dire : Mais oui ! En Avent toute ! Osons choisir la lumière, courageusement ! Devenons par nos présences et nos actions les signes d’un demain possible et déjà en train d’advenir.
Comme par la journaliste qui renonce à sa carte de presse pour dénoncer la couverture médiatique des conflits au Proche-Orient. Comme par le courageux chauffeur de taxi biélorusse qui n’embarque plus dans son véhicule de partisans de Poutine depuis que la guerre a éclaté. Par la tendresse de cette dame qui accompagne son amie à l’enterrement de son mari. Par celle qui prend des nouvelles. Par ce petit frère qui vient rechercher son aîné à la gare au retour de camp. Par celle qui donne des cours aux migrants, par celui qui assure le transport de personnes qui ne peuvent plus le faire par elles-mêmes, par celle qui dénonce les injustices subies par sa collaboratrice.
Par nous tous et par chacune, l’affirmation de Paul devient réalité maintenant : « La nuit est avancée, le jour approche. »
Le temps de l’Avent est un bon moment pour nous préparer à fêter l’humanité dans ce qu’elle a de plus beau à offrir au monde : l’espérance en « du toujours et du encore mieux possible » !
Nos fêtes à venir, protégées, l’espace d’un instant, de nos tracas du quotidien et de la tourmente du monde, deviendront, elles aussi, occasion de partager cette espérance, de dire notre reconnaissance, de puiser dans les paroles et les sourires échangés, la force et la volonté de nous engager.
En Avent toute !
C’est le moment de nous mettre debout face à la vie qui vient, de l’accueillir et de nous y investir. Réveillons-nous à nos semblables !
« Le salut est plus proche de nous qu’au moment où nous avons cru. » Le Fils de l’Homme est là, dans nos engagements et dans nos fêtes.
Amen.