Les trois immortels: 2. Ressusciter l’espérance

Temple de Vandoeuvres (©Alexandra Urfer Jungen)

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Pâques est la découverte d’une dimension supplémentaire de notre vie. C’est ce dont parle l’apôtre Paul quand il affirme dans une de ses pages les plus célèbres que « Maintenant donc, ces trois choses demeurent pour toujours : la foi, l’espérance et l’amour ». Nous aurions donc trois qualités divines qui sont plus fortes que la mort : la foi, l’espérance et l’amour.

Lors de cette deuxième prédication, je vous propose de nous pencher sur cette espérance dont il est question ici, et qui est plus forte que tout ce qui peut arriver. Or nous savons bien que les choses ne s’arrangent pas toujours, on m’a même dit que je devrais mourir un jour, ce qui ne m’amuse pas ! Par conséquent, « l’espérance qui demeure pour toujours », c’est autre chose qu’avoir simplement de l’espoir de ne pas avoir de problèmes, c’est plus profond que cela.

Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? Comment recevoir cet encouragement puissant pour en vivre concrètement ?

C’est ce que je vous propose de regarder avec l’histoire de Jonas. C’est une histoire importante pour Jésus, qui la cite pour nous expliquer comment Dieu nous sauve. Cette histoire de Jonas est un conte théologique de la Bible : Jonas est avalé par un grand poisson qui l’entraîne au fond de la mer.

Dans la Bible, la mer est une image du chaos, cela évoque les tempêtes qui peuvent frapper nos vies, quand nous nous sentons ballotés par les événements, plus ou moins submergés et buvant la tasse. L’image de ce monstre marin qui avale Jonas tout vivant est encore pire : c’est comme quand les tempêtes de notre existence nous avalent tout cru, nous emprisonnent et nous entraînent plus au fond encore.

Ce langage imagé de la Bible nous permet de nous approprier ce récit, quelle que soit la pire des situations dans laquelle nous serions. Avec compassion pour toute personne qui souffre et se sent comme au fond du fond du gouffre, pris à la gorge.

Même alors, quand notre être extérieur se détruit, nous dit Paul ailleurs, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour (2 Cor. 4, 16) : c’est l’espérance qui demeure, l’espérance peut ressusciter.

C’est ce que raconte cette histoire de Jonas quand il va prendre conscience que même là, au fond du fond de l’abîme, il est à la racine des montagnes. Même au plus bas, nous sommes portés par la racine de toutes grandeurs.

Il nous arrive d’être déçu de nous-mêmes et de notre vie, c’est normal. Mais parfois ce sentiment de ne plus rien valoir peut devenir comme une solitude et une souffrance abominable, où l’on est comme Jonas dans ce psaume saisissant : pris à la gorge, plus bas que terre, ne voyant plus aucune issue possible. Dans les paroles de ce texte, on sent le vécu d’une personne qui a traversé cela.

Pourtant, au cœur de ce psaume de détresse, un léger frémissement, un étonnement apparaît : même au fond du fond, Jonas sent qu’il est porté par quelque chose d’immense. C’est la résurrection d’espérance. Il faut dire que Jonas est un peu prophète, et nous le sommes aussi.

Avez-vous perçu l’étincelle de résurrection au milieu de cette détresse abominable de Jonas ? C’est une intuition, une révélation, une découverte, un éclair de lucidité qui change tout, du fond même du gouffre. Cette étincelle est dans ces mots : « Je suis descendu jusqu'aux racines des montagnes ».

Cette image est géniale : alors que l’on au plus bas, sentir que nous sommes pourtant « aux racines des montagnes », à leurs fondations, là où les montagnes sont les plus fortes et les plus enracinées. Notre situation ne se résume pas à la somme de nos détresses. Il n’y a pas de désastre si profond que nous ne soyons plus une personne portée par la racine de toute élévation, de toute grandeur et de toute beauté. C’est comme cela et nous n’y pouvons rien : nous sommes aimés et gardés. C’est immense et solide comme un Himalaya.

L’espérance, c’est cela : sentir notre dignité radicale, que cela aille bien dans notre vie ou que ça n’aille pas bien du tout. Se sentir soutenu, gardé. C’est sentir que notre vie, même dans les abîmes de tout ce que l’on pourrait craindre, est définitivement digne d’être vécue, elle est et restera toujours portée par les racines-même de toute grandeur. 

Cette espérance permet alors de voir autrement la réalité. Avant, Jonas se sentait incapable d’apporter quoi que ce soit à personne. Avant, dans sa détresse, Jonas pensait que Dieu était responsable du mal qui l’accablait. Il saisit que c’est l’inverse : Dieu est source d’élévation, encore et toujours, même si nous étions entièrement responsables de nos malheurs, comme Jonas ici. Jonas peut alors renouer avec Dieu. Ce qui permet à Dieu de soigner Jonas de son abattement, de ce monstre qui le tenait dans sa gueule, au fond du fond, et il recrache Jonas sur la terre ferme. C’est comme l’accouchement d’un nouveau Jonas. Il revient autrement sur la terre des vivants, il est même un peu source de vie.

Alors comment cette résurrection de notre espérance peut nous arriver ? Cela se reçoit en partie, cela peut aussi se préparer et s’entraîner, grandir gentiment.

 

1. Par cette sensibilité qu’est la mystique

Je connais des personnes qui font l’expérience qu’un amour immense les garde. Cela peut venir progressivement, comme un bilan après quelques mois de prière régulière. Cela peut venir par surprise chez une personne qui n’a rien fait pour. Par exemple, je me souviens d’une femme qui est venue demander à être baptisée, c’était 5 ans après avoir vécu une expérience de la sorte, alors qu’elle était une personne athée, équilibrée et rationnelle, et qu’elle était en train de faire du tourisme avec sa famille athée. Elle n’en a parlé à personne, elle a cherché si elle était seule à avoir vécu ce genre de chose, s’est rendue compte que non, et a fait le lien avec ce que l’on appelle Dieu. Elle n’avait rien fait pour bénéficier de la naissance de son espérance. Ce n’est pas que Dieu réserverait son amour à certains, c’est simplement une sensibilité plus grande chez certaines personnes.

Même si ce n’est pas toujours si spectaculaire, en se plaçant devant ce Dieu-Amour que révèle le Christ et que Paul nous présente ici, il est possible de progressivement avoir un autre regard sur nous (et sur les autres autour de nous). Le regard de Dieu qui nous connaît et qui reconnaît notre valeur infinie quoi qu’il arrive, alors que nous avons du mal à nous apprécier à notre juste valeur.

Comme le dit Paul : « Aujourd'hui je connais partiellement, d’une façon confuse, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu. » Ou cette parole équivalente de Jean : « Si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur, il connaît toutes choses. » (1 Jean 3, 20). Et il nous aime, nous estime, nous garde, car « Dieu est amour ».

Pour ceux qui n’auraient pas assez (ou pas du tout) senti qu’un tel amour nous gardera toujours, tout n’est pas perdu. Il y a encore des portes pour cette espérance.

 

2. Une personne peut nous dire son estime

Et cela peut tout changer dans notre façon de nous voir. Cette personne est alors pour nous comme un ou une ange venant nous dire la réelle valeur de notre personne et de notre vie. Cet ange-là peut tout à fait être une personne athée, comme le dit Jean : «Quiconque aime est né de Dieu» (1 Jean 4, 7).

Une parole d’estime dite avec sincérité est puissante pour ressusciter l’espérance. Vraiment ! Cela élève notre regard sur ce qui compte le plus dans la vie, et cela peut sortir une personne du gouffre qui l’avait engloutie. C’est ce que propose ce Psaume 121 où une personne dit à une autre que, sans condition, « l’Éternel, te garde, il garde ton âme, il garde ton départ et ton arrivée, dès maintenant et pour toujours. »

C’est à cela que sert le baptême donné à un enfant ou à un adulte. Les rites sont choses puissantes pour l’humain : cela vient dire solennellement que cette personne sera toujours une personne que Dieu aime, garde et bénit. 

Mais même si l’on n’a pas eu la chance de sentir Dieu, ni la chance d’être au moins un petit peu aimé, tout n’est pas perdu pour que naisse notre espérance.

 

3. On peut s’entraîner à l’émerveillement

Le philosophe et mathématicien Wittgenstein nous appelle à nous émerveiller et à nous étonner de l’existence du monde, que cela peut nous amener à sentir que rien ne peut nous atteindre dans ce que nous sommes de plus précieux. Pourquoi ? Le simple fait que l’univers existe, que la vie existe, et que nous soyons là, vivant – même s’il y a encore des progrès à faire – c’est déjà absolument époustouflant. Et l’univers est beau, en plus, de ses plus petites parties aux plus grandes. Or nous sommes une part de cet univers incroyable, tout élément participe à l’ensemble, ça forme un tout.

J’ai personnellement saisi cela un jour où j’accompagnais un groupe de jeunes dans une randonnée d’une semaine en autonomie dans la montagne, nous étions dans un alpage complètement reculé où il n’y a même pas de sentier. Tout en marchant, un des jeunes s’est mis à s’amuser à décapiter une fleur par-ci, une autre par-là, d’un coup de bâton. Je lui ai fait remarquer que je trouvais cela dommage, il m’a répondu que de toute façon personne ne regarderait ces fleurs dans ce coin perdu et que cela l’amusait. Sur le moment, j’ai eu du mal à répondre. Mais cela m’a fait creuser l’intuition que j’avais eue : même quand ces fleurs ne sont pas regardées ni ne nourrissent un chamois, elles font partie de l’ensemble de l’univers. Elles sont précieuses. Si on les méprise c’est l’univers entier que l’on atteint.

Quand une personne n’a plus d’espérance en perdant l’estime d’elle-même et de sa propre vie, c’est une fleur d’alpage qui est atteinte, une magnifique fleur en plus : celle d’une personne vivante malgré peut-être des conditions difficiles. Si cette vie n’était plus digne, c’est comme si du coup, plus rien n’avait de valeur ni de sens dans l’univers. C’est ce que nous dit Jésus : jamais nous ne serons moins précieux qu’un moineau, une herbe des champs ou une fleur d’alpage. (Matthieu 6, 28-29) Dieu se soucie du moindre de nos cheveux, même de celui qui tombe.

La sagesse nous le dit, et Dieu nous le dit : en vérité, nous sommes dignes, nous et notre vie, non seulement d’exister mais d’être admirés et aimés.

 

4. L’exercice joyeux et fécond de la louange

Cette conscience se travaille par l’émerveillement et la gratitude, par l’étonnement. Quand nous pratiquons cet exercice dans une ouverture à Dieu, cela devient le bon exercice de la prière de louange pour les petites et grandes choses, et aussi pour le fait d’être la personne que nous sommes. Cela nous connecte à cette source de la vie qu’est Dieu (voir la prédication précédente sur la foi).

C’est donc bien que le Psaume nous suggère de prier ainsi : « Éternel, je te chante de ce que je suis une créature si merveilleuse ! » (Psaume 139, 14). Car c’est vrai. Manquer d’humilité consisterait à se prendre pour un dieu (c’est une maladie), mais Dieu ne veut pas nous humilier, au contraire : il nous élève, il nous relève – c’est un Amour. Il nous fait saisir que nous sommes, en fait, une créature merveilleuse : c’est la racine d’une espérance vraie. Ça peut même nous donner l’idée de faire ce que nous pourrons de cette vie, en rayonnant un peu de quelque chose, ou en apportant une goutte d’estime à quelqu’un.

Notre espérance nous situe autrement face à la vie : dans la mesure où nous sommes gardés de toute façon, nous pouvons avoir moins peur de l’opinion des autres, moins peur de ce qui pourrait arriver. Une racine inébranlable nous porte. L’espérance ressuscitée.

Dans la suite de Pâques nous regardons vers ce qui est rendu vraiment vivant. L’apôtre Paul lance ce cri «Maintenant donc ces trois choses demeurent pour toujours: la foi, l’espérance et l’amour». Trois qualités immortelles.

Lors de cette deuxième prédication nous chercherons comment le Christ donne vie à notre espérance, même quand nous sommes au fond du fond de l’abîme.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Christophe Bitar
Musique
Jaime Caicompai, ténor