Dimanche de la Réformation: «Mais la Parole n’est pas enchaînée!»

Temple d'Orzens (©Frédéric Burkhard)

Écouter le culte :

« La parole de Dieu n’est pas enchaînée – elle est libre ! » Une phrase qui n’a l’air de rien, glissée comme une parenthèse, au milieu de déclarations théologiques bien costaudes dont les lettres de Paul et de ses disciples nous ont habitués et parfois un peu éloignés.

Pourtant quelle nouvelle, non !? Au milieu de toutes les paroles que nous entendons, il en est une qui est libre. Libre de nous rencontrer, de nous résister, de nous questionner, libre de nous aimer. Libre des circonstances que nous traversons.

Cette parole, elle est là, à portée de main, sous nos yeux, dans nos Bibles. Elle tombe dans vos oreilles en français courant. En quelques clics, elle apparaît sur mon téléphone portable, libre de circuler.

Et cela nous le devons à la Réforme. C’est son cadeau, son charisme pour l’Église et pour le monde d’avoir désenclavé l’Écriture sainte pour la rendre à sa liberté. Les Réformateurs l’ont extraite du latin pour la traduire dans la langue de tous les jours et en partant, ils l’ont libérée de l’interprétation exclusive du clergé. Cette parole biblique a été imprimée. Elle s’est mise à passer de mains en mains.

Du coup, Luther, Calvin et les autres ont remis en jeu la dynamique de la parole biblique pour en faire une parole de Dieu reçue dans la liberté de l’Esprit, dans sa liberté de nous rejoindre, de nous nourrir, de nous relier les uns aux autres lorsque nous partageons nos découvertes.

En ouvrant la pluralité de sens des mots qu’elle contient et des interprétations multiples qu’elle provoque, la Réforme a rendu à la Bible sa vivacité. En la sortant de son carcan religieux, elle a donné à la parole biblique de rejoindre les débats, d’entrer dans les questions d’aujourd’hui, libre de nous parler aux feux rouges, affichée entre deux pubs pour une assurance et une agence de voyage !

Question : est-ce qu’une parole désormais si facilement accessible est, pour autant, une parole libre de m’atteindre, de parler pour elle-même dans sa propre liberté ? Pas si sûr ! Il faut encore que cette parole soit comme délivrée par celle ou celui qui l’entend.

Revenons à Paul. Que vit-il ? Le contexte de cette deuxième lettre de Paul à Timothée le situe dans une prison à Rome. Il éprouve l’isolement, mais aussi l’abandon des uns et des autres à son procès. L’apôtre prend conscience de sa fin qui approche et il en parle dans la suite de sa lettre. Bref, Paul aurait toutes les raisons de lier la parole de Dieu à ses souffrances, à son angoisse.

C’est la tentation forte que nous avons tous et toutes de faire de la parole biblique une parole entendue, une parole qui corresponde à ce que nous vivons qui soit pour nous comme une approbation, une explication ou une condamnation à l’égard de ceux qui nous font souffrir. Du coup, quand elle est lue au prisme de notre angoisse, de notre combat pour une cause, la parole de Dieu n’a plus les coudées franches.

« Nous sommes dans un temps de sommations », écrivait l’auteur franco-algérien Kamel Daoud, s’exprimant sur le difficile dialogue entre Juifs et Arabes. Chacun est sommé de choisir son camp, de correspondre à la pression qu’on exerce sur lui et Dieu aussi, au bout du compte !

Comment fait Paul pour délivrer la parole de Dieu et la garder libre ?

Je ne sais pas si vous avez entendu à la lecture, Paul commence sa phrase par un mot clef, un « mais » : « Mais la parole de Dieu n’est pas enchaînée ». Ce « mais » crée tout à coup une distance par rapport à ce qu’il vient d’affirmer et par rapport à sa situation de prisonnier. Un « mais » qui ouvre l’espace d’une prise de conscience. Il se passe quelque chose dans cet interstice.

Paul se met en disposition d’entendre une parole qui vient d’ailleurs que de son malheur. « Même moi, Paul le théologien, l’homme de foi d’expériences en train de rédiger son testament spirituel, je ne sais pas tout, je laisse à Dieu la parole dans ce que je traverse. Il n’a pas rien à dire dans ce qui survient sur mon chemin. Il a peut-être même quelque chose d’autre à dire que ce que je me dis à moi-même, que ce que je rumine. »

Cette liberté de résister à la contamination du malheur et de la honte me fait penser à une autre prisonnière, des circonstances de la persécution nazie cette fois-ci, Etty Hillesum, jeune Juive à Amsterdam qui écrit dans son journal : « Je vais t’aider mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. C’est tout ce qui nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. » (Extrait de « Une vie bouleversée ».)

Le « mais » de Paul, le souci de Etty, de maintenir coûte que coûte un espace sacré et préservé en soi pour la présence de Dieu, deux pistes pour nous aider à délivrer sa parole.

Faisons le pas suivant.

La parole de Dieu a été désenclavée par la Réforme, elle a été délivrée par Paul, mais quels sont les effets de cette parole libre et libérée ? Je crois qu’elle devient à son tour créatrice de liberté pour celui qui l’entend ainsi, et pour ceux avec lesquels il ou elle est en communion.

Pourquoi ? Parce que c’est une liberté, celle de Dieu : sa liberté de parler qui dialogue avec une autre liberté, la liberté de celle ou celui qui l’écoute. Et quand ça se passe, sans sommation, sans soumission, naît une éventualité, une nouvelle perspective, une manière de vivre les choses autrement.

Reprenons notre texte.

Après avoir affirmé la liberté de la parole de Dieu, après l’avoir reçue au bout de son «mais», Paul reprend la parole : « C’est pourquoi je supporte tout pour le bien de ceux que Dieu a choisis, afin qu’eux aussi obtiennent la libération qui vient de Jésus-Christ ainsi que la gloire éternelle ».

Paul discerne alors que la souffrance qu’il traverse a du sens dans le lien avec le Christ, mais aussi pour d’autres, qu’elle le relie à Timothée, aux chrétiens d’Éphèse, aux visages et aux noms (il y en a tout plein dans cette lettre !) de celles et ceux qu’il connaît. Il mesure que son expérience peut être libératrice pour eux s’il entre lui-même dans la liberté de la vivre avec le Christ. Il comprend que derrière les apparences de deux situations qui s’opposent – la prison et la vie en liberté – c’est le même combat qui se joue : la libération effective, le salut opérant du Christ. Il est juste lui, Paul, un bout de côté, en avant ou plus profond que la réalité que vivent ses lecteurs.

Ainsi l’apôtre ne se soumet pas à la honte dont on l’accuse de connaître la prison ; il n’y voit pas non plus une réprobation divine, mais le lieu d’une nouvelle expérience avec le Christ, d’un approfondissement de son lien avec lui, d’une découverte à transmettre pour les églises avec lesquelles il est en lien.

C’est cette conviction qu’il laisse à Timothée : « N’aie donc pas honte du témoignage à rendre à notre Seigneur, ni de moi son prisonnier, mais souffre avec moi, pour l’Évangile en comptant sur la puissance de Dieu. »

Le chemin de la prison devient alors un chemin de communion. C’est la liberté de Dieu et la liberté de Paul de le vivre ainsi.

Mais la parole de Dieu n’est pas enchaînée ! Elle est libre !

Que nous puissions à notre tour en faire pleinement l’expérience. Alors notre parole, notre prière, trempées dans cette liberté, sera à son tour porteuse de liberté et de libération. Alors l’Église entrera plus avant dans son autorité dans le Christ, elle sera créatrice de liberté et de nouvelles perspectives dans les souffrances et les angoisses du temps présent, de tant d’hommes et de femmes en attente d’une parole réellement libre.

Amen.

«La Parole de Dieu n’a pas de chaînes», affirme de sa prison l’apôtre Paul à Timothée.

Quinze siècles plus tard, la Réforme a désenclavé la parole biblique du clergé et du latin. Elle a rendu à cette parole sa circulation, son dynamisme et aussi sa liberté d’être interprétée diversement.

Un héritage précieux que menacent aujourd’hui de nouvelles entraves?

Garder à la Parole de Dieu sa liberté de venir d’ailleurs, de faire intrusion, de questionner comme de mettre en route reste un enjeu de notre foi.

 

Détails

Avec la participation de
Evelyne Lavanchy pour les lectures bibliques
Orgue
Christianne Cornu Cavin
Musique
Quatuor de flûtes à bec, avec Marianne Amrein, Sandrine Branche, Philippe Thuler et Jean-François Pochon.