Écouter le culte :
Voici une parole forte que Jésus nous a apprise et a rendue possible, Matthieu 6, 12 :
« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. »
Le pardon. C'est une question qui est régulièrement posée lors de grands procès. On veut savoir si l'accusé reconnaît les faits ; on veut l'entendre demander pardon à ses victimes, ou à la famille de la victime. Quand la télévision interviewe les parties civiles après l'annonce du verdict, elle pose parfois la question du pardon. Parfois les gens disent : « J'ai de la haine. Je ne peux pas pardonner. Je ne pardonnerai jamais. » Et on les comprend.
Plus rarement, vous entendrez une parole de pardon, tout à fait étonnante, et vous vous demanderez si ceux qui parlent ainsi n'ont pas un arrière-plan chrétien : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. »
Il y a un lien entre le pardon et la justice, ou plutôt, entre le pardon et l'injustice. Mais c'est un lien compliqué.
Faisons un voyage dans le temps, jusqu'en l'an 30 de notre ère, ou à peu près l'an 30.
(Lecture de Matthieu 27 : 15-26.)
Dans les cachots de Jérusalem, gardé par des soldats romains, se trouve un assassin, l'homme qui a tué l'un de vos proches. Cet homme s'appelle Barabbas. La Bible dit qu'il a été emprisonné pour un meurtre commis lors d'une émeute. Vous savez qu'il va payer pour son crime, qu'il va être exécuté. Et vous êtes un homme ou une femme du 1er siècle : vous pensez que c'est normal, que c'est juste. La mort de Barabbas ne va pas ramener à la vie votre fils, votre mari, votre frère, votre père. Mais au moins, il aura reçu ce qu'il mérite. Vous pourrez maintenant « faire votre deuil », comme on dit. Et puis, coup de théâtre : vous apprenez que par la seule volonté du gouverneur romain, Barabbas va pouvoir partir libre comme l'air.
Quel est votre sentiment ? Mais c'est un sentiment de colère, d'une double injustice ! Non seulement Barabbas vous a-t-il privé d'un être cher, mais en plus il échappe à toute punition !
C'est exactement ce qui se joue dans certains procès. Les faits sont là, à tout jamais. Mais si la justice passe, d'une certaine façon, les choses rentrent dans l'ordre. Et si les coupables s'en tirent à bon compte, nous trouvons que ce n'est pas normal. Nous pourrions même être tentés de nous faire justice nous-mêmes.
Dans le pardon, il y a quelque chose qui n'est pas normal. Et on demanderait à Dieu de nous pardonner ? D'abord, avouons-le, c'est incongru ! Nous n'avons ni tué, ni volé. Et puis, à supposer que nous ayons réellement fait quelque chose de grave, demander le pardon, ce ne serait pas juste ! Notre demande de pardon va heurter la conscience de ceux que nous aurions lésés. « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. »
Si Dieu ne s'occupe pas de ce qui est juste et de ce qui n'est pas juste, personne n'a à lui demander pardon de quoi que ce soit. Mais si Dieu tient à la justice, alors il n'a aucune raison de nous pardonner.
Essayons de voir cette tension d'un peu plus près. Dieu s'occupe-t-il de ce qui est juste et de ce qui n'est pas juste ? Les gens le pensent. Parce que quand les choses vont de travers, ils en veulent à Dieu, ils se plaignent et disent : « Ce n'est pas juste ! »
La Bible dit que Dieu s'intéresse à ce qui est juste et pas juste. Il donne des lois, les Dix Commandements, par exemple. Il jugera le monde, nous est-il dit. Il exige que ceux qui s'approchent de lui soient propres, purs, justes, saints. On t'a enseigné ce qui est bien, ce que le Seigneur exige de tout être humain : il demande seulement que tu respectes les droits des autres, que tu aimes agir avec bonté et que tu suives avec humilité le chemin que lui, ton Dieu, t'indique (Michée 6 : 8).
La Bible dit que Dieu s'intéresse à ce qui est juste et pas juste. Et quand la vie les malmène, les gens de la Bible se plaignent auprès de Dieu : David dans les Psaumes, Job, le prophète Jérémie, Jonas… Ils réclament justice. S'il n'y avait pas de Dieu, il n'y aurait personne à qui se plaindre. Il n’y aurait que le hasard et la nécessité. Il n'y aurait aucune raison de se plaindre. La nature ne se plaint pas du cycle de la vie et de la mort. Les humains s'en plaignent, et contrairement aux bactéries, aux moustiques, aux souris, ils en appellent à une justice supérieure.
Dieu a inscrit dans la conscience humaine certaines notions élémentaires de justice qui ressortent tout le temps. « Pardonne-nous nos offenses » : c'est donc qu'il y en a, des offenses, et que nous en avons tous et toutes commis. « Je n'ai ni tué, ni volé ! » C'est très superficiel de dire cela. Sur le plan pénal, ça va. Mais sur le plan plus personnel ?
J'ai sans doute dit et pensé des choses qui ont semé la mort dans l'âme de quelqu'un. J'ai blessé. J'ai négligé de guérir une blessure. J'ai négligé de porter secours. J'ai peut-être triché, j'ai peut-être été pris dans un engrenage, j'ai menti, j'ai négligé la générosité, j'ai été infidèle. Inoxydable, moi ? Ah non, je sais qu'il y a des tâches de rouille. « Pardonne-moi... »
Qu'est-ce qui se passe chez vous quand il y a de petits accrochages entre mari et femme, entre parents et enfants ? A un premier niveau, j'espère qu'il ne se passe rien du tout. L'amour fait que nous passons sur une quantité de choses. Heureusement ! A un deuxième niveau, j'espère que nous arrivons à dire : « J'ai eu tort, je regrette, j'ai réagi trop vite, trop fort, trop bêtement : pardonne-moi. »
J'espère que nous arrivons à demander pardon, et à accorder le pardon. Il y a eu un tort. Il faut le reconnaître : il faut que la personne blessée le reconnaisse et que la personne qui a blessé le reconnaisse. On peut alors pardonner sans autre forme de procès.
Mais il y a parfois un troisième niveau, quand la justice doit être saisie. Abus, violence, harcèlement, privations : certains actes doivent être sanctionnés par la loi. La justice doit passer. Le pardon individuel n'est plus la seule considération quand l'intégrité physique et morale des personnes est en cause.
Si nous restons dans le cadre familial habituel, nous ne relevons pas toutes les fautes, nous pardonnons sans exiger que l'autre paie. Je l'espère en tout cas. Nous n'avons pas, nous, à nous poser comme des défenseurs de ce qui est vrai et juste. Nous sommes en fait tellement habitués à vivre dans un monde imparfait, avec des êtres imparfaits, en étant nous-mêmes imparfaits, que le péché n'est pas un problème pour nous. Il est regrettable, sans plus. Mais on fait avec, sans toujours le reconnaître
Alors, pourquoi faudrait-il demander pardon à Dieu pour tout ? Pourquoi il ne peut pas simplement passer dessus, pis voilà ? Pourquoi s'occuperait-il de nos peccadilles ? La raison est toute simple : Dieu est l'origine et le garant de toute justice. Il s'en préoccupe dans la sphère publique comme dans la sphère privée. Il a inscrit sa Loi dans les consciences, il l'a révélée aux prophètes, il l'a rendue concrète et vivante en Christ. Dieu tient à la justice.
« Pardonne-nous nos offenses » : cela revient-il à dire à Dieu, « Oublie donc la justice ». Non ? Non, alors, parce que je vais devoir payer. Parce que je vais souffrir. Parce que je vais me réformer. Parce que je vais devenir très pratiquant.
Au Moyen-Âge les personnes riches auraient dit : Parce que je vais payer des gens pour qu'ils prient pour moi, pour que Dieu soit indulgent. Je peux m'en sortir, je peux me racheter une conduite, une impeccabilité... Non ? Manifestement, non. Un criminel peut régler sa dette envers la société. Mais nous tous et toutes, envers Dieu, il y aurait tant de choses qui mériteraient que la justice passe.
Dans un vieux cantique, Ruben Saillens le dit de cette manière :
Tous les travaux de mes mains
Pour te plaire seraient vains.
Lors même qu'en ma détresse,
Mes pleurs couleraient sans cesse.
Ils ne sauraient me laver :
Toi seul peux et veux sauver.
Oui, si salut il y a, il ne peut venir que de Dieu. Une délivrance qui respecte la justice de Dieu et qui manifeste l'amour de Dieu. Le Grand Pardon ! Est-ce possible ?
Pour répondre à cette question, nous allons écouter un poète un peu plus ancien que Ruben Saillens, puisqu'il a vécu 700 ans avant le Christ. Il s'agit du prophète Ésaïe. Et dans son poème, il imagine quelqu'un qu'il appelle le Serviteur de l'Éternel. Ce Serviteur va faire beaucoup de choses. Et surtout, il va réconcilier la justice de Dieu et le pardon.
Le poème commence avec ces mots (Esaïe 52 : 13) :
« Voici, mon serviteur agira en toute sagesse, il sera haut placé, très élevé, grandement exalté. »
Ensuite on découvre que le Serviteur sera complètement rejeté par les humains, méprisé, abandonné. Et puis le prophète arrive au cœur de son message (Esaïe 53 : 3-6) :
« Il était méprisé, abandonné des hommes, un homme de douleur habitué à la souffrance. Oui, il était semblable à ceux devant lesquels on détourne les yeux. Il était méprisé, et nous n'avons fait aucun cas de sa valeur. Pourtant, en vérité, c'est de nos maladies qu'il s'est chargé, et ce sont nos souffrances qu'il a prises sur lui, alors que nous pensions que Dieu l'avait puni, frappé et humilié. Mais c'est pour nos péchés qu'il a été percé, c'est pour nos fautes qu'il a été brisé. Le châtiment qui nous donne la paix est retombé sur lui et c'est par ses blessures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants, pareils à des brebis, chacun de nous allait par son propre chemin : l'Éternel a fait retomber sur lui les fautes de nous tous. »
Le châtiment qui nous donne la paix est retombé sur lui. Le châtiment, c'est pour que la justice soit satisfaite. Donner la paix, c'est pardonner.
Je cite de nouveau Esaïe 53 : 9-11 :
« On a mis son tombeau parmi les criminels et son sépulcre parmi les riches, alors qu'il n'avait pas commis d'acte de violence et que jamais ses lèvres n'avaient prononcé de mensonge. Mais il a plu à Dieu de le briser par la souffrance. Bien que toi, Dieu, tu aies livré sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance. Il vivra de longs jours et il accomplira avec succès ce que désire l'Éternel. Car après avoir tant souffert, il verra la lumière, et il sera comblé. Et parce que beaucoup de gens le connaîtront, mon serviteur, le Juste, les déclarera justes et se chargera de leurs fautes. »
Les chrétiens n'ont aucune difficulté à voir dans ce Serviteur de l'Éternel la personne de Jésus-Christ, qui prend sur lui le poids de nos fautes et qui nous en libère. Pleinement homme, l'un de nous, il subit la justice divine à notre place. Pleinement Dieu, il s'offre lui-même pour nous. Et notre pardon est acquis. Mais ce n'est pas juste ! Non, ce n'est pas juste. C'est plus que juste ! C'est généreux. C’est divin.
« Pardonne-nous nos offenses... » : ça, je peux le prier aujourd'hui, parce que je sais quel est le prix du pardon. Parce que je sais que Dieu n'a pas jeté aux orties sa sainteté. Parce que je sais qu'en Christ, à la croix, l'amour et la justice de Dieu se retrouvent, et que je peux en être le bénéficiaire.
« Pardonne-nous nos offenses... » : c'est l'Église qui prie ainsi. Ce sont les chrétiens qui reconnaissent qu'ils ne sont pas à la hauteur et qui viennent demander pardon à celui seul qui peut leur pardonner.
« Comme nous pardonnons... » : parce que le pardon reçu de Dieu induit normalement et logiquement une attitude généreuse à l'égard de ceux qui nous font du tort. Je n'ai pas à m'ériger en juge. Je n'ai pas à me venger. Je peux confier toute injustice à Dieu et, dans certaines situations, aux magistrats que Dieu a voulus pour réguler les affaires des hommes.
Et je peux même dire, comme Jésus : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. » Je me libère ainsi d'une immense charge. Et je prie pour la conversion de ceux qui m'ont fait du mal.
Refaisons ce voyage dans le temps jusqu'en l'an trente de notre ère, ou à peu près l'an trente. Dans les cachots de Jérusalem, gardé par des soldats romains, se trouve un assassin, l'homme qui a tué l'un de vos proches. Cet homme s'appelle Barabbas.
Par la seule volonté de Ponce Pilate, Barabbas va pouvoir partir libre comme l'air. Il ne peut sortir libre que parce qu'un innocent, Jésus, va mourir à sa place. Imaginez ce qui a pu se passer dans sa tête quand il s'en est rendu compte. Peut-être s'est-il dit que Jésus n'a pas eu de bol. Peut-être s'est-il senti coupable, comme tant de personnes qui survivent à un événement grave. Peut-être a-t-il pensé qu'il avait une dette envers Jésus. Peut-être même a-t-il cherché à se renseigner sur lui. Peut-être a-t-il appris trois jours plus tard que Jésus est ressuscité.
Avec des « si » et des « mais », on mettrait Meyrin en bouteille ! Mais si jamais Barabbas s'est dit : « C'était sa vie pour la mienne, sa mort pour la mienne », il a certainement été changé.
Moi, j'ai une dette envers Jésus, de la même nature. C'était sa mort pour la mienne, sa vie pour la mienne. Le Grand Pardon, je ne peux pas rester comme avant. J'ai changé, je veux continuer à changer, à vivre du pardon et à le pratiquer.
Et toi ? « Pardonne-nous nos offenses... » Ce n'est pas juste ! C'est une générosité inouïe qui se déploie ! C’est divin !
Amen.