Qu'avons-nous à espérer pour le monde?

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"Notre Père, qui es aux cieux, que ton règne vienne !" Jour après jour, dimanche après dimanche, la prière de Jésus devient notre prière, notre cri : que ton règne vienne ! que ton Royaume s'établisse enfin, que vienne le temps où se réalisera la plénitude promise !
L'annonce de la venue du règne de Dieu est au cœur de l'évangile. Jésus en a parlé, non pas comme si c'était un thème parmi les autres, mais comme le thème central, le thème source qui inspirait et donnait sens à toute sa vie, sa prédication et ses actes. Et les Béatitudes, souvent considérées comme l'essence du christianisme, sont en quelque sorte le "programme" de ce Royaume; elles nous disent, elles suggèrent ce à quoi il ressemblera.
Quelle espérance pour le monde ? Je crois bien qu'il n'y en a pas d'autres que celle contenue dans les béatitudes. D'abord parce qu'il y a ce mot magique "heureux". S'il est un mot qui nous fait tressaillir et nous fait toujours nous relever, c'est bien le mot "bonheur". En effet, chacun, croyant ou non, chaque peuple aspire au bonheur, qui soit un bonheur de l'être profond, et un bonheur avec les autres. Toutes les religions et toutes les idéologies prônent une terre d'où la souffrance et le mal seront bannis, toutes les manipulations aussi jouent avec ce désir d'un monde meilleur, depuis les simples spots de pub à la TV jusqu'aux fanatismes les plus dangereux.
L'avenir annoncé dans les béatitudes correspond - même si d'autres mots peuvent le décrire - à ce que tout homme attend ou a attendu : la justice et la terre en partage, la dignité de chacun retrouvée, la réconciliation et la paix, enfin visibles. L'actualité de partout brandit quotidiennement cet idéal, qui engendre les plus beaux engagements ou justifie les pires bassesses.

Nous le sentons bien, l'espérance ne pose pas de problème quant à son contenu, mais bien plutôt par rapport à ce que nous en faisons. Quelle place occupe-t-elle dans nos existences ? Est-elle tellement utopique que, lorsqu'on la garde encore, elle n'est plus qu'une bulle hors du réel, comme un rêve où il fait bon se reposer momentanément ? Ou est-ce qu'elle a un impact dans notre cœur, dans nos comportements et dans notre regard sur le monde ? Pour être crédible, l'espérance ne doit pas nous extraire du lieu et des circonstances que nous vivons aujourd'hui. Le réalisme biblique va jusqu'à dire que, parce qu'elle n'est pas une fuite, l'espérance fait mal. "La création", écrit l'apôtre Paul "souffre et gémit en attendant la plénitude du salut, la révélation des enfants de Dieu", autrement dit : la visibilité du Royaume.
Effectivement, il y a un décalage qui fait mal entre deux visions : celle de la réalité et celle de l'avenir que nous ne voyons pas, mais que nous attendons. Ce décalage peut nous conduire au découragement devant l'ampleur de la tâche, à la tentation de capituler. On ne peut pas faire bon marché des difficultés et si souvent on est obligé de prendre en compte nos limites, et de baisser la barre des exigences, pour nous et pour les autres. On est comme barré dans son élan.

Alors ? Eh bien, c'est précisément avec cette lucidité sur la condition humaine, que l'Évangile s'engouffre : la force des béatitudes, c'est d'unir ces deux visions, de faire tenir ensemble deux réalités apparemment contradictoires, en proclamant "heureux…" qui ? - tous ceux qui n'ont pas touché au but, mais qui y vont. Le bonheur n'est pas promis pour le moment de la réalisation de l'espérance, mais pour maintenant.
Comment Jésus a-t-il l'audace de dire cela ? L'apôtre Paul renchérit à sa suite, avec une image plus qu'éloquente : les souffrances du temps présent sont comme les souffrances de la femme qui enfante : la joie est présente dans le travail d'enfantement, parce que chaque étape de ce travail la rapproche du moment où enfin, elle verra son enfant.
Le bonheur des béatitudes est comparable à ce travail d'enfantement : un bonheur qui est dans la marche, dans le chemin vers ce Royaume qu'on attend. C'est un bonheur présent, actuel, dans l'inachevé même. Pourquoi ? Parce que comme la femme enceinte, celui qui est en route porte en lui le Christ, qu'il ne voit pas encore. Georges Haldas le dirait ainsi : "On attend beaucoup trop de fruits de nos efforts, alors qu'il ne faut rien attendre. Le fruit est dans nos efforts déjà." Le Christ est dans nos efforts, déjà.

"Heureux…" ceux qui aujourd'hui, partout dans le monde, sont dans la pauvreté du cœur, ceux qui cherchent activement la justice, ceux qui vivent la compassion dans les larmes… "ils auront la terre en partage, ils seront rassasiés, consolés…" Mais la Bonne Nouvelle, c'est que déjà Jésus mange avec eux, déjà Jésus les accueille, déjà Jésus vit en leur compagnie. C'est que les Béatitudes ne sont pas de nouvelles valeurs (elles s'inscrivent en droite ligne dans la voix des prophètes de l'Ancien Testament), mais les béatitudes ont avant tout un homme nouveau : Jésus, le Christ. C'est là qu'est l'évènement : c'est la personne même de Jésus qui est le message, le chemin et le but tout à la fois.
En nous donnant les béatitudes, c'est son propre portrait que Jésus dessine et cela change tout : il est l'homme qui souffre et qui lutte; il est celui qui aime et que l'on persécute; il est celui qui prie et qui s'abandonne à la confiance en Dieu envers et contre toute espérance plausible. Et Dieu a fait de lui le Victorieux.
Le chemin reste étroit pour nous, mais il a été parcouru jusqu'au bout. Et cela change tout. Nous ne sommes plus seuls et le don du christ au monde nous permet de parcourir le chemin dans une espérance authentique. Il est là, à nos côtés, le Vainqueur, celui qui aura le dernier mot de l'histoire. Il est déjà là dans l'effort, le fruit, le Fils. Et à cause de cela, la joie aujourd'hui, parce que rien ne pourra briser notre communion avec lui. Alors ?

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Marianne Niggeler
Musique
Gunila Kerrich, violoniste; Diane Essinger, soprano; Joëlle Meylan, trompettiste