Chers amis en Christ ici à Payerne ou chez vous à la maison devant votre poste de télévision. Rendez-vous compte : un pays quitte la communauté des nations. Un canton quitte le lien confédéral de notre pays. Des groupes se distancent de valeurs humaines que nous pensions indéfectibles et sacrées. Et plus proche encore de notre sphère personnelle, un être humain rompt sa relation avec un autre être humain.
Ce qui peut parfois résonner dans la grande histoire politique comme un joli rêve, prend dans le contexte du quotidien une cruelle tournure. Une maman clame autour d'elle : "Pour moi, ça ne va plus !" Pour cette raison, elle quitte son conjoint et ses deux enfants de 6 et 9 ans. Un jeune homme dont j'ai célébré le mariage voilà une année, dit la même chose : "Pour moi, ça ne va plus. Je m'en vais !" "Pour moi, ça ne va plus de marquer le Jeûne Fédéral. D'ailleurs à quoi bon prier ?" se demandent nombre d'habitants de ce pays.
"Pour moi, ça ne va plus !" Cette formule, je l'entends toujours et encore. Apparemment, elle suffit à fonder une décision et à la justifier.
Il y a manifestement des situations où je ne peux pas faire autrement que de m'écouter moi-même, où je pense que je dois trouver une réponse à toutes les questions. J'espère seulement que ce n'est pas la seule voie possible. Il faut élargir l'horizon et dépasser le sens banal de cette formule. Si dans cette décision qui peut affecter mes enfants, mon conjoint, ma compagne, mon entourage, je fais vraiment l'effort de réfléchir aux conséquences, alors et alors seulement la formule "Pour moi, ça ne va plus !" peut être appropriée. Lorsque je prends mes responsabilités et que je ne sous-estime pas la signification de cette formule, alors je peux parler ainsi. C'est dans cette perspective que vous voulons ce matin nous interroger sur le sens du Jeûne fédéral.
En vivant dans ce pays, en y prenant des responsabilités et en regardant plus loin que le bout de son nez, je remarque que l'existence du Jeûne fédéral fait sens. Et j'espère que ce n'est que la forme extérieure qui pousse nombre de nos contemporains à affirmer que le Jeûne fédéral ne leur dit plus rien. S'il en allait autrement, ce serait une approche irresponsable et à courte vue.
Le Jeûne fédéral ne peut pas vivre de façon étriquée. Il invite tous les gens de ce pays à la réflexion. C'est important et c'est bien ainsi parce que tous, nous aspirons à la paix, à l'acceptation mutuelle, à la justice et au bien-être. Que tout aille bien pour toi, c'est le désir du Christ ressuscité au matin de Pâques, lorsqu'il adresse à ses disciples son Shalom.
Puisque notre Jeûne fédéral est un jour de reconnaissance, de repentir et de prières, nous en tirons trois conséquences :
1. Premièrement, il n'est pas évident de se sentir bien dans ce pays. Nous sommes appelés à la reconnaissance pour notre propre contribution à ce sentiment de bien-être, pour tout ce que fait notre entourage dans ce sens et pour ce que Dieu nous donne.
2. Deuxièmement, nous admettons nos errements et cherchons une meilleure orientation. En effet, le repentir est affaire de conversion, d'introspection et d'élargissement de notre horizon.
3. Troisièmement, nous savons que nous sommes protégés et conduits par Dieu, un Dieu avec lequel nous pouvons parler et devant lequel nous pouvons exprimer ce qui fait le quotidien de notre existence.
Tout cela ne concerne pas uniquement l'État, mais aussi la famille, nos relations, partout où nous vivons avec d'autres. Et quand pourrais-je dire de ma vie, ça va bien ? L'apôtre Paul ouvre une piste dans sa lettre à la communauté de Corinthe, comme nous l'avons entendu tout à l'heure. Dans son développement sur les charismes, nous voyons ce dont nous avons besoin pour que les choses "marchent bien" dans une famille, dans une communauté, dans un pays.
Une communauté vit des dons, des talents, des capacités de ses membres - des charismes comme dit Paul. Ce qui me fascine c'est qu'il affirme que chacun a reçu des charismes dans sa vie, mais que personne ne les a tous.
La mystique Catherine de Sienne a écrit dans son journal un compte-rendu de ses dialogues avec Dieu. A la question de savoir pourquoi Dieu n'avait pas créé les humains plus parfaits, le Christ lui a donné la réponse suivante: " Il y a tant de dons et de grâces au plan spirituel et corporel. Je les ai distribués très diversement. Je n'ai pas tout donné à tous, afin que vous soyez poussés à faire preuve d'amour les uns envers les autres. J'aurais très bien pu créer tous les être humains sans exception en leur donnant tout ce qui est nécessaire pour leur âme et leur corps, mais je voulais que chacun se sente porté vers l'autre. "
Une bonne jouerie est donc nécessaire pour que notre vie puisse réussir. Mon charisme est important, parce que les autres ne l'ont pas. Et il n'y a rien dans la vie que nous n'entreprenions, sans que cela ait des conséquences sur autrui. Tout ce que nous faisons dessine des cercles, comme une pierre que nous lançons dans l'eau.
- Il y a des femmes et des hommes qui savent créer dans leur famille une atmosphère de sécurité et d'ouverture. Ils permettent ainsi à d'autres de venir s'y ressourcer.
- Une femme remarque qu'il est utile d'accompagner sa voisine macédonienne au rendez-vous avec le maître d'école. Elle ouvre les portes et règle les problèmes linguistiques.
- Il y a par bonheur des gens qui ont le charisme de savoir accompagner des personnes très malades ou des mourants. Ils contribuent ainsi à la dignité de l'être humain.
Mon charisme est important, car il est unique. Nous ne faisons rien dans la vie sans que cela n'entraîne des effets sur autrui. Tout ce que nous faisons dessine des cercles, comme une pierre que nous lançons dans l'eau.
- Il y a des gens dotés de facultés intellectuelles qui engagent ce charisme dans la recherche ou la technique pour améliorer la qualité de vie.
- Il y a des jeunes doués pour animer des groupes en y insufflant humour et vitalité. Ils permettent à beaucoup de passer de bons moments.
- Il y a des femmes et des hommes qui s'engagent en politique. Ils ont reçu le charisme d'en conduire d'autres et d'avoir suffisamment de perspicacité pour discerner ce qui est bon pour notre pays et pour les peuples qui sont parmi nous.
- Il y a des gens qui sont profondément ancrés dans leur foi en Dieu et qui transmettent cette foi à d'autres afin qu'ils puissent découvrir le sens de leur vie.
Vous savez… Nous n'arrivons jamais au bout de l'énumération, lorsque nous commençons à réfléchir aux charismes des uns et des autres.
Ces exemples de capacités ou, pour parler comme Paul, ces exemples de charismes sont-ils trop ordinaires? Si nous regardons là où nous vivons, nous découvrons un potentiel immense de capacités. Et ce sont elles qui constituent une communauté et qui la rendent vivante.
En reprenant la lettre aux Corinthiens, je note encore deux recommandations :
1. Premièrement, il faut partir à la découverte des charismes, des miens et de ceux de mon entourage. C'est très grave d'ignorer les charismes des autres et de ne pas les reconnaître.
2. Deuxièmement, nous devrions aussi nous encourager mutuellement à engager ces charismes en faveur des autres, pour le bien de la communauté. Pour cela, nous avons besoin de reconnaissance mutuelle et de respect, de solidarité et d'aptitude à dire merci. En fait ce dont nous avons besoin, c'est de prendre au sérieux l'individu et sa contribution au tout. Chacune et chacun est important.
L'énumération des charismes par l'apôtre Paul est comme sous-tendue par un fil rouge qui prend des allures de refrain quand il dit: toujours dans le même Esprit de Dieu. L'Esprit de Dieu veut remplir nos charismes et les relier les uns aux autres. C'est une déclaration tout à fait centrale pour que les charismes ne soient pas utilisés à mauvais escient, pour opprimer des gens ou les exclure. Sans cet Esprit de Dieu, on risque rapidement de faire un usage abusif et diabolique des charismes. L'horrible attentat de ces derniers jours en est une démonstration cinglante. Cette expérience montre que la valeur de tout don réside dans son lien avec l'Esprit de Dieu.
Mais, lui faisons-nous confiance ? Faisons-nous suffisamment confiance à Dieu de continuer d'offrir généreusement ses dons aux habitants de ce pays ? Faisons-nous confiance à dieu de continuer de nous appeler à la responsabilité pour offrir une contribution positive à la communauté ?
Parfois, lorsque nous sommes fatigués et surmenés, nous devons prier pour discerner à nouveau nos charismes et pouvoir les redécouvrir. C'est alors que nous serons à nouveau réceptifs lorsque l'on nous dira : "Ah ! ça tu peux le faire ! Tu en as vraiment les capacités !" Si nous prenons un peu de temps en ce jour de fête pour mieux comprendre les propos de l'apôtre Paul, nous allons découvrir tout à coup combien chacune et chacun est important pour que dans ce pays où nous vivons, ça continue d'aller !
Et si nous accordons notre confiance à ce Saint-Esprit, ça marchera ! Nous pourrons sans peur élargir notre horizon au-delà de nos frontières. La valeur de chaque individu sera alors garantie dans notre pays. Nous prendrons conscience, vous comme moi, qu'il nous est possible ensemble de convenir de ce qui fait la qualité d'un pays et la qualité de notre pays.
C'est notre contribution pour que le rêve d'un monde de paix et de justice devienne réalité. Car cette réalité est traversée par Celui que nous pouvons invoquer : Viens, Esprit saint, viens !
Allocution de M. Moritz Leuenberger, président de la Confédération,
Ces derniers jours, des hommes politiques du monde entier ont imploré l'aide de Dieu devant les caméras. Car la journée du 11 septembre nous a tous brutalement rappelé combien nous sommes impuissants et vulnérables. Nous nous refusions à croire qu'un tel scénario reste possible au XXIe siècle !. Les nombreux acquis de notre civilisation nous permettaient de penser, en toute quiétude, que nous sommes maîtres de notre destin. Des maladies autrefois incurables sont à présent guérissables, d'autres sont sous contrôle. Nous avons des antibiotiques et des salles d'opération stériles; des organes malades peuvent être remplacés; ce qui ne peut encore être guéri aujourd'hui pourrait bien l'être demain, grâce au génie génétique.
Des constructions toujours plus sophistiquées nous protègent contre les avalanches, les inondations et d'autres catastrophes naturelles. De plus, nous sommes bien entendu assurés.
Et lorsque, malgré tout, la technique nous fait réellement faux bond, nous refoulons ce sentiment angoissant d'impuissance et nous parlons de panne; nous nous focalisons sur la recherche des coupables et nous réclamons à cor et à cri des sanctions et des démissions.
La "panne" est devenue le nom moderne du "destin". Notre mot d'ordre, par conséquent, ce n'est pas la prière, mais la prévoyance, ce n'est pas l'Action de grâce mais la rationalité. Et ceux qui doivent expier sont ceux qui n'ont pas maîtrisé la technique.
Mais combien nous nous sommes trompés ! Malgré les nombreux progrès de la médecine, de la technique et de la politique, nous sommes loin de tout maîtriser. Les attentats contre le World Trade Center, sans parler de celui contre le Pentagone, symbole par excellence de la sécurité absolue, nous ont ébranlés, nous aussi, et nous ont démontré que cette sécurité n'existe pas. Elle n'a en fait jamais existé : devant un éboulement, un crash aérien, un ouragan comme Lothar, le sida, le cancer ou la maladie d'Alzheimer, nous sommes à chaque fois confrontés à nos limites. Et parfois, ce sont nos propres paroles qui trahissent notre sentiment d'impuissance : lorsque - notamment - en évoquant les migrations sud-nord, nous parlons de "vague" ou de "flux" de réfugiés, comme s'il s'agissait d'un phénomène naturel.
En dépit de toutes les précautions prises sur les plans individuel, scientifique et politique, nous connaissons donc aujourd'hui encore l'impuissance, la résignation et la peur.
Les croyants confient à Dieu ces problèmes et ces craintes. Ils l'invoquent, lui demandent pardon et implorent son aide. Et cela, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les autres, pour la communauté, l'État et son gouvernement.
Quant aux libres penseurs, ils sont eux aussi conscients en ce jour de leurs obligations, mais également de leurs limites, eux qui comptent sur la raison humaine pour parvenir à un monde de justice, régi par les mots d'ordre de la Révolution française, à savoir la liberté, l'égalité et la fraternité.
Croyants ou libres penseurs, il est une chose à laquelle nous n'échappons pas, c'est la responsabilité, que ce soit devant Dieu ou devant les hommes. Nous vivons dans un pays où chacun peut assumer des responsabilités dans son entourage personnel, en politique ou à l'église ou en faisant du bénévolat pour la communauté. Et on fait ainsi beaucoup d'excellent travail, oui, beaucoup de tâches sociales, pédagogiques et culturelles, et de nombreuses interventions en cas de catastrophe, ne pourraient être réalisées sans tout ce dévouement à l'échelle individuelle.
Cela dit, nous sommes bien souvent tributaires des autres. Comment un individu pourrait-il se sentir responsable du réchauffement climatique si, dans les mégalopoles asiatiques, des millions de personnes circulent en voiture sans se poser aucune question ? Chacun a-t-il sa part de responsabilité dans les statistiques ? Nous le savons bien : l'individu est démuni face à la haine aveugle et ne dispose que de moyens limités pour oeuvrer en faveur d'une société ouverte.
Il nous arrive même d'avoir du mal à prendre des décisions qui ne concernent que nous-mêmes. Voulons-nous des enfants ? Que faire, si nous devions apprendre qu'ils seront handicapés ? Si je suis atteint d'une maladie incurable, vais-je prolonger ma vie ou non ? Par quels moyens ? Face à ces questions, beaucoup ont des problèmes de conscience et ont besoin d'aide; ils cherchent des conseils, ils voudraient des repères.
C'est là que la collectivité a son rôle à jouer, que la reconnaissance et l'aide mutuelle revêtent toute leur importance. C'est là que la responsabilité ne peut être que partagée.
Mais la responsabilité ne s'arrête pas là, surtout lorsqu'il s'agit de problèmes qui ne se posent pas seulement à nous en tant qu'individus : il ne devrait pas y avoir, dans notre société, des personnes qui, tout en travaillant, n'ont pas assez pour vivre. Il ne devrait pas non plus y avoir des êtres humains sans droits, privés de reconnaissance officielle, pas plus qu'il ne devrait y avoir des personnes qui vivent chez nous depuis leur naissance et qui n'obtiennent pas la nationalité suisse.
La responsabilité est un problème qui concerne donc aussi l'État, voire la communauté internationale. En effet, aucun État ne saurait à lui seul accomplir la tâche immense consistant à doter le monde de structures plus équitables.
La mise en place d'une politique sociale à l'échelle mondiale, qui créerait des conditions commerciales de nature à endiguer la misère et la pauvreté et à garantir l'accès aux médicaments, par exemple contre le sida, requiert la collaboration de tous les États.
Le blanchiment d'argent et l'accueil de capitaux en fuite affaiblissent les démocraties et sapent les droits de l'homme. Seule la communauté internationale peut venir à bout de ce problème.
Le changement climatique menace des centaines de millions de personnes et les prive des bases nécessaires à leur existence. Le quart le plus riche de l'humanité est responsable de 80 % des émissions nocives, et par là même, des inondations, des sécheresses et des ouragans qui frappent surtout les régions les plus pauvres du monde. Ce n'est qu'en assumant collectivement nos responsabilités, comme le veut notamment le Protocole de Kyoto, que nous pourrons prévenir de tels ravages.
Le désendettement des plus pauvres dépend de l'engagement de l'ensemble des pays riches. La lutte contre la haine et l'éducation à la tolérance et à l'ouverture ne peuvent porter leurs fruits que si toute la communauté internationale y contribue.
Personne ne pourra jamais assumer toute la responsabilité; dans une mesure limitée, chaque individu, chaque institution et chaque pays a néanmoins la possibilité et l'obligation ! d'en assumer sa part.
Nous sommes, bien entendu, conscients du fait que la communauté internationale, à l'instar de l'ONU, est imparfaite, comme l'est aussi la Confédération ou comme nous le sommes tous nous-mêmes. Cette conscience de notre imperfection et de nos limites devrait nous inciter à la modestie et à l'humilité. C'est ce que nous rappelle aussi cette journée du Jeûne fédéral.
Mesdames, Messieurs,
Que nous croyions en Dieu ou que nous faisions confiance à la raison humaine, nous avons pour tâche de nous engager avec lucidité, ferveur et discernement en faveur d'un monde équitable et social. C'est là notre mission, c'est là notre but. Si chaque individu ou chaque pays ne cherche à l'atteindre que pour soi, ce but restera un rêve. Mais si nous unissons nos efforts et pas seulement le jour du Jeûne fédéral, alors le rêve pourrait bien devenir réalité.
Viens, Esprit Saint, Viens !
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