Cherchez d'abord le royaume de Dieu...

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"Je n'ai pas le temps"
"Je n'arrive plus à donner le tour"
"Je n'arrête pas de courir, c'est infernal"
"Si ça continue comme ça, je ne vais pas tenir le coup"
"Je n'en peux plus, je vais tomber malade"

J'ai tendu mon micro à des gens qui ont mal à leur façon de vivre. Peut-être vous reconnaissez-vous vous-mêmes ? Quel genre de vie nous sommes-nous donc fabriqué, pour en arriver à émettre pareilles plaintes ? J'ai repensé à cette petite histoire sarcastique :"Savez-vous qui a inventé l'engrenage ? - Un chinois. Et savez-vous qui a inventé les hurlements ? - Le même chinois, quand il s'est pris les doigts dans son invention!"

Notre siècle est celui des inventions grandioses et géniales : elles se retournent parfois contre nous. Nous pouvons aujourd'hui contracter des assurances contre toutes les mauvaises surprises : or, malgré toutes les garanties que nous nous donnons, malgré les protections que nous disposons autour de nous et de nos familles, notre siècle est aussi celui des dépressions, des névroses, des infarctus et des taux records de suicide. Nous avons mal à notre façon de vivre... Nous sommes les otages plus ou moins consentants d'un style de vie subordonné au rendement, à l'efficacité, au profit. Nous sommes poussés à la limite, mais nos limites ne sont pas élastiques à l'infini.

Ce matin. l'Evangile nous parle un langage presque choquant : "Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez... A chaque jour suffit sa peine." Dans la masse des soucis, petits et grands, qui nous collent au coeur et à la vie, cette parole a quelque chose d'inconvenant. Comment pourrions-nous vivre sans nous inquiéter pour ceux que nous aimons et pour leur avenir ?

"Ne vous inquiétez pas..." l'Evangile, certainement, ne veut pas nous rendre irresponsables. Jésus n'a pas invité à sa suite une communauté de hippies livrés à l'insouciance et au farniente. On ne vit pas de l'air du temps ni de promenades dans la nature. Nous avons à répondre de nous-mêmes et de ceux qui nous sont confiés : c'est une dimension fondamentale de notre humanité. Il n'est donc pas question de nous pousser les uns les autres à mettre la clé sous le paillasson, ni d'abandonner notre travail pour nous en remettre à la charité des autres ou aux subventions des oeuvres sociales. Les places de travail sont chères en ces temps de crise; on ne se met pas volontairement au chômage...

"Ne vous inquiétez pas..." L'Evangile pourtant conteste bel et bien notre façon habituelle de vivre dans l'inquiétude et les soucis. Jésus offre à ses disciples de vivre autrement, et de casser quelque part les engrenages qui les entraînent et les blessent. Vivre autrement, oui, mais comment ?

"Ne vous inquiétez pas en disant : Qu'allons-nous manger ? Qu'allons-nous boire ? Avec quoi nous habillerons-nous ? Tout cela, ce sont les païens qui le recherchent continuellement. Votre Père céleste sait bien que vous en avez besoin "

Il y a ce que recherchent les païens, et ce qui est donné aux enfants du Père. Mais ne pensons pas trop vite avoir affaire à deux catégories de personnes différentes. Cette opposition nous habite nous-mêmes. Nous abritons une tendance aiguë à vouloir garantir notre vie et notre avenir par nous-mêmes; c'est lourd à assumer, parfois insupportable à vivre. L'Evangile nourrit cette autre part de nous-mêmes qui aspire à respirer, à calmer les tempêtes, à trouver un port d'attache, à établir un meilleur équilibre avec les autres, avec le monde, avec nous-mêmes. Une part de nous-mêmes nous pousse en direction de la maladie; l'autre part cherche la guérison, et la santé. La part "païenne" en nous est livrée à l'engrenage qui l'entraîne. L'autre part est un cadeau offert à ses enfants par le Père céleste qui a du souci pour eux et qui les invite à s'en remettre à lui.

Au parlement de notre propre personne, c'est la question de confiance qui nous est posée. Pour qui allons-nous voter ? Qui est celui qui nous fait vivre ? Pouvons-nous décemment nous appuyer uniquement sur nous-mêmes et sur nos énergies déployées ou faut-il regarder du côté du Père céleste, et nous en remettre à sa générosité ?

La plupart du temps, nous vivons comme si ce vote de confiance n'était pas vraiment nécessaire. Nous votons simultanément pour Dieu et pour nous-mêmes, pour nous-mêmes et pour Dieu. Nous nous disons chrétiens tout en étant encore païens. Arrive le moment où il faut choisir, où il faut trancher, où il faut risquer et se risquer. La confusion intérieure est plus un poison qu'un remède à notre mal de vivre. Notre guérison est liée à ce choix que l'Evangile nous pose dans toute sa clarté : "Dieu, ou Mamon ?" "Nul ne peut servir deux maîtres en même temps". On ne peut pas attacher son coeur simultanément à deux sources de confiance. "Dieu ou Mamon : l'un ou l'autre prédomine.

Dans le judaïsme au temps de Jésus, Mamon personnifie les puissances qui font miroiter une sécurité pour l'homme, qui donnent l'impression de quelque chose de solide, d'inébranlable. Mamon a fini par personnifier la puissance de l'argent, moteur des engrenages pernicieux qui nous happent nous- mêmes. Le mot "Mamon" vient peut-être de la même racine hébraïque qu'un autre mot bien connu, utilisé, lui, pour dire notre confiance en Dieu :"Amen". "Mamon", c'est le contraire d'"Amen". Nos prières à "Mamon" sont des prières inversées. Servir "Mamon" c'est mettre sa confiance à côté de Dieu.

La motion de confiance pour Dieu ou pour "Mamon" a des répercussions concrètes et visibles dans notre façon de vivre. Nous avons déjà parlé de "Mamon" et des soucis qu'il crée en nous. Quelle est alors la façon de vivre qui découle de notre confiance en Dieu ?

C'est tout d'abord une autre façon de regarder le monde qui nous entoure. En recentrant notre confiance sur Dieu plutôt que sur Mamon, nous découvrons que ce monde est la bonne et belle création de Dieu, le cadeau que le Père céleste offre à ses enfants. La nature elle-même devient langage et parabole de la bienveillance de Dieu. Les oiseaux du ciel et les lis des champs racontent la sollicitude du créateur à l'égard de ses créatures les plus humbles. Le monde n'est pas n'importe quoi et ne peut être maltraité n'importe comment. Ce n'est pas une dépouille à dépecer, ni une poubelle à remplir. Le monde devient aux yeux de la foi l'oeuvre magnifique du Dieu d'amour, une merveille à recevoir, un cadeau à goûter, une fête à vivre. Et les bénéficiaires de cette merveille apprennent la reconnaissance et le respect. Plutôt que l'inquiétude et la hargne.

"Ne vous inquiétez pas..." "Désinquiétez-vous de "Mamon". L'Evangile nous invite ensuite à vivre dans ce monde à la façon de Jésus, ou au moins dans le sens qu'il a montré, sans être empêtrés dans l'inutile. Nous courons souvent après des futilités qui nous font perdre notre temps. Nous nous tracassons pour du superflu. Dieu sait bien quelle est notre attente profonde, et il nous donne l'essentiel dont nous avons besoin. Il nous donne de l'espace pour l'apprécier, et du temps pour le partager avec les autres : en famille, en paroisse, dans la cité, dans le pays, jusque dans le monde entier. Ce n'est pas le projet de Dieu que des gens meurent de faim et de misère tandis que d'autres s'empiffrent au point d'en être malades. Il est temps que cesse cette aberration. L'Evangile induit également un message politique : il faut que ce monde soit géré un peu plus pour Dieu et donc pour les autres, et un peu moins pour "Mamon" et donc pour nourrir notre égoïsme. Pensons-y lorsque nous déposons dans l'urne un bulletin de vote ou d'élection.

"Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par-dessus". L'Evangile nous offre, au coeur de ce monde, de viser le Royaume que Jésus a incarné parmi nous et il nous met à l'école de la confiance en Dieu. Dieu d'abord et l'intendance suivra.

Il est probable qu'en cherchant le Royaume de Dieu et sa justice, nous devrons à nouveau courir et nous agiter. Peut-être même nous faire quelques soucis. Mais nous ne courrons plus pour garantir notre propre vie. A l'exemple de la veuve de Sarepta accueillant le prophète Elie, nous n'aurons plus d'abord le souci de nous-mêmes et de notre avenir, mais nous serons prêts à risquer un peu de nous-mêmes pour les autres. S'il nous arrive de courir et de nous agiter, ce sera avant tout pour servir Dieu et les humains qui habitent ce monde avec nous, afin que triomphe dès maintenant la justice de Dieu dans les situations d'injustice et qu'advienne ce Royaume qui nous mobilise. Tout le reste nous sera donné en plus.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Ursula Isely
Musique