La solidarité humaine existe

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Un homme avait deux fils, raconte Jésus. Trois personnes, c’est déjà une petite communauté. Comme nous en vivons tous quelques-unes avec nos proches, notre conjoint, avec nos collègues, avec nos amis.
Quelle était la vitalité de leurs relations ? Avaient-ils du plaisir à être ensemble ? Vivaient-ils quelque chose de fort entre eux ? Car vous le savez bien : il ne suffit pas d’être ensemble pour vivre une relation forte et vivante.
Probablement qu’il y avait quelque chose qui était éteint entre eux. Car un jour le cadet annonce qu’il a envie d’aller voir ailleurs s’il y est. Peut-être qu’il s’est dit qu’il pouvait très bien vivre sans cela, sans ces liens de famille bien utiles, mais aussi parfois oppressants. Il est tout à fait possible de faire sa vie tout seul. Et il part pour un pays éloigné. Pour quelque chose de très différent. Pour un monde de plaisirs, de fêtes et de recherche du bien-être personnel. Mais très vite, il arrive au bout de ses réserves. Et il se retrouve seul, totalement seul. Il est perdu. Perdu pour les siens, mais aussi perdu pour lui-même. Oui, sans communauté, on perd tout repère, toute identité. On ne compte plus pour personne. On est zéro.

L’aîné, lui, ne choisit pas la même voie. Et pourtant le résultat est peut-être le même. Lui, il est bien là où il est. Ou en tous cas, il ne se pose pas trop de questions. Peut-être est-il aussi moins courageux. Il est né à cet endroit, il y a ses origines. Il n’a pas de raisons de s’en aller. Est-il heureux ? Peut-être pas, mais peut-on vraiment l’être dans la vie ?
On ne sait pas grand-chose de lui, mais j’imagine qu’il a pris son parti d’être là, simplement. Cette situation lui est profitable, matériellement. Sa survie et sa sécurité personnelle sont assurées. Et il fait ce qu’il faut pour justifier sa présence, pour ne pas avoir de reproches. Il est là physiquement, et pourtant il est probablement absent. Absent de cœur. Il est là, mais son esprit est ailleurs. Lui aussi est perdu. Perdu pour les siens malgré les apparences, perdu en lui-même, car sans attaches intérieures. Mais il ne fait rien, il n’a aucune réaction, car il n’en est pas vraiment conscient.
Fils cadet ou fils aîné. Ils n’ont pas de noms dans cette histoire. Peut-être est-ce mon histoire, votre histoire. Peut-être êtes-vous l’un ou l’autre ? Ou l’avez-vous été dans une période de votre vie. Perdu, sans communauté fixe, sans famille réelle, sans attaches, sans affection. Le cœur blessé, meurtri ou simplement fatigué ou indifférent.

Fils cadet, tu es peut-être cet enfant incompris et rebelle, un peu déraciné, un peu aventurier. Tu es ce jeune qui a demandé un peu trop tôt sa part d’héritage, sa part qui lui revenait, et qui a pris ses cliques et ses claques pour prendre le large. Tu as cru que la vie, c’est être libre comme l’air et profiter à fond de te défoncer. On n’a qu’une vie, après tout ! Mais tu as gaspillé toutes tes chances de te construire de vraies amitiés, tu as négligé ceux qui pouvaient te faire confiance. Tu as pensé que la vie est de toute façon une lutte sans merci où personne ne se fait de cadeau. Et tu n’en as fait à personne. Mais tu t’es retrouvé seul, terriblement seul.
Fils cadet, tu es peut-être aussi cet époux qui a eu besoin de plus de piment dans sa vie, qui a voulu sentir le vent de la liberté te griser, et qui ne supportait plus la sécurité d’une vie trop quotidienne auprès d’une épouse décidément trop sage et craintive.
Fils cadet, tu es peut-être ce croyant non pratiquant qui ne veut plus mettre les pieds à l’Église, car cela ne te dit plus rien, car tu as été trop déçu par un accueil trop froid ou même franchement hostile, car tu as été dégoûté par la sécheresse des relations qu’on y vit. Et tu es allé chercher ailleurs…

Ou bien, tu es peut-être fils aîné. Tu es peut-être cet enfant docile qui n’a jamais eu d’amis par crainte de lâcher ses parents et qui pleure une jeunesse pas vécue. Tu es peut-être cet époux, cette épouse au foyer, qui est toujours resté fidèle… à son poste (plus qu’à son mari), qui a toujours trimé dur, pendant que l’autre se faisait la vie facile.
Fils aîné, tu es peut-être parmi les fidèles de l’Église, avec la rage au cœur d’avoir offert tout ton temps, toute ton énergie, sans jamais avoir été jamais remercié, sans l’ombre d’une fête en ton honneur. Tu es peut-être cette catéchète, ce conseiller de paroisse, ce pasteur qui a tout donné, mais qui s’aperçoit que, malgré tous ses effort, l’Église reste désespérément ce lieu triste et presque vide... Et tu enrages d’avoir ainsi tant payé de ta personne et si peu gagné en retour.

Fils cadet, et fils aîné, pouvez-vous entendre la souffrance de votre père ? Il avait rêvé d’une famille unie, où tous se sentent bien et vivent une belle communion dans la joie d’être ensemble. Au lieu de cela, il se retrouve seul avec son rêve. Ses deux fils, chacun à leur manière, ont refusé cette belle vision. Les liens qui les liaient l’un à l’autre sont brisés. Ils ne se reconnaissent plus comme frères. Ils ne croient plus l’un dans l’autre. Leur relation est morte.
Mais le père ne cesse pas de les aimer. Au point même de leur offrir une totale liberté de choix. Sans conditions, sans pression. Du début à la fin. Il souffre, ce père, mais il y croit encore. Il pense que leur relation peut revivre. Il reste persuadé que ses fils comprendront un jour qu’il est vital pour eux de vivre la communauté, la vraie fraternité. Il va faire ce qu’il faut, tout en douceur et en patience. Il va agir de manière à ce que cette communauté puisse renaître. Il va appliquer les deux secrets à l’origine des vraies relations communautaires.
Le premier, c’est le pardon. Une communauté, c’est un lieu qui connaît ses conflits, ses tensions. C’est normal. Mais lentement, nous pouvons nous convertir les uns aux autres. Nous faire confiance. Entièrement et totalement. Nous accueillir sans conditions, sans reproches. Nous pardonner non pas une fois, mais septante fois sept fois. Et nous réintégrer les uns les autres comme membres à part entière de notre communauté.
Le deuxième secret, c’est la fête. La fête qui célèbre notre communion toujours retrouvée, toujours à renaître. Oui, il faut la faire ! Souvent ! Une fête sans cesse à reprendre, sans cesse à re-préparer. Et il n’y a pas de fête sans repas, sans nous offrir les uns aux autres le meilleur, sans prendre la peine de nous faire les plus grands des plaisirs les uns aux autres.

Avec le pardon et la fête, une vraie communion peut naître. Une communion qui nous donne de renouer avec nos origines, avec l’essentiel de notre vie : la joie de nous re - trouver les uns les autres.
Beaucoup de personnes n’y croient plus, pensent qu’il est impossible de vivre une vraie communauté. Que les seules relations que nous offre la vie sont des relations fonctionnelles, des relations utilitaires. Comme entre un employé et son patron, comme entre un vendeur et un client. Et pourtant, j'ai envie de vous le dire avec force : oui, il est possible de vivre une communauté chaleureuse et vraie. Entre frères et sœurs, entre conjoints, dans son quartier, dans sa paroisse. Je le dis avec conviction, car je le vis. Oui, je crois que c’est cela que nous vivons ensemble ici à Bernex, dans notre communauté.
C’est vrai que cela demande un effort sur soi, parfois même un demi-tour dans sa vie. Il faut choisir de mettre la qualité des relations au cœur de notre vie. Parfois, cela demande aussi de renoncer volontairement à un esprit fataliste, défaitiste ou revanchard.

Mais quand on réussit à construire une communauté autour du pardon et de la fête, alors on comprend à quel point elle nous fait vivre, elle nous construit. On comprend que la source de la joie, c’est de créer entre nous une belle intimité, un cœur à cœur où nous pouvons nous sentir proches les uns des autres, où nous pouvons nous nourrir les uns les autres par notre amitié, où nous pouvons nous faire vraiment et totalement confiance.
C’est à cela que notre Père nous invite, chacun et chacune là où il est. Dans nos Églises, dans nos familles et partout où nous vivons.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Piano : Pierre Guignard
Musique
Anna Minten, violoncelle; Eva Minten, piano; Peter Minten, clarinette