Nous sommes les fils et les filles de l’impatience

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Qu’il est difficile d’attendre patiemment ! C’est pourtant une des activités les plus fréquentes de nos vies. J’ai rapidement fait le calcul dans une de mes journées : j’ai d’abord attendu un quart d’heure que mon réveil sonne avant de me lever, j’ai attendu quelques secondes pour que l’eau de ma douche soit chaude, facilement deux minutes pour que ma machine à café laisse apparaître le très attendu message « votre machine est prête ». Je n’ai pu utiliser mon ordinateur que 5 bonnes minutes après l’avoir enclenché le temps qu’il charge les programmes. Pour mon courrier, j’ai attendu le facteur un quart d’heure entre 10h30 et 10h45, il ne vient toujours qu’à peu près à la même heure. J’ai attendu facilement 5 min pour que l’eau de mes pâtes à midi bouillonne, j’ai attendu que ma femme rentre de son travail un quart d’heure et le début du journal de la mi-journée encore un quart d’heure sur la RSR. Systématiquement, dans mon après-midi, j’ai attendu une moyenne de 10’ à chacun des trois rendez-vous que j’avais. En voiture, j’ai dû attendre 2min au feu des travaux de Grandval et tout autant derrière un Bâlois en ballade, qui roulait à 40 km/h et le soir, pour la rencontre des catéchètes l’un d’eux nous a rejoints 10 minutes après l’heure fixée. Enfin, avant de m’endormir, il m’a bien fallu attendre 10’.
Cela fait en une journée 2h06 de temps d’attente et encore, ce jour-là, je n’ai pas eu à prendre de train, je n’ai pas eu de rendez-vous chez le dentiste, mais rien à faire : attendre plus que jamais, de nos jours veut dire pour nous « perdre son temps ». Nous sommes les fils et les filles de l’impatience. Ce que nous désirons nous le voulons de suite. Nous n’avons l’impression de ne nous accomplir que dans le faire. Et notre vie d’église n’échappe pas à la règle. Si je présente le culte comme un temps silencieux d’une heure d’attente du retour du Christ, la plupart de vous – y compris les auditeurs – penseront avoir vraiment perdu leur temps. Il faut dire qu’aux côtés du Christ nous sommes face à un défi d’une bien plus grande dimension encore. Nous attendons son retour depuis 1980 ans et ce retour est toujours imminent pour l’église.
Jésus ne voudrait-il pas abuser ainsi de notre patience ? L’enseignement du texte de l’évangile de ce matin est particulièrement éloquent. Il ne nous dit rien de la durée du temps que nous devons attendre pour se consacrer totalement au comment devons nous attendre. Verset 40 : Vous aussi, tenez-vous prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas. Dans ce verset central pour notre texte Jésus joint deux paradoxes absolus : le premier, comment être prêts sans connaître le moment où l’événement de produira. Lorsque nous nous préparons à partir à une fête de famille, si je veux exiger que tout le monde soit prêt c’est que justement chacun sait à quelle heure nous allons partir. Là si Jésus ne nous dit rien du moment de son retour, comment pourrions-nous être prêts ? À moins que ce ne soit justement pas d’un événement tel que nous l’imaginons dont il nous parle, et une autre manière d’envisager le retour de celui qui est présent avec nous jusqu’à la fin des temps ?
Le second paradoxe : le fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas, alors que justement il nous engage lui-même à ne pas cesser d’y penser. Il faudrait presque ne plus croire à son retour pour que l’événement se produise. Est-ce bien sérieux ?
Lorsque Jésus nous invite à la vigilance soutenue décrite dans ce texte, ce n’est sans doute pas tant pour nous préparer à un événement précis, mais bien plus pour nous enseigner cette nouvelle manière d’être que chacun reçoit dans la foi. Et c’est la réponse faite par Jésus à Pierre qui en donne tout le contenu. Cette parabole nous décrit deux réactions opposées et toutes deux destinées à répondre à l’impatience de ses serviteurs. La première, c’est de savoir équilibrer ce temps d’attente. « Donner la nourriture au temps convenable », c’est la figure de l’intendant avisé, qui sait ne pas s’impatienter face au retard du retour des noces de son maître et qui ne donne pas tout quand il le veut, mais peu, ce qui est convenable, quand il le faut.
Le second, lui, précipite les choses. Il se sent obligé de juger du temps, de juger de tout d’ailleurs, il se met à battre les serviteurs et à s’enivrer, c’est vraiment l’image de celui qui brusque le temps, qui veut hâter les choses et par là même les retarde, puisque le fils de l’homme viendra au moment où vous n’y penserez pas ! Facile pour nous de comprendre cet avertissement, nous sommes des as de la consommation et toutes nos familles connaissent bien la distinction que fait Jésus dans cette parabole. Il y a les grandes surfaces et le petit commerçant de votre quartier. Dans une grande surface équipés de votre caddie et astucieusement dirigés par les experts en marketing, dans une ambiance lumineuse et musicale, vous allez gonfler votre caddie bien au-delà de ce qui vous est nécessaire. Vous avez beau avoir fait une liste stricte de vos menus de la semaine, les actions qui s’étalent devant vous vont grossir vos appétits sous prétexte - et c’est un comble - d’économie. C’est bien sûr beaucoup moins cher, mais comme vous achetez beaucoup plus, vous dépenserez toujours plus que prévu. Chez votre petit commerçant qui est à côté de chez vous et pour autant que ce dernier possède une palette suffisante de produits, chaque jour avec votre panier vous achèterez juste ce dont vous avez besoin et pour un temps convenable.

Pour moi ce passage est très éclairant pour la mission de l’Église aujourd’hui et sur sa manière de « nourrir », d’apporter ce qu’elle doit apporter à ce monde. Je vois surgir de partout de ces prédicateurs impatients qui battent les foules et les terrorisent soi-disant pour apporter au monde la bonne nouvelle de l’Évangile. Leur idée est fort simple : si le maître tarde à venir, c’est que tous ceux qui étaient chargés d’annoncer ce retour ont failli à leur mission, entendez par « tous ceux qui étaient », nous bien sûr, les églises, qui soi-disant se seraient endormies, auraient même pactisé avec l’ennemi, « le monde », se seraient éloignées de la prédication simple, pour ne pas dire simpliste de l’Évangile. Tous les progrès réalisés en 2000 ans dans la connaissance des écrits bibliques, dans la tolérance, le respect, la réflexion théologique, l’œcuménisme, ne seraient que des décadences par rapport à la pureté de la lecture spirituelle brutale et personnelle que ces beaux parleurs attribuent bien sûr chez eux au Saint-Esprit et chez nous bien entendu à nos pauvres esprits mal croyants.
Et la meilleure preuve que choisissent ces prophètes de malheur, c’est la désaffection de nos églises. C’est vrai ! Une réelle question pour nos églises occidentales, qu’avons-nous mal fait pour que l’énorme majorité de nos contemporains dans nos villes et nos villages n’aiment pas se rendre à ce ressourcement spirituel que le culte devrait être ? Nos néo-prédicateurs, eux, disent faire salle comble, un beau succès et pourtant, si l'on y regarde de plus près, depuis les dizaines d’années que nos vrais chrétiens prêchent dans nos régions, malgré leur salle comble , ce n’est tout de même qu’une infime partie de la population qui est touchée. La preuve : ils affirment eux-mêmes sans cesse que les choses sont toujours pire !
Et moi je dirais même qu’ils devraient aller jusqu'à se poser sérieusement la question de savoir si leurs manières de faire n’ont pas fait fuir plus qu’elles n’ont rassemblé. Très présents dans les médias comme leurs Big Brothers américains le leur ont appris. Ils ont même créé un parti politique évangélique, ce qui est une aberration pour des églises qui devraient pourtant bien savoir ce qui est à César et ce qui est à Dieu et ils donnent ainsi à tout notre pays une image simpliste et caricaturale de ce qu’est la foi chrétienne. Pas de quoi en tous les cas attirer la majeure partie d’une population qui sait réfléchir et qui n’est pas prête à croire n’importe quoi.
Ils rejoignent ainsi ce que ce monde vit dans l’impatience, tout devient urgent, sauf le fait d’approfondir et de s’examiner soi-même. « Quel est donc l’économe fidèle et prudent que le maître établira sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable? (...) Heureux ce serviteur, que son maître, à son arrivée, trouvera faisant ainsi ! »

Ce matin, Jésus nous le dit bien : l’urgence conduit trop souvent à la brutalité et le temps, lui, profite à la vérité – mais accepter de ne pas tout recevoir tout de suite, de savoir attendre, voire de ne pas tout comprendre comme je le rappelais au début de cette méditation, n’est pas le menu préféré de nos mentalités modernes. Pour attendre, il faut avoir l’humilité d’un serviteur et non l’orgueil d’un maître. Ce n’est pas par l’exercice d’un pouvoir que nous pouvons conduire à Jésus Christ, mais par l’efficacité de l’amour et l’amour, ça prend du temps. C’est même un des lieux le plus propice à la patience.
Nous accordons une importance toute moderne aux repas équilibrés qui garnissent aujourd’hui nos assiettes, mais beaucoup moins d’attention à la nourriture « spirituelle » équilibrée donnée non pas à tout moment, mais au moment convenable. Souhaitons que ce matin ce soit le cas pour vous tous qui avez écouté ce message et que je ne vous ai pas fourni une indigestion, mais bien un de ces mets qui se laisse goûter avec équilibre et plaisir pour nous faire découvrir la vérité.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Gérard Kummer
Musique
Marie Chaignat, violon