Le matin, je m’évade, grâce à mon chien je dois le dire; il m’oblige à l’aurore à commencer ma journée par une promenade d’une bonne demi-heure et souvent pour échapper aux brumes du Grandval, je choisis comme promenade, celle qui accueille les premiers rayons de soleil du matin tout près d’ici, c'est-à-dire la face soleuroise du Maljon, la Malsenberg.
Vous ne pouvez vous imaginer ce qu’une telle marche matinale apporte à mes journées et cela surtout au niveau de la prière et de la pensée. J’aime bien prier avec vous rassurez-vous, mais j’aime encore mieux prier seul et surtout sur la Malsenberg J’en ai rencontré tellement de mes contemporains qui m’ont dit qu’ils préféraient le dimanche matin rencontrer Dieu dans le bois plutôt que dans notre église que je me suis laissé convertir.
A vrai dire moi, ce n’est pas dans la majesté ou la beauté du décor grandiose, ni dans les rayons du soleil aveuglant, que j’ai l’impression de me sentir plus proche de Dieu sur la Malsenberg comme me le disent pareillement les apôtres de mère nature, moi c’est plutôt dans l’air, dans l’odeur et dans la marche que les choses essentielles se passent dans le souffle, le mien lié à celui de l’air que je respire dans ce lieu. Marcher me fait avancer non pas seulement mon corps mais surtout ma pensée.
Ainsi, l’autre matin, lorsque le soleil a bien voulu venir à nouveau parmi nous après une nuit encore humide, en redescendant la Malsenberg, mon regard tombe sur un énorme escargot, dit de Bourgogne, traversant le large chemin de cailloux compressés qu’est la côte de la Malsenberg à cet endroit. Après l’avoir observé, je continue mon chemin, mais au bout de quelques mètres une pensée me vient à l’esprit, il est 7h25 et c’est toujours vers 7h30 que Stefan Rastorfer, le paysan de la Grosse Malsenberg, superbe ferme du sommet descend son lait à Gänsbrunnen. Nul doute que le malheureux escargot ne soit écrasé par les roues du véhicule de Stefan, même si celui-ci descend toujours très prudemment.
Que dois-je faire ? Sauver l’escargot ou bien considérer que c’est son heure et que je ne dois surtout pas intervenir sur son destin Après avoir médité sur l’inconscience de cet animal qui devrait bien connaître les habitudes du lieu, je le saisis et le dépose au bord du chemin. Qu’ai-je fait en faisant ainsi ? J’ai sans doute sauvé un escargot, ce qui n’est pas très héroïque en soi, mais surtout j’ai tordu le coup au fatalisme, à cette idée que Dieu aurait fixé les choses de telle manière qu’il pourrait se passer de l’intelligence, de la bonté, de l’amour et du faire des hommes.
En fait la chose que Dieu avait sans doute prévu ce matin-là, ce n’était pas la mort de l’escargot, mais le geste de salut que moi, son modeste serviteur, j’ai accompli et j’en suis arrivé à la conclusion que si je n’avais pas fait ce geste c’est alors que je n’aurais pas accompli la volonté de Dieu ce matin là.
Bien sûr, ce n’était qu’un escargot, mais pour moi il a pris la forme de toutes ces situations ou nous baissons les bras et surtout la tête en pensant, « il faut que les choses soient ainsi », nous ne pouvons rien faire, qu’il en soit ainsi.
Donc quelqu’un dit au Seigneur, n’y a-t-il que peu d’escargots qui soient sauvés ? Eh bien oui, s’il n’y a que trop peu de promeneurs qui ne se posent pas de questions sur ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire pour les sauver. On retrouve là l’idée de la porte étroite. L’étroitesse de la porte dont parle Jésus est inversement proportionnelle à la largeur de l’inconscience de ses serviteurs dans ce texte. Quoi, nous ne sommes pas sauvés, nous avons mangé et bu avec toi, nous avons écouté ta parole et nous ne serions pas sauvés ? Allez ouvre-nous ! Quoi, nous te voyons accueillir des gens de partout, de l’Orient de l’Occident, du nord et du midi, ce qui parait déjà beaucoup et nous nous ne serions pas dans ce peu qui est déjà beaucoup ?
Jésus là n’annonce pas quelque chose d’exceptionnel, il revient souvent sur ce même sujet, ce n’est pas ceux qui le croient ou que l’on croit qui sont les justes. Les portes s’ouvrent pour ceux que l’on n’attendait pas et se ferment pour ceux qui s’imaginaient déjà avoir réservé leur place. Ainsi, dans ses paraboles de noces souvent, dans la petite apocalypse de Matthieu, en Matthieu 25, 35 « Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli. » v. 36 « J’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi. » Et ceux qui ont été justes sont ceux qui le faisant pour l’un des plus petits de leur frère ne savaient pas qu’ils le faisait pour le Seigneur, alors que les recalés sont ceux qui auraient tout fait pour lui mais pas par pour le plus petit de leur frère .
C’est quand même très clair tout ça, mais tellement loin de notre justice à nous ! Il faut que nous soyons vraiment tordus pour faire semblant de ne pas comprendre. Matthieu 7, 21 « Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » v. 22 « Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé par ton nom ? N’avons-nous pas chassé des démons par ton nom ? Et n’avons-nous pas fait beaucoup de miracles par ton nom ? » v. 23 « Alors je leur dirai ouvertement: Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. »
La vérité est là, nombreux sont ceux qui ne sont pas des croyants comme nous l’entendons et qui seront sauvés et nombreux sont ceux qui sont des croyants comme nous l’entendons et qui ne seront pas sauvés. Autrement dit et toujours dans notre texte : v. 30 « Et voici, il y en a des derniers qui seront les premiers, et des premiers qui seront les derniers. ». Ça n’est pas sans rapport avec mon escargot d’ailleurs !
Nous, on a toujours voulu soumettre le faire au croire, une subordination du geste au spirituel. il faut d’abord bien penser pour bien faire. Ainsi, un altruiste qui aide les plus petits de ses frères, ne pourrait pas faire partie des élus s’il ne confesse pas intellectuellement le Christ. Mais désolé, c’est exactement l’inverse que dit le christ. il faut subordonner les belles affirmations de foi au savoir-faire des disciples.
C’est là le vrai secret que l’église a souvent voulu cacher au monde, le vrai « Da Vinci code » de toute l’histoire chrétienne, la foi au Christ n’est pas une incantation à un esprit mais une pratique de l’amour envers les plus petits. Et c’est un secret tellement plus important que de croire que Marie de Magdala était la femme du Christ ! il y a plein d’hommes et de femmes dans l’histoire de ce monde qui nous devanceront dans le royaume des cieux. « Hors de l’église plein de salut », doit-on confesser pour contredire notre évêque de Carthage, saint Cyprien du IIIème siècle dont le slogan « Hors de l’église pas de salut » a connu le malheureux succès que l’on connaît.
Et celui qui vous dit cela est pasteur pourtant et pasteur d’une église, et il est heureux que toujours plus d’hommes et de femmes soient amenés à confesser le Christ. Mais pour moi, penser que hors de l’église il y a plein de salut ne veut pas pour autant dire que dans l’église il n’y a pas de salut. Justement parce que l’église que j’aime et dans laquelle je sers est sans doute aujourd’hui – et je l’espère pour toujours sans doute – celle qui ferme le moins la porte à ceux qui ne savent pas très bien en qui ils croient mais qui ressentent ce profond appel de l’amour du Christ.
Mon église réformée ne veut pas faire dire, mais faire faire. Elle ne pense pas la conversion en termes de paroles, mais bien en termes de conversion de l’être. Elle ne perd pas son temps à se demander si tu as sauvé l’escargot au nom du Seigneur Jésus, elle s’attache au fait que tu as sauvé l’escargot, elle ne juge pas ta prière à sa longueur ou à son extase mais à sa vérité, à son réalisme et à sa clarté. Mais c’est justement cela qu’il est difficile pour nous d’admettre, c’est la générosité de Dieu, l’ouverture au salut.
Dans notre texte c’est quelqu’un qui vient parler du fait qu’il ne puisse y avoir que peu de sauvés. Jésus dans sa réponse lui, affirme que beaucoup chercheront à entrer mais ne le pourront pas, cela ne veut pas dire dans ce texte que peu entreront, car il y en a sans doute beaucoup plus qui essayeront et pourront, mais ils sont toutefois nombreux ceux qui ne le pourront pas. Son image de la porte étroite n’est pas restrictive en terme de nombre mais bien en terme de qualité. Par une porte étroite on peut faire passer beaucoup de monde, il suffit de prendre assez de temps. D’ailleurs pour vivre cela concrètement, tout à l’heure à la sortie, la large porte d’entrée de notre église sera fermée, vous ne pourrez quitter l’église que par la porte étroite qui se trouve de l’autre coté.
Vous verrez, ça prendra sans doute plus de temps mais tout le monde pourra sortir. Pour nos auditeurs radiophoniques ce sera sans doute un peu plus difficile, même si je suis sûr que chacun là où il habite possède et l’une et l’autre.
Car en fait le problème n’est pas l’étroitesse de la porte comme on le relève souvent dans les commentaires, mais bien que le maître ferme la porte au nez et à la barbe de ceux et de celles qui étaient persuadés d’entrer, « Quand le maître de la maison se sera levé et aura fermé la porte, et que vous, étant dehors, vous commencerez à frapper à la porte, en disant: Seigneur, Seigneur, ouvre-nous ! il vous répondra: Je ne sais d’où vous êtes. » Qu’une porte soit étroite ou large si le maître ferme la porte, le résultat est le même, vous restez dehors.
En fait une chose est sûre c’est que Jésus a magnifiquement pressenti son église : il savait qu’il serait suivi par de piètres disciples, des hommes et des femmes qui s’y croient mais qui ne le sont pas, beaucoup plus prompts à juger qu’à se déjuger. Et dès lors nous oublions que nous sommes disciples et nous nous mettons nous-mêmes à ouvrir ou à fermer la porte en lieu et place du maître. Et résultat désastreux : nous ne voyons autour de nous que des portes qui se ferment, à commencer d’ailleurs par celle pourtant qui avait tellement aimé les ouvrir il n’y a pas si longtemps, notre église sœur catholique, la romaine. Mais en cela elle ne fait qu’imiter la volonté de succès et de pouvoir des églises évangéliques qui – je vous le rappelle – se réclament de la Réforme elles aussi.
Mes amis, je ne vous demande qu’une chose c’est de voir clair : le retour des églises « confessantes » cache le plus grand désarroi de l’église aujourd’hui. Elles peuvent fasciner, séduire je le sais, mais par leur volonté de pouvoir elles s’éloignent sans cesse plus de la vérité de l’Evangile. Je plaide pour les églises non-confessantes, c'est-à-dire comme nous le dit notre texte du jour, pour cette église étonnante qu’annonce Jésus, l’église des sauvés qui le sont sans le savoir. Et je parle par expérience, sur mon chemin de foi, ce ne sont pas les baratineurs sur Jésus qui me l’ont fait découvrir, mais bien plutôt le contact avec ces vieilles femmes bien ridées, pleines de l’expérience d’une vie et qui par leurs propos, leur visage, leur force m’ont fait comprendre ce qu’est la puissance de la foi ou bien la prière silencieuse des moines et oui le silence parlant d’une prière ou bien l’émotion d’une musique bien écrite.
Oui c’est vrai en y réfléchissant bien les plus grands témoins de la foi profonde en Christ ne sont pas ceux qui l’avaient à la bouche, mais profondément ancré dans leur être et leurs actes.
Amen !