Selon la définition : une parabole est une anecdote toute simple, tirée de la vie quotidienne et dotée d’un sens profond très facile à déceler. Facile : ce n’est pas ce que je dirais de la parabole que nous venons d’entendre.
À première vue, elle nous fait penser à la fable « La cigale et la fourmi », la prévoyante et l’étourdie. Ça n’est pas faux, mais ce n’est peut-être pas le tout de cette parabole. Les paraboles bibliques ne sont pas simplement des petites histoires moralisatrices, elles ont pour but de nous dire quelque chose qui nous éclaire sur nous-mêmes, sur nos choix de vie, et sur notre relation avec Dieu.
Entrons donc dans le récit :
C’est le récit d’une noce. Tout a bien commencé. Selon la coutume, les dix jeunes filles sont allées aider aux préparatifs du mariage dans la maison où aura lieu la fête. Fête dont elles se réjouissent : c’est peut-être parmi les amis de noce qu’elles rencontreront leur futur époux, qui sait ?
Une fois les préparatifs terminés, il ne reste plus qu’à attendre l’arrivée de l’époux suivi du cortège nuptial. En ce moment, comme le veut la tradition, il est encore chez les parents de la fiancée, c’est là que se règlent les derniers détails du contrat de mariage. Bientôt, à la tombée de la nuit, le cortège se mettra en route et les dix jeunes filles, qui ont pour mission de conduire le cortège et de l’éclairer, ont pris soin de remplir d’huile leur lampe. Et les voilà qui attendent le signal annonçant l’arrivée du cortège.
C’est ainsi que Jésus commence son histoire. Le Royaume de Dieu est semblable à une noce : perspective de fête, avec des chants, des danses et un banquet : quelle belle image ! Mais voilà que dans cette histoire, rien ne se passe comme prévu :
L’époux se fait attendre, bien plus que d’habitude. L’attente est tellement longue que les jeunes filles s’endorment. Toutes les dix. Et chez les dix, la mèche s’éteint. Au moment où retentit le signal : « le marié arrive », les jeunes filles se réveillent en sursaut, les unes rallument rapidement leur lampe alors que les autres sont catastrophées : elles n’ont pas pensé à prendre de l’huile en réserve. Pas moyen pour elles de conduire le cortège, elles ne participeront pas à la fête. Et Jésus termine ainsi son récit : « Veillez et priez, car vous ne savez pas quand l’époux viendra ».
Drôle d’histoire que cette noce qui tourne court pour les imprévoyantes, voilà qui a dû bien étonner les auditeurs de Jésus, voilà qui a de quoi nous déconcerter nous aussi : qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Si vraiment, comme le suggèrent d’autres paraboles, l’époux représente le Christ et les dix jeunes filles, la communauté des croyants, cette histoire a quelque chose de choquant : en effet, lors d’un mariage, il n’est pas correct de la part de l’époux d’arriver si tard, sans prévenir ni s’excuser ! Est-ce vraiment l’attitude du Christ à notre égard ?
Il n’y a pas de raison que les imprévoyantes en fassent les frais, elles ne sont pas responsables du retard de l’époux ! Elles n’ont donc pas de raison de prendre de l’huile en réserve. Quant aux prévoyantes, ces petites miss parfaites qui pensent à tout, il y a de quoi être écoeuré : «Non il n’y a pas assez d’huile pour tout le monde, débrouillez-vous !»
Et le sommet, c’est l’époux qui refuse d’ouvrir sa porte en disant : « Je ne vous connais pas !» , alors qu’il est responsable des ennuis de ces jeunes filles. L’accueil de tous, la solidarité, le partage, voilà les valeurs qu’on attendrait de l’Évangile ! Pourquoi une parabole sur le Royaume de Dieu se termine-t-elle sur une note négative de « chacun pour soi » et d’exclusion ?
Il y a d’autres paraboles qui nous invitent au partage, il y a d’autres paraboles qui insistent sur l’amour de Dieu pour tous, ce n’est pas le propos de celle d’aujourd’hui. Un des buts de cette parabole, c’est de nous faire prendre conscience de la responsabilité que nous avons, chacun, de notre propre vie, elle le fait en attirant notre attention sur l’embarras des jeunes filles imprévoyantes qui doivent se dire : « si seulement on avait pensé ».
La situation que vivent ces jeunes filles, ce peut être un reflet de nos propres attentes. Ce que nous espérons n’arrive pas toujours au moment que nous avons prévu. Il y a des réponses qui se font attendre et nous ne sommes pour rien dans ce retard. Nous avions pourtant fait tout ce qu’il fallait.
On attend la lettre d’une entreprise en réponse à une postulation, on attend que son enfant trouve enfin sa voie, on attend une amélioration dans sa santé. On s’était préparé à un certain délai, mais pas à une telle attente. L’optimisme est à la baisse, l’huile de l’espoir arrive au bout. On avait monté un projet, tout avait bien commencé, c’était l’euphorie des débuts et puis, la routine s’est installée, l’huile de l’enthousiasme s’est épuisée.
Ils avaient l’air si heureux, ces deux-là, si attentionnés l’un envers l’autre et puis, le bonheur qui les transfigurait s’est estompé, l’huile de la nouveauté ne s’est pas renouvelée. On se souvient de cette belle expérience du temps où on allait à ce qu’on appelait la jeune église, où avec ferveur et conviction, on priait pour les copains, où on discernait des exaucements, mais ça c’était il y a longtemps, tout a bien changé depuis lors, l’huile de la foi s’est asséchée.
Il est normal qu’après des débuts enthousiasmants, la routine reprenne le dessus, il est normal qu’avec le temps, la nouveauté ne soit plus une surprise, ça fait partie de notre nature humaine et de sa capacité à s’adapter, c’est sous-entendu dans la parabole : toutes les dix se sont assoupies et cela ne leur est pas reproché. Il est normal d’avoir des moments de découragement, des moments où nos efforts se relâchent.
Veiller ne veut pas dire ne jamais dormir. Même dans les métiers où il faut intervenir en urgence, il y a des temps de répit, des temps de pause. Mais il s’agit d’être prêt, et cela, ça se prépare. Vous ne savez pas quand viendra l’époux, nous dit Jésus. Les jeunes filles imprévoyantes de la parabole croyaient savoir. Elles n’ont pas imaginé que la réalité pourrait être différente. Quant aux autres, elles étaient prêtes à toute éventualité, quoi qu’il arrive, elles ne seraient pas prises au dépourvu, elles n’auraient pas de raison de s’affoler.
C’est dans la nuit que le cri a retenti. Dans la nuit, là où on a besoin précisément de lumière. Et ce que nous dit la parabole, c’est qu’on ne peut pas être prêt à la place de quelqu’un d’autre. C’est à chacun qu’il revient d’être responsable de sa vie, de ses choix, de ses réactions. Chacun a son chemin à faire, chacun a sa propre leçon à tirer de ses expériences, c’est vrai dans tous les domaines de la vie, c’est vrai aussi dans la foi.
Quand tout va bien, c’est facile de croire, mais lorsque Dieu n’agit pas comme nous l’avions prévu, notre foi est mise à l’épreuve. Faire provision d’huile, ce n’est pas « faire des réserves de foi », il s’agit plutôt d’être ouvert à l’imprévu. Dans le domaine de la foi, il faut le savoir, Dieu peut se manifester à un autre moment que celui que j’avais prévu, il peut m’apprendre encore autre chose, me dévoiler encore autre chose. Mais si ma mèche est éteinte, je ne le verrai pas, je croirai qu’il ne répond pas. Au lieu d’expérimenter l’inattendu des interventions de Dieu, j’expérimenterai son silence, son absence.
Je ne peux pas dire : « ce que je crois ou ce que j’ai fait, c’est suffisant, maintenant je sais tout, maintenant j’ai de l’huile en suffisance ». Dans toutes les dimensions de notre vie, la foi se renouvelle dans la mesure où elle se vit au travers d’actes, au travers d’attitudes qui mettent de la lumière, qui raniment la confiance sur le chemin de ceux avec qui nous sommes en route.
Plus je mets en pratique ma confiance en Dieu, plus elle devient solide. Plus je resserre avec Dieu le lien que je peux avoir par la prière, par la conscience que j’ai de sa présence dans ma vie, mieux je perçois les signaux qu’il m’envoie pour m’orienter sur mon chemin.
Veille à ne pas devenir éteint, nous rappelle la parabole. Le Christ vient à ta rencontre, sans bruit, sur ton chemin, pour éclairer ta vie, maintenant. N’attends pas qu’il soit trop tard pour y penser. C’est dans la nuit d’aujourd’hui qu’il t’appelle à la confiance, c’est dans le quotidien d’aujourd’hui qu’il t’invite à discerner des signes de renouveau, des joies que tu n’avais pas prévues.
Amen !
Veiller ne veut pas dire ne pas dormir…
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