Je vous propose une réflexion à partir des 2 textes bibliques que nous avons lus .
le premier texte dans l'ancien testament parle du prophète Elie, caché au fond d'une grotte et ne voulant plus continuer à vivre dans un monde de violence. Il comprend que Dieu n'est pas dans le grand vent, le feu ou les tremblements.
le second texte, dans le nouveau testament , parle de Jésus, mourant sur la croix au milieu d’un monde rempli de violence, et voici que soudain le rideau du temple se déchire !
A première lecture il y a des ressemblances :
les 2 fois, l’histoire se passe dans un monde de violence ;
les 2 fois, Dieu se montre de manière inattendue ;
l'évangile de Matthieu nous raconte que des gens présents ont fait un lien entre Jésus et le prophète Elie.
Commençons par le texte qui concerne Elie et arrêtons-nous après la grande démonstration devant la grotte dans laquelle Elie s'était réfugié. Mais Dieu n'est pas dans le feu, ni dans le grand vent ni dans le tremblement de terre ! Arrive alors le « bruissement d'un souffle ténu » (selon la traduction de la TOB).
Ces 3 mots en hébreu si disent qol demama daqqa. Ces 3 mots sont assez difficiles a traduire en français :
Qol c'est la voix ou le bruit et par extension : tout ce que perçoit l'oreille
Demama, est une petite brise ou une vibration tellement petite que l'on peut la traduire par l'expression « cessation de mouvement de l'air » c'est pourquoi on a aimé traduire ce mot DEMAMA par silence
Daqqa , est un adjectif qui signifie mince, ténu, fin
On se trouve ici devant une formule où les opposés se touchent dans un paradoxe, car si on traduit mot à mot cela devient : Une voix, un silence, ténu : comment tenir ensemble une voix et un silence ? Et pourtant c'est le choix que fait le rédacteur de l'histoire d'Elie.
Ces 3 mots ont une longue histoire de traduction :
dans la version grecque de la LXX : « le son d'une brise légère »
au targum juif : « la voix de ceux qui louent Dieu dans le secret »,
à Calvin a choisi une paraphrase pour traduire ces 3 mots « un son doux et subtil qui nous enseigne qu'après que la majesté de Dieu ait épouvanté les hommes elle se montre douce et aimable »
Qol demama daqqa, ce sont 3 mots essentiels pour comprendre quelque chose de Dieu ou pour le dire autrement : la bible raconte comment Dieu se fait connaître. Dans ces 3 mots essentiels, il ne s’agit pas seulement du silence, si le silence signifie « du rien ». C'est du silence plein ! Plein car il y a une voix qui dit des paroles. Mais cette voix dit ces paroles de manière si douce, si ténue que c'est très facile de ne pas l'entendre !
Tel est certainement le premier message que délivre l'histoire d'Elie. Un Dieu qui se montre à travers un silence , cela signifie que :
lorsque nous sommes au plus profond de nous-mêmes, prêts à écouter vraiment, une voix peut arriver jusqu'à nous, comme Elie qui était au fond de sa grotte. Il avait eu un sentiment d’échec et un immense ras-le-bol de tout ce qu’il devait endurer. S’il était dans cette grotte, c’est qu’il s’était enfui, le plus loin possible et s’était finalement retrouvé dans la montagne de Dieu (c’est ainsi que la Bible appelle le lieu où l’on rencontre Dieu).
C'est en sortant de ce fond, qu'Elie a pu découvrir la présence de Dieu. De la même manière, c'est en sortant de nous-mêmes que nous pourrons aller à la rencontre de Dieu. Nous avons seulement besoin d'aller en pèlerinage au fond de la grotte, au fond de nous.
Ce qui est étonnant, c'est que la suite du texte reste très ouverte, sans précision définitive de savoir où est Dieu, qui est Dieu, que dit Dieu. Il y a simplement une ouverture, une écoute, puis une invitation à se mettre en chemin après avoir entendu une voix, un silence ténu. Ce n’est pas une leçon. C’est un témoignage.
La tradition biblique a placé ce récit d'Elie au même lieu que l'histoire de Moïse recevant les 10 commandements. A la place de commandements, il faudrait dire les 10 paroles, car en hébreu ce sont les 10 devarim, les 10 paroles. Sur cette montagne, vers cette grotte-là, Dieu avait déjà donné des paroles de vie à Moïse.
Cela nous amène au 2ème récit : Matthieu décrit la mort de Jésus , disant que des gens présents pensent revoir Elie. Et à ce moment le rideau du temple se déchire. Mais ce n'est pas n'importe quel rideau ! C'est le rideau qui sépare la partie où les prêtres peuvent faire le service du culte de la partie du lieu très saint , celle où l'on dit qu’il y a la présence de Dieu.
Le Saint des Saints porte un nom en hébreu : le débir ! Ce mot a la même racine que le mot parole davar. Cela signifie que le lieu dans lequel Dieu a révélé sa présence est la parole. Il y a donc des liens entre ces 3 histoires. Et la bible fait jouer les sons et les mots parole , silence et saint des saints :
Moïse reçoit les 10 devarim (10 paroles)
Elie entend Dieu dans « une voix de silence subtil »
le rideau du temple (débir) se déchire lors de la mort de Jésus.
Si vous me permettez, je vous propose d’apprendre à dire à la place de « saint des saints » pour le lieu tout au fond du temple, de dire plutôt « espace de dialogue » car ce mot reprend le sens du mot débir. Ainsi le regard sur Dieu peut changer et s’ouvrir. En effet, le Dieu d’Elie, de Moïse et de Jésus est un Dieu de dialogue. Il nous ouvre un espace de dialogue et dans cet espace, nous pouvons nous rencontrer et retrouver du sens à la vie.
En conclusion,
- dans ces 3 récits, il y a cheminement. A à chaque fois il y a difficulté à trouver du sens à la vie tant il y a de la violence autour, à chaque fois il y a parole et silence, à chaque fois il y a révélation intérieure qui permet d'aller plus loin, de continuer à vivre avec de l'espérance.
C'est ainsi que le rideau du temple déchiré peut être compris comme une ouverture pour tous. En effet, à partir de Jésus, l'accès à Dieu a été offert à chacune de nos vies.
Cherchons autour de nous le lieu du Devir, le lieu où Dieu se tient. Là nous entendrons des Devarim, des paroles qui donnent la vie. Ainsi, chaque fois que sera créé un «espace du dialogue», c'est un espace dans lequel les vraies relations peuvent se vivre. Les uns avec les autres. Et avec Dieu. Amen !