Le Dieu de Jonas ne nous reproche pas nos colères

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C’est extraordinaire de voir comment rien n’est normal dans l’histoire de Jonas ! Ce petit livre de 48 versets en 4 épisodes est un chef d’œuvre d’humour biblique. Il y a des exagérations énormes : c'est quand même difficile à croire qu’un gros poisson puisse avaler, puis héberger un homme pendant 3 jours, ou que ce petit arbre pousse en une nuit et meure le lendemain !
Jonas se présente comme « un conte prophétique », avec des allusions nombreuses à des personnages bibliques. Le livre commence par une parole du Seigneur, mais cette parole est racontée avec humour et une quantité de jeux de mots !
L'histoire de Jonas n'est pas juste une « bête histoire drôle » ! Non, elle cache une visée théologique très subversive. L’image de Dieu déployée dans cette histoire, c'est-à-dire un Dieu qui regrette son intention punitive envers Ninive, cette image bouscule les schémas religieux traditionnels. L’humour (comme souvent) sert à mettre en question l’image d’un Dieu ennemi des païens et protecteur de son peuple. Le récit de Jonas ne peut qu’écorner la fierté religieuse et les réflexes défensifs de la foi.
Ici, des lois sont bafouées :
- les lois théologiques, car ce sont les païens qui croient le mieux en Dieu et en un Dieu qui se rétracte et se repent !
- les lois psychologiques où les plus barbares des hommes se convertissent en bloc, tandis que les bons croyants mettent Dieu en accusation, préférant la mort au succès de leur prédication ;
- les lois naturelles avec ses tempêtes subites, un curieux poisson et bientôt un étonnant ricin... Rien n’est normal dans ce livre.
Aujourd'hui, nous arrivons au 4ème épisode. Mais, pour mieux saisir la pointe de l’histoire, voici un bref résumé des 3 premières parties :

1er épisode
- au moment où le Seigneur l'appelle, Jonas est réticent et fuit le plus loin possible de Dieu. Jonas? ce nom est déjà tout un programme, car il veut dire colombe et des colombes il y en a déjà eu dans la Bible, par exemple avec Noé : c'est une créature qui a été choisie pour apporter le message d’une création nouvelle où - après la tempête du déluge - la paix triomphe. Or ici, la colombe doit annoncer la destruction (qui finalement n'aura pas lieu !)
Et dans le bateau qui a recueilli Jonas « la colombe», le mot pour désigner le chef-capitaine peut aussi se dire « l'accoucheur ». Et il aidera Jonas à accoucher de quelque chose de difficile et lourd. Jonas sera ballotté sur ce bateau, littéralement malaxé par les brisants (cf. le psaume du chapitre 2)

2ème épisode
- Jonas est jeté par-dessus borD et la tempête se calme à la seconde même ! Le texte dit « Dieu dépêche un gros poisson pour le recueillir pendant 3 jours... » et – nouvel étonnement de l'auditeur - à la fin des 3 jours, le poisson devient « une poissonne » qui redonne vie à Jonas ! Un jeu de mot - avec changement de sexe - qui permet au poisson devenu poissonne d'accoucher Jonas pour une nouvelle naissance.

3ème épisode
– Ninive est une ville si grande, dit-on, qu’il faut 3 jours pour en faire le tour. Or, un seul jour de prédication suffit à convertir les 120'000 habitants qui prennent aussitôt le deuil, et même les animaux prennent le deuil ! Imaginez les chats, chiens, canaris, poules et autres moutons tous en deuil ! Autre pointe d'humour : le roi découvre après tout le monde la parole du prophète, puis ce roi ordonne d’organiser un deuil que les gens font déjà ! C’est encore vrai parfois aujourd’hui que des gouvernants découvrent la réalité un peu tard, après leur population, perdus qu’ils sont au fond de leurs palais.
Et voilà que devant les changements des Ninivites, Dieu regrette d'avoir décidé de les faire disparaître. Il change d'avis. Est-ce que cela veut dire que toute créature peut modifier une décision de Dieu ? La nouvelle image de Dieu est subversive : faire justice c'est évaluer la personne humaine et comprendre quand vient le temps de la correction et quand vient le temps de la tendresse, car la tendresse peut revenir en arrière et pardonner. Et cela ne plaît pas du tout à Jonas !

Nous pouvons entrer maintenant au début du 4ème épisode
Jonas prend très mal, littéralement « cela s'échauffe pour lui ». Une grosse colère monte et il s'adresse à Dieu : J’ai fui ma mission dit Jonas, car je sais que tu es un Dieu qui fait grâce, bienveillant, lent à la colère, abondant en fidélité et ayant du regret au sujet du mal. Car dans un monde où tant de gens croient en un Dieu qui aime ceux qui font le bien et qui obéissent, mais qui punit ceux qui font le mal et qui désobéissent, à quoi bon essayer de présenter un autre Dieu - cela ne les intéresse même pas ! D'ailleurs ils ne viennent même pas écouter les rares personnes qui parleraient d'un tel Dieu qui fait grâce, bienveillant, lent à la colère, abondant en fidélité et ayant du regret au sujet du mal.

L'histoire de Jonas nous rejoint ici, car aujourd'hui aussi la foi populaire croit davantage en un Dieu qui n'aime pas les comportements immoraux et qui les punit plutôt qu'en un Dieu qui pourrait être patient et bienveillant avec de tels comportements. Aujourd'hui la majorité de nos contemporains disent « s'il y avait vraiment un Dieu, il interviendrait pour punir ceux qui agissent de manière criminelle. Mais comme les guerres sont toujours nombreuses et que les malheurs touchent tant de gens sur la terre, c'est bien la preuve que Dieu n'existe pas ! » Alors à quoi bon témoigner d'un Dieu qui fait grâce, bienveillant, lent à la colère, abondant en fidélité et ayant du regret au sujet du mal. C'est ringard ! Comme pour Jonas, ce message – découvert dans le poisson – n'a que peu de chance de passer aujourd'hui.
A l'inverse, croire que tout est bien et que tout est permis et que de toute façon « on ira tous au paradis » comme dit la chanson, n'est pas non plus une solution. La dernière parole dans la bouche de Dieu dans l'histoire de Jonas décrit des Ninivites qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, ce qui veut dire qu'ils ne savent pas distinguer les valeurs. A Genève, par exemple, la connaissance de la Bible est si faible que bien des universitaires ne sont plus capables de comprendre les allusions bibliques des auteurs de la littérature française s'ils ne sont pas aidés par une brochure explicative.

Alors Jonas dit : « Je n'ai plus de raison de vivre, il ne me reste plus qu'à mourir.» Dans la tradition biblique, vous trouverez les mêmes mots dans la bouche du prophète Elie, chez Jérémie et Job et d'autres encore.
Aujourd'hui aussi, vous pouvez entendre ces mots dans la bouche de personnes qui n'ont plus d'espoir. Par exemple ces trop nombreux employés des postes françaises qui ont choisi le suicide, tellement leurs conditions de travail étaient mauvaises ! Lorsque des valeurs de vie et de relation disparaissent, lorsqu'on ne voit pas d'issue ni avenir, on dit aussi « je n'ai plus de raison de vivre, il ne me reste plus qu'à mourir.»
Ces mots très forts dans la bouche de Jonas montrent que sa colère est immense ! Ce n'est pas un petit jeu « Oh, il n'a pas voulu faire la mission de Dieu .» C'est profondément un conflit de valeurs qui le met d'abord en colère et qui lui fait dire que sa vie n'a plus de sens ! C'est comme si Jonas dit subir un mobbing de la part de Dieu ! En effet, Dieu l'envoie annoncer un message de destruction et quand on connaît la violence avec laquelle les Ninivites traitent leurs prisonniers, Jonas peut bien avoir peur ! En plus, quand on sait que Jonas est convaincu que Dieu est capable de changer d'avis car il est un Dieu bienveillant et patient, alors on mesure mieux que Jonas n'a pas très envie d'aller à Ninive ! Et enfin quand ce que Jonas a pressenti, c'est-à-dire que Dieu va changer d'avis, Jonas est dans une grande colère !
Et à ce moment Dieu reprend le dialogue avec une question (pas une affirmation): « Fais-tu bien de t'échauffer ? » C'est une 1ère allusion à l'histoire de Caïn, qui lui aussi s’est mis en colère devant ce qu'il a ressenti comme une injustice « Dieu préfère mon frère » et qui a fui la présence de Dieu. Comme Jonas.

Mais, à la question de Dieu, Jonas ne répond encore rien. Il fait seulement une cabane (une souka = allusion à la Fête des Cabanes) qui est un élément symbolique important du croyant qui, une fois l'an, construit une cabane très sommaire et légère et qui y vit pendant 10 jours afin de signifier que la seule vraie protection est donnée par Dieu, car la cabane n'a pas de vrai toit et le jour et la nuit on peut voir le ciel, le soleil et les étoiles. Ainsi, Jonas se réfugie dans un rite religieux, dans une pratique religieuse : il prie dans sa souka (= cabane).
Aujourd'hui aussi, vous pouvez imaginer que quand on ne sait plus très bien où est Dieu, on se réfugie dans un rite religieux. On dit parfois « Il n’y a jamais eu autant de gens dans les églises que dans les périodes de difficultés et de guerre. » Si vous trouvez que les églises ne sont pas très pleines, c'est que tout ne va pas si mal ? N'est-ce pas ?

Le texte continue avec humour. Dans l'histoire de Jonas, Dieu est patient et il continue une forme de dialogue avec une histoire de kikayon, un petit arbuste pas très connu qu'on a souvent appelé ricin.
1- Le Seigneur dépêcha un kikayon (ricin) pour donner de l’ombre (= protection), puis
2- Le Seigneur dépêcha une larve (un ver), puis
3- Le Seigneur dépêcha un vent d’est brûlant.
C'est une allusion au Dieu de la Genèse, qui a créé le ciel et la terre et tout ce qu'elle contient. Mais ici, Dieu n'est pas le grand Dieu créateur, il crée juste un arbuste fragile, une larve et un vent d'est brûlant. On est bien dans un récit d'un humour plutôt subversif.

Puis, Dieu continue, il cherche une 2ème fois le dialogue : « Fais-tu bien de te mettre en colère ? » Réponse cette fois de Jonas : oui, je fais bien de me mettre en colère ! Aujourd'hui aussi, parfois nous avons besoin d'entendre plusieurs fois la question quand la colère est grande. Elle a besoin de temps pour diminuer un peu et nous rendre capables de parler à l'autre.
Voici la pointe finale du récit : Dieu ose comparer – avec douceur – la colère pour la mort d'un petit arbre avec la colère pour la mort de 120'000 personnes ! (littéralement 12 fois des dizaines de milliers (cf. les 12 tribus). C'est une allusion au Dieu de l’alliance. Dieu ne fait pas cette comparaison dans un langage de morale. Simplement avec une question. Et cette question reste sans réponse. Comme si c'était à Jonas d'essayer une réponse – que nous ne connaissons pas – et ensuite à l'auditeur aussi de s'essayer à la réponse.

Aujourd'hui aussi, vous pouvez être aidés à dépasser une colère ou une frustration par un dialogue ouvert, sans morale, à travers des questions dont vous êtes les seuls à construire les réponses. Et c'est quand vous pouvez comprendre que votre malheur (tempête, colère) dans le fond, est plus petit qu'un autre malheur (tempête, colère) que vous avez une ouverture pour trouver de l'apaisement. Alors que si la comparaison des colères vous est assénée avec force par quelqu'un qui sait mieux que vous ce que vous vivez, eh bien la porte de l'apaisement est fermée
Dans l'histoire de Jonas, tout est anormal : Jonas, la tempête, le poisson, les Ninivites, le ricin, le ver, la prière, et même... Dieu ! Surtout Dieu ! Tout et tous sont à l’envers. Le cadre qui a construit vos valeurs est soudain tout à l'envers. Dieu ne ressemble plus à celui qui nous a été présenté.
Ce sujet est repris par Jésus, lorsque des gens le bousculent pour qu'il fasse des « petits » miracles. Alors ils pourraient croire. Et Jésus de leur dire : vous n'avez pas besoin de cela, vous avez l'histoire de Jonas ! L'apôtre Paul, dans la lettre aux Romains écrivait (chapitre 11): « Dieu a vu tous les humains enfermés dans la révolte. Il est venu pour les libérer tous par sa tendresse. »
J'aime que l'histoire de Jonas se termine par une question, ou pour le dire autrement, que cette histoire ne se termine pas vraiment. Si c’était à nous de continuer l’histoire ? Les signes de Dieu sont encore en devenir. Ils sont à chercher. Pour les voir, il faut ouvrir les regards. Si nous pouvions devenir des signes vivants d’un Dieu qui fait grâce, qui est bienveillant, lent à la colère, abondant en fidélité et ayant du regret au sujet du mal.
Le Dieu de Jonas et de Jésus le Christ ne fait pas reproche de nos colères, au contraire, il continue à chercher le dialogue avec tendresse et avec des questions ouvertes et non des morales. Ce Dieu espère qu'à travers un conte prophétique raconté avec des jeux de mots, des allusions et un humour parfois décapant et subversif, un message de vie puisse être entendu.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Thanh-Tu Cao (piano)
Musique
Choeur mixte de Satigny, direction Christine Mayencourt