De toute façon, ils font comme ils veulent ! Cette remarque, on l'entend assez régulièrement au café du commerce, à propos des autorités politiques. Manière de dire qu'il y a toujours dans la société ceux qui décident et ceux qui ne peuvent que se plier aux décisions.
A Ninive, il en fut tout autrement : la population de la ville a pris les devants. Les habitants, frappés par la proclamation de Jonas, ont brusquement décidé de jeûner. Du plus petit au plus grand, ils sont entrés dans une démarche de repentance active, sous forme d'un deuil collectif. Quant au souverain, il a suivi le mouvement général. Le roi de Ninive a laissé glisser sa robe royale pour se couvrir d'un sac, allant même jusqu'à s'asseoir sur la cendre. L'autorité suprême a donc été guidée par ses sujets !
Cet épisode de Jonas nous donne donc déjà beaucoup de courage et d'élan contre le fatalisme. Vous savez, ce sentiment que de toutes façons on n'y peut rien, qu'on est trop démuni, trop faible pour changer quoique ce soit à nos vies ou à la réalité. Puisque les autres décident pour nous, puisque les événements sont forcément plus forts que nous, nous n'avons donc plus qu'à nous résigner et à suivre le mouvement !
Les habitants de Ninive nous ouvrent au contraire un horizon d'espérance : ce sont des personnes ordinaires, des gens comme vous et moi, qui vont être le moteur d'un mouvement communautaire. Un élan commun qui va interpeller leur roi et même faire changer Dieu d'avis !
N'est-ce pas une façon de nous rappeler que notre manière d'être et d'agir, de parler et de communiquer, n'est jamais sans importance ? Là où nous sommes, dans notre situation, si modeste soit-elle, Dieu compte sur nous, il fait de nous ses partenaires. Un texte très fort le dit à sa manière :
Si la note disait : Ce n’est pas une note qui fait une musique... il n’y aurait pas de symphonie. Si le mot disait : Ce n’est pas un mot qui fait une page... il n’y aurait pas de livre. Si la pierre disait : Ce n’est pas une pierre qui peut monter un mur... il n’y aurait ni maison ni église ni cathédrale. Si la goutte disait : Ce n’est pas une goutte d’eau qui peut faire une rivière... il n’y aurait pas d’océan. Si le grain de blé disait : Ce n’est pas un grain de blé qui peut ensemencer un champ... il n’y aurait pas de moisson. Si l’homme disait : Ce n’est pas un geste d’amour qui peut sauver l’humanité... il n’y aurait jamais de justice et de paix, de dignité et de bonheur sur la terre des hommes.
Comme la symphonie a besoin de chaque note, comme le livre a besoin de chaque mot, comme l’océan a besoin de chaque goutte d’eau, comme le moissonneur a besoin de chaque grain de blé, l’humanité toute entière a besoin de toi, là où tu es. Et on pourrait ajouter : là comme tu es, avec ta joie, ton espérance, ta souffrance, ta misère, ta vieillesse ; L’humanité toute entière a besoin de toi, car tu es unique. Aimé de Dieu et donc irremplaçable.
Irremplaçable certes, mais irremplaçable pour quoi ? A Ninive, les habitants ont réagi à une annonce dramatique : « Encore 40 jours et Ninive sera mise sens dessus dessous. » Cette annonce a provoqué un autre renversement : une conversion, un retournement de leur pensée et de leur manière de vivre.
Les menaces sont assez à la mode à l'heure actuelle et particulièrement dans notre pays. Certes, on sourit quand Kadhafi exige le démantèlement de la Suisse. Par contre, on s'amuse beaucoup moins quand le secret bancaire est mis à mal de tous les côtés, quand les caisses de l'AVS et de l'AI accumulent des déficits exorbitants, quand les assurances maladies pèsent toujours plus lourd sur les ménages à la mesure des frais médicaux, quand le réchauffement climatique fait fondre à grande vitesse nos glaciers et met en péril l'économie florissante de l'or blanc.
Nous sommes cependant rassurés : on ne parle pas de 40 jours, mais de plusieurs années, voire de dizaines d'années. La menace est nettement moins pesante, moins préoccupante, parce qu'elle n'est pas imminente ! On se rassure aussi en se disant que ces menaces restent des hypothèses et vont finir par disparaître avec le temps : le secret bancaire n'est-il pas bien gardé par tous nos banquiers ? La crise ne va-t-elle pas s'éloigner ? Les caisses de l'AVS et de l'AI ne vont-elles pas se renflouer ? Le dernier hiver n'a-t-il pas été plein de promesses pour les suivants ?
La force des Ninivites a été de réagir. De prendre au sérieux la Parole de Dieu transmise par Jonas et d'en faire quelque chose. Cette réaction n'a pas été de fuir la ville, ni de rejeter la faute sur les autres ou de chercher des coupables. Tous sont coupables, tous se sont sentis concernés par le message du prophète. Tous sont devenus les acteurs d'un bouleversement, qui a mobilisé chacun du plus petit au plus grand, et même jusqu'aux animaux !
Cette solidarité semble presque irréelle et utopique. Elle vient en tous cas questionner l'individualisme actuel qui tue la solidarité. Bien sûr, nous pouvons nous dire que la menace n'est pas pour nous aujourd'hui. Nous sentir en sécurité, à l'abri du danger. Ils sont nombreux pourtant ceux et celles qui sont déjà touchés par des bouleversements économiques et sociaux.
Ici, dans notre quartier, une famille n'arrive plus à payer ses primes d'assurance. Là, dans notre voisinage, un ouvrier, un employé de banque ou un cadre d'entreprise se retrouve brusquement sans emploi. Là-bas au loin, le désert avance et chasse des populations entière vers des bidonvilles, à cause du manque d'eau. Nous pourrions encore multiplier les exemples.
Vous allez me dire : mais qu'est-ce qu'on peut faire ? Personne n'a de recettes miracles à proposer face aux menaces qui pèsent sur les sociétés actuelles. De plus, on se sent souvent seul et impuissant quand on aimerait réagir et changer quelque chose !
La réaction des habitants de Ninive reste simple, à leur portée : dès le premier jour, elle se manifeste dans un examen de conscience et dans un jeûne. Ils ne vont pas provoquer de grands changements dans leur cité, mais changer leur regard, mettre leur confiance en Dieu et prendre sa parole au sérieux. Ce retour sur eux-mêmes s'accompagne de gestes simples, qui ont du sens.
Le père Anthony de Mello nous laisse à ce propos cette petite histoire : « on raconte qu’un jour un roi en avait assez de s'écorcher les pieds sur les chemin de son Royaume. Car on marchait encore à pieds nus. Il demanda alors à ses serviteurs de recouvrir tous les chemins avec de la peau de vache. Le fou du roi lui dit alors : Majesté… Ne serait-il pas plus simple de fixer deux petits morceaux de peau de vache sous la plante de vos pieds ? Le roi trouva que c’était une bonne idée et il paraît que c’est ainsi qu’on été inventées les chaussures. »
Si tu veux changer le monde, commence aujourd'hui par changer ton cœur. A cette célèbre maxime, on pourrait ajouter : accompagne ce changement de gestes simples, qui sont à ta portée, qui vont dans le sens de ta conversion du cœur. Sois sensible à la présence des autres personnes de ton immeuble, de ton quartier, aux voisins de ta chambre d'hôpital, aux gens que tu croises au bureau, dans le bus ou l'ascenseur.
Vise des placements équitables, lorsque que tu as le privilège d'avoir une fortune. Résiste à la spéculation à tout prix que tu sois banquier, courtier ou économiste. Réfléchis à ton usage des médicaments s'ils s'accumulent dans tes armoires, choisis des médecins qui peuvent t'accompagner dans ce sens et qui ne facturent pas démesurément quelques minutes de consultation.
Apprends à marcher, à prendre les transports publics, quand tu as l'habitude d'utiliser ta voiture pour un oui ou pour un non. Prends du temps pour toi et pour ta famille, si tu te sens toujours débordé et stressé. Aie à cœur d'offrir à ta vie un espace pour la prière, cette communion intime avec Dieu qui aide à prendre du recul, à calmer ton coeur et à trouver la lumière intérieure.
Des gestes simples qu'il ne s'agit surtout pas de systématiser. N'est-ce pas à chacun, dans la situation qui est la sienne, de demander à Dieu d'inspirer ses choix et ses actes ? A chacun de vivre une vraie conversion du coeur qui se traduise dans une cohérence de vie, dans des gestes simples, humbles et courageux ?
Dans le livre de Jonas, Dieu place les habitants de Ninive face aux conséquences de leurs actes. Mais au contraire d'une épée de Damoclès qui fait peur et qui paralyse, il avertit pour libérer. Il avertit pour sauver, il avertit pour rendre solidaire, il avertit pour apaiser et pour soulager. Pour reprendre les mots de l'apôtre Paul, le Seigneur ne se pose pas contre nous. Il ne fait pas de menaces, de chantage, ni de pression culpabilisante. Il met en garde, il nous place face à nos inconséquences dans l'espérance d'un changement possible. Il nous croit capables de décision, de responsabilité et de changement.
Car Dieu souffre de ce qui nous menace. En Jésus-Christ, il viendra même porter cette souffrance avec nous, partager dans son corps et dans son cœur les détresses et les injustices qui frappent les êtres humains, les animaux et l'ensemble des êtres vivants. En Jésus-Christ, il nous offre aussi la promesse que les menaces ne sont pas la fin de tout. La vie est plus forte la mort, la vie jaillit du tombeau : un jour, tout ce qui menace la vie, les relations humaines et la création disparaîtra !
En accueillant aujourd'hui Jésus-Christ au plus profond de nous-mêmes, en laissant sa parole inspirer et guider notre vie, en recevant le souffle de son Esprit qui nous donne l'inspiration et la force des choix nécessaires, ne préparons-nous pas ce jour nouveau, où toute menace aura disparu ? « Je vais vous donner un avenir et une espérance, dit le Seigneur ! »
Amen !