Personne ne s’y attendait. Surtout pas cette femme, cette Samaritaine qui avait choisi l’heure chaude de midi pour venir au puits sans risquer de rencontrer quelqu’un. Elle avait sans doute trop connu le rejet ou le mépris, son estime de soi mise à mal pour qu’elle fuie le regard des autres, pour qu’elle préfère se cacher. Elle qui manquait de confiance en soi, comme de reconnaissance, elle préférait se réfugier dans la solitude.
Au début il n’y a qu’une surprise et un malentendu. Car quelqu’un est là, près du puits, voyageur harassé de fatigue qui demande à boire, et ça ne se refuse pas au pays de l’hospitalité.
Et se déroule alors un film étonnant où les visages de cet homme Jésus et de cette femme Samaritaine sont face à face, se rencontrent, se révèlent réciproquement l’un à l’autre et ouvriront pour cette femme les impasses de sa vie. Je vous propose de regarder ensemble se dérouler ce court-métrage au fil de 4 scènes qui dessinent l’une après l’autre les contours de cette rencontre et le tournant que leur chemin va prendre.
Scène 1 : Une demande qui devient don.
Au départ, Jésus saute par-dessus les barrières de la rencontre : elle est femme, et il lui parle, ce qui n’est pas d’usage. Elle est samaritaine, considérée comme une étrangère, comme impure aux yeux des juifs et il lui fait une demande. 1er regard d’accueil posé sur cette femme à qui on ne demandait plus rien. C’est la première ouverture opérée dans le coeur de la samaritaine. C’est la 1ère surprise.
Mais voilà que ce voyageur inconnu change de ton, joue sur les mots pour le dire autrement : « si tu savais le don de Dieu …et qui est Celui qui te demande à boire…c’est toi qui lui aurais demandé et il t’aurait donné de l’eau vive. »
Il va passer de l’eau à boire à l’eau à vivre, de la soif de midi déshydratée par la chaleur, à ses soifs de vivre à elle, ses aspirations profondes, ses manques de reconnaissance, de sens ; il va passer à ses détresses tues, à son désert à elle.
Jésus passe d’une demande à une offrande : celle d’accueillir un don de vie qui comble sa quête de sens, son attente profonde. Et surtout une soif d’être elle-même pleinement reconnue jusque dans ses ombres, dans ses parts cachées loin des regards qui jugent et blessent. Une femme comme tant de personnes parmi nous qui, parce que nous manquons d’estime de soi, parce que nous ne sommes pas conformes à une norme, parce que nous sommes différents ou fragiles, cachons cette part de nous-mêmes que nous n’accueillons pas ni ne reconnaissons vraiment. Une femme comme tant de personnes parmi nous qui a des soifs plus profondes que ce que l’agitation active, ou l’argent aujourd’hui, le quotidien du métro-boulot-dodo, peut combler.
Scène 2. Mais le puits est profond…
Mais qu’est-ce qu’on venait chercher au puits à part cette eau pour nous abreuver, ce qui était déjà une obsession dans le désert et l’occasion de tous les murmures du peuple d’Israël. La quête de l’eau a toujours eu une dimension spirituelle. Le puits d’ailleurs, hormis un lieu de rencontre par excellence, est connu comme un lieu de révélation et de connaissance. Pour la lecture juive, la sagesse est symbolisée par l’eau des profondeurs enterrée et cachée dans le puits, mais accessible à ceux qui comprennent qu’elle est vitale. La vérité est au fond du puits, pour cela il faut dé-couvrir, enlever le couvercle pour que cette compréhension, ce sens jaillisse. Mieux : le puits est le réceptacle de la vie, un lieu associé à la survie, à la fécondité, à un ventre de femme !
Le surnom de ce puits de Jacob était « don ». On comprend dès lors que le don, c’est Quelqu’un. C’est celui qui se révèle à elle au bord du puits comme le Christ, celui qui donne la vie, Celui qui va la révéler à elle-même.
Mais pour cela il faut passer par l’aveu de ses soifs, il faut être d’accord de descendre dans son puits profond, y chercher sa vérité, y recevoir sa source. Et accepter cette rencontre intérieure avec ce qui est profond en moi. Aller même jusqu’à tout ce que j’ai du mal à accepter et à accueillir en moi, ce que je ne sais pas vivre au grand jour, à l’épreuve du regard des autres. C’est telle dépendance dont je ne peux me défaire, ce sont tels échecs qui enferment mon image, c’est mon sentiment de ne pas être à la hauteur, c’est ma pauvreté et mes limites, c’est encore telle minorité sociale, raciale, sexuelle qui est fustigée par la société. C’est tout ce que je cache comme des ombres à ne pas mettre en lumière.
Mais le puits est profond, et il faut descendre en eaux profondes, dans son propre cœur, y reconnaître ses soifs et y révéler ses douleurs pour que nos yeux s’ouvrent à la rencontre de celui qui sauve. Celui-là même qui descend avec moi au fond de mon puits avec ce regard d’amour qui me reconstitue, qui me répare, qui me relève, me permet de m’envisager.
Scène 3. Un homme et une femme, une histoire d’amour.
Non ce n’est pas Lelouch qui a filmé cette scène, mais c’est pourtant un regard d’amour encore plus profond que nos passions : celui du Christ qui se donne, lui la source, lui l’eau vive, lui l’Esprit de Dieu qui dans cette communion avec lui, révèle cette femme à elle-même. En lui donnant de l’eau elle a reçu sa source. En recevant ce regard d’amour qui dévoile mais restaure en même temps, redonne la vie dans cette reconnaissance, elle est debout, elle a mis au jour ses ombres, elle est devenue claire, sans masques, sans fards ; elle peut raconter son parcours parce que cet amour la prend là où elle est, là où elle en est. Elle dira tout : sa solitude, son instabilité du cœur et des relations, ses manques, ses traversées de désert, son vide d’essentiel. « Donne-moi de cette eau-là pour que je n’aie plus jamais soif… »
Puissions-nous être comme la samaritaine, nous qui sommes si souvent des handicapés de la soif, qui ne savons pas les reconnaître, ni aller boire au bon endroit. Puissions-nous faire avec elle assez de chemin intérieur pour devenir pleinement nous-mêmes, et le reconnaître !
Et face à elle, un homme, une rencontre, un Dieu qui s’approche d’elle si intimement qu’elle ne peut que renaître dans ce don, dans ce par-don, « par-delà le don ». Un homme Jésus qui attache son cœur à Dieu parce qu’il la sauve d’elle-même, de vivre entamée et jugée, de vivre repliée. Au contraire il l’ouvre à la vie, à la relation retrouvée avec les siens, à la communauté vers laquelle elle courra partager cette fulgurante expérience. Le Messie qui vient à ma rencontre, et de cette rencontre jaillit la vie, le sens, les profondeurs fécondes du puits où trouver ma vérité.
Scène 4. Cette scène a été ajoutée… et c’est moi, c’est toi, c’est vous ici ou au bout des ondes, à l’écoute, qui sommes ensemble sur la margelle du puits de Jacob Avec nos soifs, nos aspirations, nos découragements, nos quêtes de guérison intérieure, nos quêtes de sens. Nous qui avons tous une part intérieure de nous-mêmes à éveiller à la Présence de Dieu en nous, à la vie divine…
Qu’est-ce que vivre en Dieu, être en Dieu dans la plus haute aspiration qui fait de notre vie autre chose qu’un mécanisme, que la production d’activités, que l’éparpillement dans tout ce qui nous justifie ?
Notre confusion vient peut-être de notre manière de chercher Dieu. Nous croyons que c’est par nos efforts, nos actions, notre amour et nos prières que nous parviendrons peut-être à rejoindre Dieu dans ses hauteurs ! Mais Dieu, comme le Christ venu à la rencontre de la Samaritaine, vient à nous toujours, frappe à nos portes, il est là déjà présent en nous, prêt à y faire sa demeure de paix. La découverte de la source et du don de vie qu’est le Christ lui-même est bien plus cette capacité de nous ouvrir à sa venue, de l’accueillir jusque dans les recoins de notre être dont nous seuls avons la clef et de le laisser habiter notre terre intérieure pour la féconder.
Aussi c’est avec des mains de pauvres, des mains ouvertes, un cœur en attente et assoiffé, que je peux laisser le Christ se donner et me porter vers la vie. Et c’est justement là où je me sens vulnérable, pauvre, avec mes soifs cachées et mes manques, que je me laisse trouver par celui qui me cherche de toute éternité et qui n’attend que de se donner.
Cette offrande de l’eau vive vient pour un cœur qui a soif. Cette offrande de l’eau vive vient pour quiconque a le désir de ce Dieu qui partage mon humanité, ce Dieu qui me permet de l’assumer en plénitude, jusqu’au plus profond, parce que je suis aimée.
Amen !