Le cœur, espace sensible aux sources de la vie.

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Écouter le culte :

La sagesse du coeur ou le Dieu porte-bonheur ?

Il me semble pertinent d’affirmer que le protestantisme est parfois trop doctrinal et pas assez spirituel. Nous avons des théologiens qui développent une pensée théorique, mais on peine à voir quelles peuvent être ses implications dans le vécu, dans l’expérience concrète de la vie quotidienne. Parfois, une certaine pauvreté spirituelle se fait sentir dans les paroisses. Le protestantisme tire surtout sa pensée des textes de Paul, mais risque d’oublier l’importance de l’enseignement de la sagesse dans les Paroles de Jésus, et l’enseignement de la sagesse dans l’Ancien Testament, dont nous venons d’entendre un brillant extrait, tiré du livre des Proverbes.

Il y a pourtant une idée très sage au cœur même du protestantisme : Il s’agit de se décentrer de soi, et de se centrer sur Dieu. Ne pas compter sur nos œuvres, sur nos mérites, sur nos propres forces, mais compter sur Dieu, sur sa grâce, sur son amour, sur lui qui est fidèle même lorsque nous-mêmes sommes infidèles. Ce décentrement de soi libérateur est au cœur de toute sagesse et de toute spiritualité, mais il arrive que ce décentrement sur Dieu soit mal compris :

Certains imaginent un Dieu qui nous épargnerait toute difficulté par ses miracles, il suffirait de prier pour obtenir facilement ce que l’on veut. Ce Dieu magique, qui est parfois le Dieu des enfants, ou le Dieu de celles et ceux qui attendent de Dieu qu’il trouve une solution simple à tout, tombe vite en discrédit. Il ne fonctionne pas si bien que cela, et l’on en vient à penser que la religion est une supercherie, une tromperie dont un esprit averti doit se garder.

Les textes de la sagesse viennent corriger cette vision magique de la religion. Dans cette perspective, le raisonnement est même complètement retourné : Puisque la vie est un don de Dieu, c’est à nous d’en prendre soin. Pour le croyant, tout est miracle, la vie entière est une grâce, et pourtant, il garde les pieds sur terre, il agit prudemment et ne s’imagine pas Dieu comme un simple parapluie protecteur. C’est le sens du passage d’aujourd’hui : « Garde ton cœur plus que toute autre chose, car de lui dépendent les sources de la vie ».

Il s’agit avant tout de veiller sur soi. Garder son cœur, c’est veiller à ne pas se faire du mal à soi-même, c’est prendre soin de soi. Nous avons là le principe d’un égoïsme sein, d’un juste amour de soi, différent de l’égoïsme qui nous ferme à l’autre. Cette clé de lecture nous permet de comprendre comment les Paroles de Dieu sont, je cite notre texte, « la vie et la santé pour tout notre être ». Nous n’avons pas là une conception surnaturelle de la guérison divine. Il ne s’agit pas de s’aventurer dans les chambres d’hôpital, et de laisser planer de faux espoirs aux malades en prétendant savoir les guérir par la prière. Selon le texte, c’est en écoutant la Parole divine que l’on garde la santé. Il ne s’agit pas d’un miracle, mais d’un style de vie propice à la santé. Cette vision spirituelle de la santé est complémentaire à notre médecine moderne. C’est en se nourrissant de cette sagesse qui vient de Dieu, que l’on reçoit dans sa Parole, que l’on garde sa santé intérieure, que l’on garde son cœur, et cette humilité du cœur. Cette disposition à se remettre en question, à écouter Dieu, à reconnaître ses torts, a une influence certaine sur notre santé physique et psychique.

La vie tout entière, le livre des Proverbes la conçoit comme un apprentissage : « Mon fils, prête attention à mes paroles », c’est le début et le résumé du texte. Cette disposition à apprendre prépare la vision du Nouveau Testament qui nous présente Dieu comme un Père, comme une autorité bienfaisante, et non comme un simple guérisseur porte bonheur. Amen




Le passage inévitable (et nécessaire) par l’échec spirituel

Pourquoi garder son cœur, pourquoi se donner tant de peine, dans une existence où tant de personnes semblent simplement profiter de leurs privilèges ? L’épître de Pierre, au travers de ce texte exigeant, nous donne une réponse extrêmement précise et complète à cette question. Pierre a raison de nous rappeler que la foi, le simple fait de croire en Dieu, ne change pas grand-chose si l’on n’y ajoute pas des conséquences concrètes dans notre savoir vivre. L’enseignement révolutionnaire de ce texte est le suivant : Ce ne sont pas nos richesses extérieures, mais les qualités personnelles que nous développons qui nous procurent le plus de bonheur et de satisfaction, parce qu’elles nous donnent le sentiment d’être utiles, d’avoir une mission personnelle à accomplir sur cette terre, de vivre une vie sensée, importante.

Mais pour y parvenir, cela implique de fournir un effort, ça ne va pas tout seul. Pas de fausses illusions donc : Dans la foi, Dieu ne fait pas tout, le croyant n’attend pas béatement que Dieu le tire en avant, il a sa part de persévérance à accomplir. Veiller sur soi, c’est donc, comme dit le texte, ajouter successivement des compétences à sa foi, avancer de progrès en progrès : la vertu, la connaissance, la maîtrise de soi, la ténacité, l’amour fraternel, sont citées parmi toutes ces qualités. C’est une évidence que personne ne peut vivre de manière un tant soit peu sensée et équilibrée, paisible et sociale, sans posséder un minimum ces qualités : Sans connaissance, on s’égare. Sans maîtrise de soi, on se laisse emporter par ses passions les plus diverses. Sans ténacité, on abandonne la lutte à la moindre difficulté par découragement. Sans amour fraternel, on est condamné à la solitude et à la tristesse.

Et pourtant, cet effort sur soi, cette persévérance, cette sage décision d’agir au mieux, le croyant est parfois amené à reconnaître qu’il n’en est pas capable : La lutte pour s’améliorer ne donne rien, notre nature nous résiste comme un mur. Très souvent, je dirais même toujours, un effort spirituel de notre part est accompagné d’un certain degré de déception : Nous n’y arrivons pas ! Pas facilement en tous cas ! Pas tout de suite, pas si bien que nous les souhaiterions. C’est la raison pour laquelle beaucoup de personnes se découragent : Elles finissent par adopter une attitude cynique vis-à-vis de la foi : Ce truc là, ça ne marche pas ! La foi m’a déçu, Dieu n’a pas répondu à mes attentes. Et c’est vrai, bien souvent nos efforts pour devenir plus spirituels ne fonctionnent pas. La tentation est trop forte, les distractions sont trop attirantes, la durée de l’effort est trop longue, la souffrance est trop intense: On finit par capituler et par se laisser gagner à nouveau par ses bonnes vieilles habitudes aussi tenaces que certaines taches sur un tapis. Cette lente capitulation, cette progressive prise de conscience de nos faiblesses, ce chemin d’acceptation de nos limites est un aspect du chemin de la croix, le premier mouvement de la spiritualité chrétienne.

Le croyant finit par admettre qu’il ne peut faire des progrès que dans la mesure où Dieu lui en donne la force. Pas de veine gloire, donc : C’est en se sentant porté par Dieu que l’on avance au rythme que lui choisit, et pas en prétendant parvenir à quelque chose par soi-même, tout seul. « L’homme seul n’aboutit à rien », disait Jésus. Le raisonnement est donc à nouveau renversé de fond en comble : Il ne s’agit pas de chercher à s’améliorer pour faire plaisir à Dieu, mais il s’agit d’apprendre à trouver son plaisir avec Dieu pour qu’il en résulte une amélioration de notre qualité de vie. Ainsi, on comprend que le devoir et le bonheur sont intimement liés.




Sortir des illusions, choisir la réalité

« Entrez par la porte étroite, large est le chemin qui mène à la perdition ». Voici un magnifique texte de spiritualité, mais que d’angoisses a-t-il déjà provoqué chez d’innombrables chrétiens qui y lisent l’exigence de devenir parfaits, c’est-à-dire de parvenir à éviter tout dérapage personnel sur le chemin étroit qui mène au paradis. En gros : Mériter le paradis pour éviter la perdition. À ce prix, la spiritualité devient une angoisse permanente, une épée de Damoclès sans cesse dressée sur nos têtes, et Dieu devient notre juge impitoyable, notre pire ennemi.

Je vous propose de renverser à nouveau notre manière de comprendre ce texte : « Entrer par la porte étroite », dans le langage de l’Évangile, c’est la même idée que « garder son cœur », dans le langage des Proverbes. La perdition, ce n’est donc pas celle que Dieu nous inflige, mais celle que nous nous infligeons à nous-mêmes en ne gardant pas notre cœur, en nous dispersant. La menace ne vient pas de Dieu, elle vient de l’intérieur de nous-mêmes. À partir de là, on peut reconstruire un sens cohérent du texte de Matthieu, qui rejoint aussi ce que dit l’épître de Pierre : La vie est une chose précieuse, mais difficile à atteindre : « resserré est le chemin qui mène à la vie ».

Quelles sont donc les deux parois glissantes, de part et d’autre du chemin resserré, dans lesquelles il faudrait éviter de tomber pour conserver la vie, pour garder son cœur ? Ces versants abrupts, ce sont les illusions dans lesquelles nous nous perdons parfois. Elles sont de deux types : L’illusion de facilité et l’illusion de perfection.

L’illusion de facilité, qui correspond au chemin large, est une vision déréglée de moi-même dans laquelle je me projette en super héros qui réussit tout facilement. C’est le rêve : Ah que la vie serait belle si nous avions des millions ! Ah que la réussite serait facile si j’avais mille talents exceptionnels ! À côté de cet idéal, comme notre vie paraît fade, petiote ! Et il n’est pas étonnant que la phase suivante soit la perte d’estime de soi. Descendu de mon nuage, je me retrouve bien bas. C’est la maladie maniaco-dépressive, avec ses moments d’euphorie alternant avec ses moments de déprime.

L’illusion de perfection, l’autre versant du chemin étroit, correspond à cette conviction que nous ne pouvons pas être heureux tant que nous ne sommes pas parfaits. C’est le rêve de toute puissance : Être parfaits dans le but inavoué d’être invulnérables à toute critique. C’est aussi le rêve d’être accepté au paradis par la grande porte, alors qu’il nous faudra entrer par la petite porte, la porte de la grâce, avec modestie. « Entrez par la porte étroite », dit Jésus.

Le chemin étroit, qui se tient entre les illusions de facilité et les illusions de perfection, est donc simplement le chemin qui nous conduit à rester dans la réalité, à garder les yeux ouverts sur ce monde, à garder notre cœur, sans fuir trop souvent dans l’irréel. S’affermir et s’affirmer dans la réalité, assumer le concret, la vie présente, c’est grandir en maturité, c’est garder son coeur, comme disent les Proverbes ; c’est ajouter des qualités et des compétences à sa foi, comme dit Pierre ; et c’est aussi marcher sur le chemin étroit de la croix, comme disent les Évangiles. Le chemin étroit, c’est celui qui refuse de fuir la réalité de la souffrance et de la mort qui règnent sur cette terre. C’est aussi le chemin qui ose regarder en face sa propre souffrance, sa propre imperfection, ses propres limites. Être chrétien, c’est cela : Accepter de regarder la vie en face, sans oublier la joie, sans oublier le Règne de Dieu qui est déjà là.
Amen

Détails

Avec la participation de
Pierre Broglin et Daniel Rossel
Orgue
Gérard Kummer
Musique
Isabelle Schaer et Carlyn Monin solistes.
Jean-Philippe Schaer à la flûte, Jacques-Etienne Rouge au clavecin et Jacques Bouduban au violoncelle