Reconnaître son incrédulité, son non-croire, c’est déjà croire...

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En parcourant les rayons d’une librairie, vous n'aurez certainement pas échappé à l’occasion d’aller à la rencontre de recueils qui portent tous ce titre évocateur : « Ce que je crois ». Et c’est ainsi que des plumes célèbres, des hommes politiques, des femmes de lettres, des scientifiques tentent de jeter sur le papier ce qu’ils croient. « Ce que je crois » fait appel, au plus fort de notre humanité, à ce qui est en fait positionné entre-deux. Entre certitude et incertitude.

Dès les premières annonces de la Passion et de la Résurrection, l’auteur biblique pose ces récits de l’inattendu, et en même temps de l’émerveillement, au cœur de la réflexion des premières communautés chrétiennes, pour raconter ce que je crois entre-deux. Entre certitude et incertitude.

Nous pourrions utiliser un autre terme pour décrire ce qui peut apparaître très souvent comme une zone floue, grise, qui nous laisse à la fois dans la plus profonde des interrogations et en même temps nous entraîne vers plus de clarté. Une zone frontière à l’image de notre cheminement humain sur les crêtes de notre histoire. Nous cheminons à la frontière, entre le haut et le bas, entre le Ciel et la terre, entre le bien et le mal, entre la lumière et l’obscurité, entre la certitude et l’incertitude.

C’est ce qu’exprime ici le père, qui répond d’une manière tout à fait symbolique à la question de Jésus, qui peut apparaître porteuse d’une promesse d’horizons nouveaux : « tout est possible ». Tout est possible à celui qui croit, et c’est bien ce que nous recherchons, le possible, surtout lorsqu’il se dit alors que nous traversons l’impossible. Parce que nous croyons que dans le possible peut advenir ce qui va être pour chacun et chacune d’entre nous de l’ordre de l’épanouissement personnel. « Tout est possible à celui qui croit ». Et à l’acte de l’inattendu, ce qui ici est de l’ordre du miraculeux, le père ne peut que balbutier : « je crois »... Mais comme tentant ultimement d’en atténuer l’ambigüité ou la force de conviction, il ajoute : « mais viens au secours de mon mal-croire ».

Frères et sœurs, chers amis, nous sommes dans une situation contemporaine paradoxale : qu’est-ce qui a le poids de la vérité ? Est-ce que le croire est de l’ordre du savoir, de ce que l’on a appris, de ce que l’on nous a enseigné ? Est-ce que le croire est de l’ordre de la connaissance, à travers toute forme d’expérimentation ?

Nous découvrons que pour beaucoup de nos contemporains, ce qui fait sens et qui donc dès lors est marqué de l’ordre de la vérité, est ce qu’ils vivent, ressentent, éprouvent, découvrent à travers leur cheminement à la crête, à la frontière. De ce qui est de l‘ordre de l‘idéalité et de la prégnance humaine qui nous ramène sur les bas-fonds de la terre.

Ce qui est de l’ordre de la foi confiante demeure donc le défi permanent que nous avons à relever en cheminant à la frontière de l’idéal et de la réalité. Reconnaître son mal-croire, son non-croire...beaucoup de commentateurs, de théologiens affirment qu’il y a là déjà le croire. Comme si cette vérité, qui s’impose à nous dans la rencontre avec celui dont nous osons prononcer le nom, dépendait de notre capacité à pouvoir en formuler, en balbutier la reconnaissance de la présence.

Mal-croire peut donner l’impression que nous travestissons ou trahissons la vérité et que nous sommes dans une situation où, constamment malmenés, nous sommes comme réduits à notre état d’humanité, incapables par nous-même, disaient les anciennes liturgies, à faire le bien.

Nous voici donc invités à reconnaître aujourd’hui que, comme ce père, nous sommes dans cet entre-deux, entre certitude et incertitude. Que croyait-il ? Ce qu’il a expérimenté, c’est la guérison de son fils, c’est le retour à la vie, c’est la promesse de l’avenir, c’est le rétablissement. Qu’a-t-il compris de Dieu, de sa toute puissance, à travers la gestuelle du Christ ? Certainement pas une explicitation dogmatique et théologique, une compréhension intelligente et raisonnée, mais l’accueil, à travers l’émerveillement et l’étonnement, du bouleversement que la foi confiante, à la frontière, au cœur de notre humanité, nous permet de vivre.

Or, frères et sœurs, nous sommes tous, les uns et les autres, à ces croisements permanents. Je crois. Viens à l’aide, donne-moi la force d’entrer à travers mon mal-croire dans la dimension de l’inaccessible, de l’incompréhensible et pourtant du bien réel qui frappe à ma porte et qui se propose comme signe d’avenir, d’accomplissement, de renouveau.

Frères et sœurs, nous découvrons donc bien à travers nos parcours chrétiens, et même à travers nos tentatives de balbutier notre foi, à travers ces confessions bien ordonnées et orthodoxes, nous découvrons que notre foi, notre confiance, connaît des flux et des reflux. Des jours et des nuits. Nous sommes ces hommes et ces femmes de l’expérience de la limite humaine et de l’attente de l’illimité de Dieu. Nous sommes ces hommes et ces femmes de l’expérience de l’impuissance humaine et de l’accueil de la puissance de Dieu. Parfois, nos demeurons comme étouffés, sans horizon, aveuglés par l’expérience de la souffrance, par le travail ou par le plaisir, ou tout simplement par la négligence, et notre foi peut s’assoupir, s’anémier, cesser de façonner notre vie.

J’aimerais pouvoir dire qu’heureusement nous n’avons pas à choisir entre certitude et incertitude. Comme chrétiens, nous nous situons dans cet entre-deux éminemment créateur et prometteur d’avenir. Car, qu’aurions-nous à gagner à proclamer haut et fort ce que nous croyons en ce monde dès l’instant où ce monde ne le comprend pas ou ne l’accueille pas ? Et qu’aurions–nous à gagner à nous laisser emprisonnés dans l’incrédulité, ce doute qui conduit à l’évitement de Dieu ? Rien. Je crois, sincèrement, rien. Car le chemin qui nous est proposé ici, à l’exemple de ce père, c’est le chemin le plus compliqué, le plus difficile, qui tente dans une tension permanente de nous faire tenir à la fois dans la perspective du Royaume et la réalité de la terre. Et dans ce déchirement se situe ce que je crois, qui n’est pas définitif, mais qui est constamment repris, reconstruit, parce que vécu, revécu dans un partage de ce qui fait sens, et qui dès lors devient peut-être ma vérité, mais qui se propose à d’autres comme l’expression d’une présence, d’un Dieu qui nous dépasse et que notre intelligence ne peut sonder complètement.

Il y a toujours, dans les pages bibliques, cet extraordinaire qui permet de dépasser la limite de l’humanité pour l’embellir, la transformer, et lui assurer une perspective de devenir : c’est la grâce, la grâce d’un Dieu qui se dit dans l’entre-deux de nos vies.

C’est à Hans Küng, le théologien suisse, que je laisse ces quelques mots de conclusion : « Il peut y avoir plus de Foi, plus de Foi réfléchie, dans le doute sincère que dans une profession de foi dominicale récitée sans hésitations et machinalement ».

Je crois. Viens au secours de mon mal-croire. Là, dans cet entre-deux, se situe le doute sincère.
Amen.

Entre certitude et incertitude, le défi de la confiance. je crois… ? Peut-être oui, peut être non, souvent les deux au gré de la vie. De l’un à l’autre, de l’autre à l’un, un chemin a explorer où la confiance engage l’intelligence critique, un processus de renouveau, dans un défi permanent au service de soi, des autres et de l’Autre.

Détails

Avec la participation de
Yvette Matta
Orgue
Didier Godel
Musique