Écouter le culte :
Blaise Menu, pasteur de l’Eglise protestante de Genève:
Comment ce texte un peu bizarre de l’Ascension me parle-t-il aujourd'hui ? Et qu'est-ce qui reste à dire quand il a déjà été tellement commenté ? En d'autres termes, quoi de neuf au moment où le christianisme a un goût de réchauffé dans la société. Les gens se sont habitués à une musique des textes, à une tradition... et encore, quand ils savent de quoi on parle.
Comme j'aime bien me laisser inspirer par d'autres, être à l'écoute, je suis allé voir des collègues et je leur ai demandé: " Sur quoi vas-tu prêcher à l'Ascension ou sur quoi voudrais-tu prêcher ? Qu'est ce que tu veux exprimer dans ta prédication ?"
Philippe Rohr, diacre de l’Eglise protestante de Genève:
Il y a une phrase du Christ qui m’a toujours turlupiné, titillé, depuis que j’ai lu les évangiles. C’est au moment où Jésus dit aux disciples : « Il est bon pour vous que je m’en aille ». Cette Ascension est longuement précédée de plein d’étapes et d’explications.
L’Ascension, c’est une élévation. Ça monte, ça va vers le céleste, la plénitude. Mais ce n’est pas une lévitation. L’Ascension est précédée de la descente la plus basse qui soit. Parce qu’entre cette parole du Christ et l’Ascension, il y a la mort. Le Christ descend jusque tout au fond de la mort et, après, il est relevé, puis élevé. C’est tout simple et c’est fort. Cette Ascension, c’est l’accomplissement d’un mouvement dès le début. Le Christ est plongé dans le monde. Il épouse la condition humaine jusqu’à son tréfonds, jusque même dans la mort, puis il est relevé et élevé. C’est un mouvement complet, cohérent. C’est comme si au moment de l’Ascension on pouvait lire qu’on change de niveau. On est clairement dans une vie qui n’est pas limitée par ce qu’on voit. Elle n’est pas limitée par le matériel. Une vie qui va désormais être du Souffle, du spirituel.
Carolina Costa, pasteure de l’Eglise protestante de Genève:
L’Ascension, pour moi, c’est une des trois images qu’on a dans les évangiles pour parler de l’après-mort de Jésus, à savoir : le tombeau vide et les apparitions. L’Ascension est l’une de ces images pour parler de cette après-vie.
Et le mot qui me vient toujours lorsqu’on parle de l’Ascension, c’est le mot ascenseur. Cette image d’un Dieu qui descend à travers Jésus, qui se fait chair dans le monde, qui marche à côté de nous et qui traverse tout ce qu’on vit. Et puis, il y a cette deuxième image avec, évidemment, l’ascenseur qui remonte. Jésus qui remonte rejoindre le Père après sa mort. Et c’est comme si l’Ascension était cette image pour exprimer cette montée et cette descente possibles. Cette voie qui s’est ouverte entre le Dieu Père, le Dieu Créateur, Celui qui est insaisissable, et celui qui s’est fait connaître juste à côté de nous.
Etienne Sommer, pasteur de l’Eglise protestante de Genève:
Je ne suis pas très à l’aise avec le texte de l’Ascension mis en avant dans la culture chrétienne. Je pense à l’iconographie qui insiste sur le côté triomphant, triomphaliste et glorifié de Jésus. Je pense surtout à une Ascension pour échapper à la théologie de la croix, à la théologie du Vendredi Saint qui, pour moi, est plus pertinente.
Je suis arrivé à me réconcilier progressivement avec l’événement de Noël qui me paraît intéressant. Egalement avec les événements de Pâques et de Pentecôtes. L’Ascension c’est plus difficile. Je crois que j’ai toujours un peu de la peine à prêcher dessus. Mais il y a quand même une piste que j’aimerais suivre. C’est la suivante : sur un plan symbolique, ce Dieu qui est entièrement homme, il est aussi entièrement Dieu. C’est le problème de la double nature de Jésus. Peut-être que l’Ascension, c’est l’indice biblique de ce qui adviendra plus tard. C’est l’indice de ce débat sur la nature soit humaine, soit divine de Jésus (ou la double nature). En ce sens, Jésus, dans l’événement de l’Ascension, est entièrement homme, mais est aussi entièrement Dieu.
Dans cette perspective-là, on pourrait dire que nous sommes tous appelés à être élevés. Nous sommes tous appelés, nous les humains, à vivre l’événement théologique de l’Ascension. C’est-à-dire à être des Hommes, comme Jésus l’a été, totalement incarnés, impliqués dans le monde, mais avec un Appel, une perspective autre : celle d’être divins. Nous sommes appelés à avoir la même stature que le Christ.
Vanessa Trüb, pasteure de l’Eglise protestante de Genève:
J’aime beaucoup prêcher à l’Ascension. C’est un moment privilégié pour moi de pouvoir parler des malentendus et des images préconçues et toutes faites que l’on a sur Jésus. C’est aussi l’occasion de rappeler de quelle manière Dieu est un Dieu avec nous et au cœur de notre existence chrétienne.
Tout d’abord, en ce qui concerne ces images préconçues, nous avons un Jésus qui monte de manière un petit peu extravagante dans le ciel à l’Ascension. Et c’est vrai que pour les personnes qui ne croient pas, c’est une manière de dire que l’Eglise nous faire gober n’importe quoi. Il suffit cependant de rappeler que dans le Moyen-Orient ancien, le Ciel, c’est tout ce qui est lié au domaine spirituel pour qu’on comprenne que Jésus ne veut pas autre chose que développer notre propre spiritualité. Lorsqu’il monte au ciel c’est qu’il prend en charge tout ce qui est en lien avec la spiritualité telle qu’elle est exprimée par l’apôtre Paul dans la Lettre aux Galates, à savoir les fruits de l’esprit, les fruits de la spiritualité, l’amour, la joie, etc.
Le deuxième point que j’aime dans l’Ascension, c’est montrer de quelle manière la bénédiction reste présente, puisque lorsqu’il monte au Ciel, Jésus bénit ses disciples et que cela leur apporte beaucoup de joie. La bénédiction reste, même si le Christ disparaît de devant leurs yeux. Elle reste et nous en sommes les héritiers et dépositaires. L’entraide, la solidarité, le partage, la générosité nous les trouvons ailleurs, mais la bénédiction transmise au nom de Dieu, ça, c’est notre spécificité chrétienne. Et cette bénédiction nous rappelle de quelle manière tout être humain est digne pour Dieu. Tout être humain est digne et aimable.
Blaise Menu:
Voilà: ça offre un éclairage riche sur ce texte, mais le décor n'est pas totalement planté. Il faut aller encore plus près du texte et demander à un exégète, un spécialiste du Nouveau Testament et du livre des Actes en particulier, pour nous dire ce qu’il en est. Nous en avons un en Suisse romande qui est très attaché à transmettre la culture et le message bibliques au grand public. Que signifie cette Ascension de Jésus, Daniel Marguerat ?
Daniel Marguerat, théologien:
Les peintres nous font parfois de mauvais tours et quand ils représentent Jésus flottant entre terre et ciel, traversant la couche d’ozone pour rejoindre un barbu souriant, ils nous lancent sur une mauvaise piste.
Le récit de l’Ascension, c’est une vérité de foi très forte et mise en image. Elle est forte cette vérité de foi, parce qu’elle articule le temps de Jésus qui se termine et le temps des témoins, le temps de l’Eglise, qui commence.
Il faut comprendre cette vérité de foi et s’accrocher à la nuée dont on parle dans ce texte (la nuée qui vient soustraire Jésus au regard des disciples). La nuée pour la foi de l’Ancien Testament, c’est le signe de la présence de Dieu. Ce n’est pas pour rien que la foi d’Israël a choisi ce signe de la présence de Dieu. Durant les quarante ans au désert, c’est une colonne de nuée qui précède et qui guide Israël. Dans le récit du don de la Loi au Sinaï, on raconte que le sommet de la montagne était entouré de nuée. Si la foi juive a choisi la nuée, ce n’est pas pour évoquer le nuage. C’est pour dire que Dieu, lorsqu’il se manifeste, Il se voile en même temps. Il se cache, parce que Dieu ne peut pas se manifester directement. C’est au fond une sorte de présence forte et impalpable.
Cette nuée prend Jésus en charge, elle l’éloigne des disciples et l’accueille dans le ciel. Ce récit n’en rajoute pas. Ce sont essentiellement les peintres qui en ont rajouté, parce que le texte, lui, est extrêmement sobre. Il dit : « Jésus fut élevé au Ciel et la nuée l’a pris en charge ». Au fond, ce qu’on dit là, on peut le dire de tous nos morts. Quand nos morts nous échappent lorsqu’ils ont rendu leur dernier souffle, je crois profondément qu’ils sont accueillis dans le monde de l’après-mort, le monde de Dieu. Et je crois que Dieu les prend en charge. D’ailleurs, ce que l’on dit de nos morts, c’est qu’un jour, dans le monde de la Résurrection, nous serons tous ensemble avec le Seigneur. C’est une conviction très forte qui parcourt notamment toutes les Epîtres de Paul : nous serons tous ensemble avec le Seigneur.
Pour aller plus loin dans le décodage, on peut dire que ce récit de l’Ascension dit deux choses : d’une part, il explique l’absence de Jésus. Jésus est désormais absent. Il n’est plus visible. Vous savez, on lit dans la littérature grecque des récits d’apothéose des empereurs. A la fin de leur vie, certains empereurs ont connu une forme d’apothéose et ils ont été absorbés par la divinité. Jésus, lui, a été accueilli par Dieu. Le récit explique d’une part l’absence et l’invisibilité du Christ, mais il dit ensuite : ce Jésus devenu invisible garde une présence impalpable, comme celle de Dieu, et il devient Seigneur du Monde. Un Seigneur caché du Monde. L’histoire de Jésus ne s’est pas finie dans le trou noir d’un tombeau.
Ce qui est très important, pour terminer, c’est que les disciples ont le nez en l’air et les hommes en blanc vont leur dire : « Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? ». Cela veut dire que les acteurs désormais sont les témoins. Les témoins de Jésus vont devenir les acteurs de l’histoire. Ils vont devenir ceux qui vont propager le message. Au moment où Jésus se rend invisible, ce qui est rendu visible, c’est une communauté et une communauté que le texte des Actes des Apôtres nomme : ce sont les douze disciples, Marie (la mère de Jésus), quelques femmes et les frères de Jésus… Et c’est nous aujourd’hui !
Blaise Menu:
Il y a trois choses qui me marquent dans le récit de l’Ascension:
La première, c’est la question de la fascination. De la fascination qu’elle soit religieuse, politique ou éventuellement même économique. C’est cette attitude des disciples au début du texte qui disent : « Seigneur, quand est-ce que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? ». Il y a une attente forte et fortement contrariée.
Daniel Rausis :
Et Jésus dégage toujours en corner quand on lui pose cette question.
Blaise Menu:
Effectivement, il y a d’autres récits des évangiles où Jésus dit qu’il n’y a pas de réponse directe à apporter à cette question. Il dit que cela reste de l’ordre des mystères de Dieu. Ce merveilleux, c’est une clé de lecture de la fascination des disciples qui sont obligés d’aller ailleurs, à qui on dit qu’ils n’ont pas tout à fait la lecture qui convient.
La deuxième chose qui me frappe, c’est la question de la contrariété. « Vous pensiez aller là ? Eh ben non, vous allez aller ailleurs ! ». Chaque fois, les disciples sont invités à aller un pas plus loin que là où ils pensaient s’arrêter, là où ils étaient enfin arrivés, satisfaits, peut-être rassurés. Eh non ! Il faut rebondir, avancer un pas plus loin. C’était en Galilée, ce sera jusqu’aux extrémités de la Terre avec la forte responsabilité qui va aussi avec.
Il y a un troisième aspect et c’est une surprise. Les hommes en blanc, ces messagers, ces anges, ils font quoi ? Ils demandent aux disciples d’abaisser leur regard sur l’horizon du monde. C’est un peu le comble, parce que c’est le Ciel qui demande de ne pas regarder vers le Ciel. Du coup, c’est l’histoire, c’est le temps présent et ce que nous vivons aujourd’hui qui se trouvent investis d’une qualité. Ils sont valorisés. Cela ne touche pas seulement le premier siècle.
Dans le récit de l’Ascension, il y a également une attente qui n’est pas gommée pour autant, mais c’est une attente active, peut-être même impatiente, qui suppose un engagement. Elle ne suppose pas seulement d’attendre qu’il se passe quelque chose ou, au contraire (pire encore), de démissionner. Il ne suffit pas de dire « à quoi bon » dans les difficultés actuelles, dans les situations de crise, quand les Eglises se trouvent mises sur le ballant, quand elles ont moins de succès dans la société, quand on les écoute moins, quand elles n’ont plus de sous ! Il ne suffit pas de se recroqueviller sur tout ce qu’on connaît et puis de se dire que pour le reste, à la Grâce de Dieu, on verra bien.
Dans l’Evangile, on parle aussi beaucoup de ce délai annoncé pour le retour du Christ. Il y avait à l’origine un certain enthousiasme et cet enthousiasme s’est affaissé. Aujourd’hui, on peut dire qu’il est complètement à plat. Mais ce que disent les anges ne gomme pas complètement cette perspective. Simplement, ils demandent non pas d’éviter le monde, mais d’investir véritablement le présent de manière positive, riche et significative. L’invitation adressée aux disciples, c’est d’être témoins à l’impulsion de l’Esprit Saint. Ce n’est pas facile. Il faut éviter d’être fasciné et il faut éviter la démission pour agir de manière correcte et intéressante dans le temps présent… Le récit de l’Ascension parle du Christ, mais il parle au moins autant, et peut-être même davantage, de nous. Il parle de nous comme devant faire face à l’Absence. Ce n’est plus comme avant, mais il n’y a pas de nostalgie à avoir. Il faut aller de l’avant.
C’est aussi ce qui est révélé avec la nuée. Daniel Marguerat l’évoquait, elle prend en charge Jésus, elle l’extrait du temps de l’histoire, non pas pour disqualifier cette histoire, mais pour dire : « maintenant, c’est à d’autres de faire le travail ». Jésus avait d’ailleurs dit : « Vous ferez des miracles comme moi et même plus que moi ». Alors pourquoi ne pas prendre cette parole au sérieux ? Pourquoi ne pas se dire « Allons-y ! Allons-y vraiment ! Osons quelque chose qui fasse la différence», ce qui ne veut pas dire faire tout et n’importe quoi.
Daniel Rausis:
Et juste après d’ailleurs, dans les Actes, les apôtres font un miracle. Ils lèvent un homme boiteux. Je crois que c’est le même verbe, le verbe « lever », qui est employé quand Dieu a élevé le Christ. Lui aussi, quand il l’a fait, était tout joyeux comme l’étaient plus tard les apôtres.
Blaise Menu:
L’Ascension est une manière d’exprimer la résurrection après-Pâques. Un autre langage que celui du tombeau vide. Mais c’est chaque fois le même mouvement qui est en jeu. Chaque fois il y a l’idée de se dire : « Il faut y aller. Il y a de la vie qui est là et qui ne demande qu’à être suscitée ou re-suscitée ».
J’ai l’impression que le christianisme se pense ainsi comme une théologie de l’absence. D’un Dieu quasi-absent. En même temps, on a des témoignages énormes, une grande foi de la part des apôtres et de tous ceux qui viennent après pour dire : « nous vivons de ça ». Il le disent, mais avec une théologie de l’absence « Nous sommes bien dans ce monde ou Dieu n’est plus aussi présent qu’avant ou présent différemment ».
Cela nous oblige à nous risquer nous aussi, aujourd’hui, pour rendre compte du Royaume et y participer. Etre témoins, ce n’est pas faire tout le travail, mais c’est croire qu’on peut au moins faire quelque chose avec ce qu’on a reçu.