Le défi de la fragilité dans un monde de puissance et de pouvoir

image

Écouter le culte :

Dans le premier texte que nous avons entendu, l’auteur de l’épître aux Hébreux nous rappelle, comme dans le film « Certains l’aiment chaud », que « personne n’est parfait ». Non pas pour une question de genre, mais pour des raisons de faiblesse, de fragilité humaine.

Le grand-prêtre lui-même n’est pas exempt de faute, même s’il est consacré, c’est-à-dire mis à part pour Dieu et séparé des autres. C’est pourquoi toute la lignée des fils de Lévy, les prêtres, devaient montrer de la compassion pour les péchés des autres et reconnaître les leurs. Il y a toutefois deux grand-prêtres cités dans la Bible qui ne sont pas lévites, mais qui ont offert des sacrifices en expiation des péchés :
- Le premier s’appelle Melchisédech, le roi de Salem rencontré par Abraham autour d’un partage de pain et de vin. Il est appelé le « prêtre du Dieu Très-Haut » bien avant l’apparition des Lévites.
- Et le deuxième, c’est Jésus-Christ auquel Dieu a dit : « Tu es prêtre pour toujours dans la tradition de Melchisédech », c’est-à-dire hors de la lignée des Lévites. Un appel de la foi plutôt que de la naissance et du sang.
Ces quelques précisions nous permettent ainsi de donner un contexte pour la rencontre de Jésus, Fils et grand-prêtre du Très-Haut, et de Bartimée, qui sera guéri d’une cécité autant spirituelle que biologique.

Voici donc ce Bartimée, aveugle, assis à la sortie de Jéricho pour mendier de quoi vivre. Bartimée, cela veut dire en araméen, « fils de Timée », c’est-à-dire fils de l’honneur. Un patronyme lourd pour celui dont l'existence présente est tout sauf honorable, car cet homme est exclu et marginalisé. Son handicap l'a rejeté aux marges de la société, il l'a rendu passif et dépendant. Son invalidité affecte toute sa vie sociale.

Quand Jésus passe à Jéricho, là encore, il est à côté de la vie, à côté des autres, exclu de la vie sociale et mis à part; peut-être même que certains auraient préféré qu’il soit mort, parce que cela ferait « moins tache dans le paysage ». Et c’est peut-être aussi son propre dialogue intérieur, à la manière de Job qui maudit le jour de sa naissance et préfèrerait ne pas exister.

Combien parmi nous ont vécu cette fragilité immense où l’obscurité du monde était telle qu’il n’y avait plus de sens à la vie, où nous étions aveugles sur un chemin bordé de précipices - loin de Dieu et de tout secours. Le psalmiste disait lui aussi « je lève les yeux vers les montagnes; d’où me viendra le secours ? » Mais là, Bartimée ne peut pas ouvrir les yeux ! C’est alors qu’il fait un choix décisif : entre la vie et la mort, il choisit la vie ! Dans son impuissance il appelle à l’aide de toutes ses forces et de toute sa foi : « Jésus, Fils de David ! Aie pitié de moi ! »

Ce cri de faiblesse et cet appel à l’aide me font penser aux deux premières étapes des Alcooliques Anonymes :
1. Nous avons admis que nous étions impuissants (devant l'alcool) et que nous avions perdu la maîtrise de notre vie.
2. Nous en sommes venus à croire qu'une puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison.

C’est dans cette impuissance extrême que Bartimée devient fort; il se reprend en main et ose agir avec courage contre ceux qui l’en empêchent en criant encore plus fort : « Jésus, Fils de David ! Aie pitié de moi ! » C’est alors que Jésus l'entend et l’appelle. Bartimée se lève et il laisse tomber son manteau. Bartimée se dépouille de ce qui faisait son identité aux yeux de ceux qui le croisent chaque jour sur le bord de la route. Il se met en quelque sorte à nu et expose encore plus sa faiblesse et ses difficultés. Il se lève et se dirige seul vers Jésus, en aveugle. Et Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi? »

Face à un aveugle, cela pourrait faire penser à une question idiote dans une situation si évidente, comme dans une émission de télé-réalité où Bartimée répondrait : « Ben ! Que tu me coules un bain… allô quoi ! » Mais là, bien au contraire, c’est une question pleine de sagesse et de bienveillance. Jésus ne fait pas les questions et les réponses : Il attend de vraies demandes pour de vrais choix afin de répondre aux besoins plutôt qu’aux désirs. Car nous préférons parfois nous enfermer dans notre malheur et rester dans nos habitudes de plaintes, parce qu’il est trop difficile de changer et que nous avons besoin des rares avantages liés à nos épreuves.

La réponse de Bartimée est elle aussi pleine de bon sens : « Maître, fais que je voie de nouveau. » Il ne précise pas, « guéris mes yeux », il ne demande pas une guérison à coup de baguette magique, mais de pouvoir retrouver un regard qui donne du sens à sa vie : il veut retrouver son chemin, son humanité et sortir de son exclusion. Il devient une personne pleinement responsable qui exprime publiquement et sans détour ce qui le fait souffrir et dont il veut être libéré. Mais pour cela, ce n’est pas de retrouver la vision physique qui lui permettra de le faire; il lui faut aussi retrouver la vue spirituelle, voir en Jésus celui qui le libère et le sauve, voir en Lui celui qui le guide auprès du Père pour recevoir amour, grâce et paix. Cette vue-là, cela s’appelle aussi la foi et l’espérance en Dieu.

La conclusion du récit atteste d’une guérison doublement riche de sens. Pour les témoins de la scène, elle est d'abord et uniquement physique. Pour Bartimée, elle est signe du salut. Signe que cet homme s’est réconcilié avec lui-même et avec les autres parce qu'il a rencontré le salut en la personne de Jésus.

Dans la 2ème épitre aux Corinthiens, L’apôtre Paul écrit : « Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort. » C’est lorsque j’atteins le fond de ma fragilité et que je ne peux plus rien espérer de moi, que je peux alors être prêt à recevoir de l’aide des autres, et par eux de Dieu. Mais pour cela, je dois d’abord reconnaître que lutter par mes propres forces ne m’a pas permis d’éviter la situation pénible que je traverse et que je suis donc impuissant à sortir de ma fragilité. Dans cette reconnaissance, je peux alors recevoir ce qui va éclairer mes choix et décisions pour que ma vie retrouve du sens.

Une guérison physique n’en sera pas forcément le résultat, mais ce qui est certain, c’est que le chemin parcouru dans la foi et l’espérance sera une action spirituelle qui me rapprochera du Seigneur et qui m’aidera à le suivre, comme Bartimée a ensuite suivi Jésus sur la route de Jérusalem. On connaît la suite de l’histoire qui amène Jésus à la croix et à la résurrection, qui est symbole pareillement de la conversion de Bartimée, qui passe de la mort à la vie par l’intervention du Christ.

Dans notre société où argent et pouvoir peuvent donner l’image de toute-puissance, je souhaite à chacune et chacun de nous de recevoir la sagesse pour reconnaître ses fragilités, de les partager aux autres et au souffle de l’Esprit-Saint. Car c’est ainsi que la toute-puissance de l’amour de Dieu se manifestera et que son Royaume prendra place, autour de nous et en nous.

Amen

Être vulnérable, vivre une difficulté, un handicap ou une maladie mène parfois à s’exclure socialement, comme les autres peuvent exclure à cause de la différence. Le cri de Bartimée, dans sa cécité physique et spirituelle, rappelle qu’au plus profond des obscurités, lorsque l'abandon et la fragilité se fait sentir, l’amour de Dieu peut rejoindre. C’est le cri de la détresse, de l’abandon et du lâcher-prise qui peut faire place à la Résurrection: une force nouvelle qui change notre monde.

Détails

Avec la participation de
Françoise Golliez, Monique Pittet
Orgue
Jacqueline Blanc
Musique
Fanfare "L'Union instrumentale de Forel" sous la direction de Sébastien Pasche