Écouter le culte :
Le message est clair – et Jésus a pris toutes les dispositions pour qu’il le soit : il ne s’est pas approché de Jérusalem ce jour-là simplement à pied, comme dans la lointaine Galilée, ou à Jéricho, ou même à Béthanie, banlieue campagnarde de Jérusalem. Il n’est pas arrivé comme d’habitude, comme un maître entouré de ses disciples, un rabbi, un homme sage ou un prophète, dont les paroles, les rencontres, les guérisons avaient fait parler de lui loin à la ronde.
Non, il y a là plus qu’un prophète, un maître ou un guérisseur : c’est un chef, c’est un roi qui s’approche de Jérusalem. Il a fait signe avec des portes de grange, pas moyen de ne pas voir le message. Il approche monté sur un âne, un ânon. Pas moyen de ne pas comprendre : c’est le mot même du prophète Zacharie – les gens connaissaient bien ce passage, ils pensaient que ça arriverait à la fin des temps, à la « Saint-Glin-Glin » – et voilà que ça devient vrai sous leurs yeux…
Un roi pacifique. Le roi annoncé ! La paix espérée – dans un pays qui n’a connu que guerre et occupation depuis des décennies. La paix et la justice, comme le chantent les Psaumes et les prophètes. Et la foule des disciples crie de joie : Jésus, qui n’a pas cessé de faire le bien partout où il a passé, ce n’est pas seulement le rabbi qu’on connaissait. C’est le roi envoyé de Dieu, c’est le messie, envoyé pour établir la justice d’un bout de la terre à l’autre. Ils crient de joie, il y a de quoi !
Et la réaction ne se fait pas attendre : qu’est-ce que c’est que ce guérisseur galiléen qui se prend pour le roi annoncé par Zacharie ? Quel sans-gêne ! Quel toupet ! Faites taire vos groupies, Monsieur le prophète ! Un peu de tenue – vous êtes à Jérusalem, pas au fin fond de votre province. Tout de même… Eh oui, les maîtres de la loi, choqués, invectivent Jésus : « Fais taire tes disciples. » Réponse de Jésus : « S’ils se taisent, les pierres crieront. » Le Royaume de Dieu s’est approché, vous ne le stopperez pas.
Mais alors : la venue du roi de paix ouvre les hostilités ?! Oui. Et il le sait parfaitement. Il annonce la paix de Dieu pour tout son peuple, y compris les exclus, les petits, les sans-droits. Il n’a pas cessé de le montrer, depuis la Galilée jusqu’à Jérusalem. Cette paix-là dérange, cette paix-là bouleverse l’ordre tranquille des injustices courantes, des fatalismes quotidiens. Il le sait – et il avance. Aujourd’hui, monté sur un ânon, il entend la foule l’acclamer, et il sait qu’il va au-devant d’une force de frappe à laquelle ni l’ânon, ni les disciples, ni personne ne résistera.
Peut-être que résonnent en son cœur les paroles du Psaume : « Le Seigneur seul est ma lumière, ma délivrance et mon salut. » Le Seigneur seul… tous les autres appuis seront balayés. Et il sera seul, l’envoyé de Dieu, seul au point qu’on pensera que Dieu lui-même l’a abandonné. Il le sait, et il avance.
Contre ce roi pacifique, si dangereux par la paix qu’il amène, on mobilisera la police du Temple, la garnison romaine, les plus calés des experts de la Loi, les plus influents chefs religieux, et même les politiques.
La paix de Dieu ? Au secours, danger public ! Le roi pacifique sera trahi, arrêté, accusé à grands coups de faux témoignages, condamné, amené devant le préfet romain pour que son exécution ait lieu au plus vite. Et les disciples seront pris dans l’engrenage, terrorisés, éparpillés, muets… et les pierres n’ont pas crié.
Et nous ? Témoins, auditeurs, auditrices, si longtemps après ?
La route de Jésus croise nos chemins – et nous nous demandons : est-ce que je vais l’accueillir ? L’acclamer ? Rester au bord pour regarder passer et réfléchir ? Est-ce que je vais le suivre un bout de temps – pour être effrayé-e, et ne plus pouvoir ? Comme les premiers : comme Pierre, Jacques et Jean, André, Thomas et les autres ? Est-ce que je vais avoir peur de toutes ces voix qui résonnent encore aujourd’hui : « Taisez-vous voyons, un peu de tenue, vous voyez bien que ce n’est pas sérieux, vous espérez des miracles, vous voulez la lune ! » ?
Et nous nous demandons aussi : mais elle est où, la paix promise ? Pourquoi ne tombe-t-elle pas du ciel ? Et pourquoi le message de Jésus a-t-il mis en route des divisions, des divergences voire des conflits en nombre – jusque dans les différentes confessions chrétiennes, qui parfois coexistent et qui parfois s’affrontent et qui parfois divisent même les familles ?
Non, cette paix n’est pas facile à vivre. Elle ne l’a jamais été, selon les épîtres, Actes et Évangiles du Nouveau Testament : la question a turlupiné l’Église depuis le début. Voyez l’apôtre Paul, écrivant à la communauté de Philippes près de Thessalonique : « Je vous en supplie, mettez vous d’accord, faites équipe. » Même à Philippes, qui était pourtant une communauté plutôt zen si je puis dire, où on se disputait moins que chez les Galates, à en croire le bon apôtre – et que dire des Corinthiens !
Elle n’est pas aisée à vivre, la paix que le Christ apporte ; elle ne tombe pas du ciel comme un fruit mûr. Là où cette paix est proclamée, tout est fait : Dieu l’offre ! Mais c’est toute une histoire de la vivre. Là où passe le Roi de la paix, là où Jésus croise notre route, c’est tout un programme de l’accueillir, de lui confier nos peines et nos disputes, de faire route avec lui.
Mais nous voilà mis en garde : sitôt qu’on s’empare de Dieu, du Christ, de son message – pour en faire notre bien, notre possession, notre chasse gardée, notre privilège, notre exclusivité : alors la paix craquèle et le message de Jésus est déchiré. Les maîtres de la loi croyaient savoir si clairement qui est Dieu et qui lui appartient. Résultat, ils refusent celui qui vient de Dieu, ils entravent la paix qu’il offre, ils dressent des barrières à son action – et ils finissent par le rejeter.
Aujourd’hui encore, quand une partie de l’Église, une confession chrétienne, quelle qu’elle soit, s’imagine avoir le monopole de l’Évangile, s’imagine être seule sur la première marche du podium, détenant la vérité du Christ comme un trophée… alors la paix offerte par Dieu se lézarde, les barrières se dressent, l’amour est barricadé.
Car la paix de Dieu qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, ne s’arrête pas à un groupe, un peuple ou une confession – elle va jusqu’aux extrémités de la terre (disait déjà le prophète Zacharie). Elle met en lien et en fraternité des gens et des peuples que tout aurait pu séparer.
Sur le chemin où Jésus s’avance, des générations avant nous ont risqué le tout pour le tout, et l’ont suivi. Et nous ? Sur ce chemin, il n’y aura pas de banderoles, pas de manteaux étendus sur la route, pas de tapis rouge. Il y aura des reproches, mais il y a surtout la chance inouïe de laisser notre vie être guidée, pas à pas ; accompagnée, soutenue, réconfortée, éclairée, par celui qui est allé son chemin jusqu’au bout de l’amour de Dieu, pour toutes et tous, pour chacune et chacun. Bonne route !
Amen