Les gestes de foi de trois femmes audacieuses: de l’offrande d'une vie à l’amour du Christ

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Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec les convives d’un repas un peu particulier. L’hôte est un pharisien, un théologien, un homme respectable qui cherche à mener une vie bien alignée aux lois et coutumes des textes sacrés.

On sait que Jésus répondait favorablement aux invitations des uns et des autres, que ce soient des gens bien vus ou non, spirituels ou pas. Cela lui a d’ailleurs été reproché dès le début de son ministère par les intellectuels et les autorités religieuses qui ne comprenaient pas que le rabbi Jeshuah côtoie des gens si peu respectables. Ce à quoi Jésus répondait que « ce sont les malades qui ont besoin de médecin » et qu’ « il n’est pas venu appeler des justes mais des gens qui savent que leur vie n’est pas idéale et sont prêts à envisager des changements. »

Là nous sommes chez un hôte au-dessus de tout soupçon et tout devrait bien se passer. Tout a été préparé avec soin : l’hospitalité est très codifiée, les bons gestes sont effectués pour que les invités se sentent bien et passent un bon moment ensemble. Et pourtant non… à peine Jésus installé à table que survient l’incident.

L’incident, c’est l’intrusion d’une dame de la ville, une prostituée, qui tout d’un coup apparait là, en pleurs avec un vase de parfum. Elle reste en dehors du cercle, juste à l’arrière de Jésus qui est couché selon les usages. Elle s’approche de ses pieds et commence à les mouiller de ses larmes, comme une pluie dit le texte. Elle les essuie avec ses cheveux, elle les couvre de baisers tout en les enduisant de parfum.

Cinq lignes dans le texte, mais cinq bonnes minutes dans la vie. Interminable… et gênant car super intime. Pleurer en public au pied d’un homme, avec les cheveux défaits dans une société où c’est réservé à la chambre à coucher, à les embrasser alors que seule une épouse ou une fille l’envisage de manière sporadique ; quant au parfum, il crée une ambiance tellement sensuelle que tout le monde est enivré par la scène.

En plus, cette femme est une professionnelle de la séduction, de la caresse, du plaisir… alors nous, on parcourt un livre ou on écoute sa lecture, mais les convives, eux, ne savent plus trop où regarder.

Et Jésus laisse faire… ça n’a pas l’air de le déranger autrement. Une telle intimité ne lui fait pas peur ; il accueille ce qui arrive. Il laisse la femme aller au bout de ses gestes, au bout de ses émotions – jusqu’à ce qu’elle ait pu tout exprimer, tout déposer, tout offrir !
Au centre de cet épisode, il y a cette femme. Tout au long de l’Évangile, il y a des femmes. Nombreuses dans le livre de Luc, à partir de ce moment et jusqu’à la croix et même après, au tombeau vide, puis dans le deuxième livre, dit des Actes, où elles seront très présentes. Les femmes suivent Jésus, étudient aux côtés des hommes, gèrent l’accueil à domicile, contribuent financièrement et seront les premières à reconnaître le Ressuscité et à en témoigner.

Cette femme aux pieds de Jésus n’est que geste, elle est tout à ses mouvements, mue par quelque chose de puissant qui l’anime au plus intime. Mais que se passe-t-il ? On sait ce qu’elle est une prostituée de la ville, mais qui est-elle ? Quel est son nom d’ailleurs ? On voit ses actes, mais qu’est-ce qui se passe ? Quoi qu’il en soit, cette femme est là : elle donne tout, elle ne retient rien, elle ne joue plus, ne subit plus, ne travaille plus. Une femme avec son histoire, lourde, stigmatisante, déprimante, qui sent qu’elle doit faire ce qu’elle fait pour Jésus, pour elle, pour rester humaine ou le redevenir, avec les compétences et les moyens dont elle dispose.

Et Jésus est là qui accueille, qui se laisse toucher, qui reçoit, et si on pousse à peine, on pourrait dire qu’il goûte ces instants, il se laisse interpeler et médite, pour tenter de discerner ce qui est en train de se passer : pour lui dont on attendra une parole, pour cette femme effondrée et si courageuse, pour le pharisien et ses invités, et pour tous ceux qui entendront parler de cet évènement, comme nous aujourd’hui.

Si on prend le temps de regarder, on découvre un Jésus qui peut tout recevoir, tout comprendre, tout assumer ; un Jésus qui se laisse toucher par ce qui nous fait souffrir, qui ressent ce qui nous fait mal, qui prend sur lui ce qui nous pèse.

Nous avons tous un passé et ce passé n’est pas parfait, peut-être que pour certains, il est lourd et qu’il y a des épisodes difficiles à raconter, peut-être que l’un de vous pleure parfois sur son passé, que vous aimeriez revenir en arrière et rejouer certaines scènes qui ne s’effacent pas. Le reconnaître est une grande marque de dignité et de courage. Oui, nous tous, nous avons des histoires plus ou moins cabossées, ratées, gênantes, honteuses. Plus ou moins, évidemment, mais aucun de nous ne peut se sentir irréprochable, à moins de se mentir ; ni supérieur, car aurions-nous fait mieux, si nous avions été dans la situation de l’autre ?

L’histoire de ce jour nous invite à la suspension des jugements pour simplement accueillir ce qui est profondément humain, en toi, en moi, en l’autre qui vit différemment.

Cette femme en pleurs rappelle des pans de ta vie, de ma vie, de l’histoire de l’Église, des pans de l’histoire de l’Humanité. Il y a de quoi être admiratif quand on regarde notre passé personnel et collectif, il y a aussi de quoi pleurer.

La femme aux pieds de Jésus a compris quelque chose de fondamental : quel que soit notre parcours, Jésus peut l’accueillir sans jugement, recevoir l’offrande de notre vie et nous guérir de notre passé : elle a compris qu’avec Jésus, elle peut redevenir vivante, redevenir une personne à part entière et pas juste « la pécheresse de la ville ».

On ne sait comment, mais cette femme a reçu la conviction de la puissance de compassion de Jésus. Et quand elle s’est approchée avec son offrande, elle n’a ressenti aucun jugement, aucun rejet de la part de Jésus. Elle a cette puissante intuition que son passé n’a pas anéanti sa valeur, que sa dignité est restée à fleur de peau et que son histoire de vie peut-être reprise et dépassée dans une nouvelle histoire qui lui corresponde mieux.
Elle va donc à lui et lui offre tout, sans retenue, contrevenant les codes de bienséance, les règles des bienpensants pour rencontrer le bien-aimant et se recevoir enfin bienaimée.

Simon n’en est pas encore là, il en est bien loin. Il sait d’où vient cette femme et il ne comprend pas pourquoi Jésus le prophète n’y voit que du feu. Et il se demande qui est ce maitre aux nombreux disciples qui se laisse faire n’importe quoi, n’importe où, par n’importe qui… câliné par une prostituée sous son toit en présence de ses collègues et amis.

Jésus lui dit simplement : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. » C’est la première fois dans cet évangile que Jésus interpelle une personne par son prénom. C’est un détail important, car Jésus veut lui dire quelque chose de personnel, il veut l’aider à entrer lui aussi dans sa propre histoire, dans le renouvellement de sa personne.

Que notre parcours soit chaotique ou apparemment bien sous tout rapport, nous avons tous besoin que Jésus nous ouvre à l’amour infini de Dieu, et c’est justement d’amour dont va parler Jésus à Simon ; d’amour et de miséricorde.

La petite parabole sur les dettes remises permet à Jésus d’expliquer qu’il n’y a que le pardon qui puisse guérir nos histoires ; et qu’il n’y a que l’amour qui nous rende capables de pardonner sans condition.

Ce jour-là, Jésus s’est senti aimé, il s’est laissé aimer. Et nous levons le voile sur une qualité importante de Jésus et de Dieu dont il vit : il est amour, mais il est aussi en attente d’amour, notre amour le touche, le réjouit et l’inspire.

Voilà une clé d’appréciation pour nos histoires de vie. C’est la compassion et l’amour qui comptent, pas d’abord la confession de foi ou le niveau de conscience, mais les gestes de miséricorde et de générosité, reçus et donnés.

Nous avons tous dans nos histoires des trous que l’on ne peut combler, des taches que l’on ne peut éliminer, peut-être pour certains des actes honteux et condamnables.

Si cela reste enfoui ou relativisé, le Christ ne peut rien pour nous, mais s’il nous est donné la grâce d’en être attristés, alors ayons le courage de cette femme de l’apporter aux pieds du Christ et de tout lui offrir, sans rien trier, sans rien arranger : tout lâcher comme un long sanglot libérateur. Car en même temps que ses mains et ses cheveux lavent les pieds de Jésus, c’est son histoire que Dieu nettoie.

Le Seigneur désire nous guérir de notre passé, nous libérer de ce qui nous y ramène impitoyablement, nous décharger de ce qui nous plombe notre vie. Même si tout n’est pas résolu, qu’il y a encore des relations endommagées, des conséquences à assumer, intérieurement, tu peux recevoir la conviction que pour le Christ, c’est pardonné, tout est réglé parce qu’il a dit : « Va en paix. »

Alors le mal commis et le mal subi perdent leur potentiel d’empoisonnement, de dépersonnalisation et Dieu te rend à toi-même, en coupant les liens destructeurs des regrets permanents.

Oui, cette femme a compris que cet homme de Nazareth est unique ! Et des hommes, elle en a vu passer, de toutes sortes et sous toutes les coutures. Mais celui-là est différent, il ne vient pas chercher l’amour, mais il l’initie – et pas un amour qui consomme, mais un amour qui communie, un amour d’une infinie tendresse, avec une capacité d’intimité d’une pureté totale.

Alors Jésus interpelle Simon : « Ta capacité d’intimité, ta capacité à vibrer à l’humanité de l’autre, à te laisser toucher par sa détresse et à faire preuve de bonté, à quoi en est-elle ? Cette inconnue que tu méprises est en avance sur toi dans la compréhension de l’Évangile, du cœur de mon enseignement, du cœur même de Dieu. Aujourd’hui ce n’était pas moi le rabbi, c’était elle ! Elle nous a tous montré que c’est l’amour qui rachète nos histoires et nous réconcilie avec la vie. »

Jésus nous interpelle aussi : « A quoi en est ton amour ? Comment se porte ta capacité à le recevoir et à l’offrir ? »

J’aime à penser que c’est pendant ces quelques minutes intenses de méditation silencieuse sous le toucher délicat d’une femme en pleurs, en train de faire sa lessive intérieure à ses pieds que Jésus a eu l’idée d’un jour laver les pieds de ses disciples, comme geste ultime de l’amour, prélude au geste suprême du don de sa vie sur la croix.

Oui, la foi est d’abord un geste dont on peut rendre compte, témoigner et prolonger, elle ne sera jamais une théorie mise en pratique, une dogmatique à comprendre, un programme à réaliser ou un état de conscience à atteindre.

Notre vie chrétienne s’accomplit fondamentalement dans nos actes, dans les gestes d’amour, reçus et offerts. Et sur ce chemin, la dame de la ville a une longueur d’avance : elle marchera désormais au côté de Jésus, active et vivante, redevenue elle-même comme elle n’en aurait jamais rêvé.

La foi dans la Bible n’est pas tellement une croyance. Il s’agit davantage d’un geste qui vient du coeur en réponse à la personne du Christ et au message de l’Evangile. Les femmes au temps de Jésus n’avaient pas la parole en société. Elles ont souvent passé par de magnifiques gestes pour exprimer leur foi et leur amour pour Jésus
Rencontre de la prostituée au pied du Christ qui lui offre tout ce qu’elle est, tout ce qu’elle a, tout son vécu.
Premier culte d’une série intitulée « Les gestes de foi de trois femmes audacieuses »

Crêt-Bérard est une Maison de prière qui organise des retraites et accueille de nombreux séminaires d’entreprises, associations, Hautes Ecoles et Universités. La Maison vit au rythme des trois offices quotidiens et du culte hebdomadaire. A la frontière entre tradition monastique et service hôtelier, Crêt Bérard propose une hospitalité spécifique empreinte de sérénité, d’authenticité et d’humanité.

Détails

Avec la participation de
Anne Barral, Laurence Schneider, Marinette Corbaz
Orgue
Musique
Choeur a capella, sous la direction de Laurent Jouvet