Écouter le culte :
Quand on connaît l'histoire…
Quand on connaît l'histoire, on sait que Pâques est la commémoration de la victoire de la vie sur la mort. Mais voilà, ce matin-là Marie de Magdala, Pierre et l'autre disciple et tous leurs amis, eux, ils ne connaissent pas l'histoire.
Ce matin, nous avons commencé notre culte par la proclamation de Pâques : « Le Seigneur est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! » Et, aujourd'hui, un peu partout dans les églises du monde entier, les célébrations ont commencé par cette proclamation, une proclamation qui peut s’entendre comme une brèche, une ouverture, un passage plein de joie et d'espérance. Ça, c'est aujourd'hui, parce que nous connaissons la suite de l'histoire. Une histoire qui, il faut bien en être conscients, n'a commencé ni dans la joie ni l'enthousiasme.
Pour Marie de Magdala, pour Pierre et l'autre disciple, pour tous les amis de Jésus, ce que nous appelons Pâques, c'est plutôt un petit matin glauque avec une impression marquée de gueule de bois. Oui, ce matin-là, l'ambiance est dominée par la tristesse, par l'incompréhension, par la déception, par la peur. D'ailleurs l'évangile nous dit, un peu plus loin, que les disciples étaient confinés, enfermés à double tour par crainte des autorités.
Dans le fond, l'ambiance de ce matin-là n'est pas très différente de celle que nous connaissons depuis un peu plus d'une année avec cette impression tenace que l'espérance a bien de la peine à germer dans notre pâte humaine.
Oui, c'est Pâques ! Alors quoi de neuf ? Oui, une fête plusieurs fois millénaire peut-elle apporter encore quelque chose de nouveau pour le monde et pour chacune et chacun de nous ? Fêter Pâques en 2021, est-ce différent des autres années ?
Ne pas oublier Vendredi saint
Pendant des années, voire des siècles, je crois que Pâques a été fêté en oubliant un peu rapidement Vendredi saint. En effet, le langage utilisé donne l'impression d'un changement radical avec son vocabulaire en opposition : fermé-ouvert, nuit-jour, obscurité-lumière, mort-vie ; avec la radicalité et l'immédiateté d'un tour de passe-passe, par lequel le prestidigitateur fait surgir un lapin du chapeau.
Personnellement, j'ai toujours eu de la peine avec cette joie un peu forcée du matin de Pâques. Une joie qui, je le crois, nous empêche de vivre et d'assimiler pleinement ce qui s'est déroulé entre la condamnation et la mort du Christ et sa résurrection dans la nuit du samedi au dimanche. Car c'est bien la réalité : Pâques n'est pas un basculement radical ; Pâques ce n'est que l'amorce de quelque chose de nouveau.
Je crois qu'en ce début avril 2021, nous sommes certainement beaucoup plus à même de vivre Pâques autrement : non plus comme un basculement instantané, mais véritablement comme un nouveau commencement. En effet, je crois que, depuis un peu plus d'une année, notre rapport au temps et à la durée s'est grandement modifié. La frénésie du « tout, tout de suite » a laissé la place à autre chose. Ce n'est pas un jour le virus et le lendemain le vaccin. Il faut du temps. Et notre société, contrainte et forcée, a dû réapprendre que le temps ce n'était pas seulement l'heure sur le cadran d'une montre; le temps c'est aussi la durée des minutes ou des jours qui se multiplient et s'accumulent.
Alors, ce qui est peut-être neuf cette année, quand on est croyant, c'est que Pâques n'est pas un instant, c'est une durée. On peut continuer à se réjouir à Pâques, mais d'une autre manière. À Pâques, tout n'est pas joué, mais tout commence. Alors Pâques n'est plus un jour dans le calendrier liturgique, Pâques est cette espérance en germe qui grandit et se fait, peu à peu, une place dans notre existence humaine et notre vie de foi. Quand on a la foi, c'est Pâques tous les jours, c'est l'espérance en chemin, c'est déjà, mais pas encore.
Place à l'incroyable
Ce qui est peut-être aussi neuf cette année, c'est une manière différente d'accueillir et de faire une place à l'incroyable dans nos vies. Depuis quelques mois, la manière de se situer par rapport à la confiance, au crédible, à la vérité, a été passablement chahutée, transformée, mise à mal. Dans notre société, on ne croit plus comme avant. Le vrai et le faux n'ont plus le même statut. Et que dire de la place donnée à la vérité ?
Il faut bien le reconnaître, ce que nous vivons depuis un peu plus d'une année est au minimum inimaginable et, pour un grand nombre, incroyable. La toute-puissance du rationnel en a pris un sacré coup. Beaucoup de certitudes se sont fissurées avant de s'effriter complètement. Et de nombreuses personnes, après les doutes et les désillusions, sont totalement déboussolées, voire même anéanties. Pourtant, ce ne sont pas les signes d'espérance qui manquent. Heureusement.
Ce que nous vivons aujourd'hui rejoint, d'une certaine manière, ce que Marie de Magdala, Pierre et l'autre disciple et leurs amis devaient vivre en ce matin particulier. La fatigue, la déception, une forme d'épuisement… au milieu desquelles jaillissent un signe et une parole d'espérance.
Un signe et une parole qui viennent bousculer la raison et qui créent une brèche dans laquelle s'engouffre l'incroyable. Oui, pour ces premiers témoins, le soupçon d'une possible résurrection est quelque chose d'incroyable. Et pourtant, cet incroyable va faire son chemin et, peu à peu, gagner du terrain sur l'évidence rationnelle. Le soupçon va devenir possibilité et la possibilité intime conviction.
Ce cheminement est à la fois existentiel et spirituel. Et il peut être expérimenté à toute époque, dans la mesure où les verrous des certitudes rationnelles sont desserrés. Je pense que notre époque se prête bien à cet accueil différencié de l'incroyable dans nos vies. Un accueil qui devrait permettre de reconsidérer la foi avec un regard nouveau.
Pâques en présentiel
Enfin, ce qui pourrait être neuf cette année, c'est une redécouverte de l'importance de la relation. Depuis un peu plus d'un siècle, la religion a été progressivement reléguée dans la stricte sphère privée. La mondialisation du marché religieux a provoqué l'émergence d'une sorte de supermarché des religions où chacune et chacun va glaner ce qui lui convient et se concocte une religion à son goût. A priori, je n'ai rien contre ce choix largement offert. Il permet une meilleure connaissance de la foi des uns et des autres. Il permet aussi un échange dans le respect, qui est un réel enrichissement pour tous. Mais ce choix offert fait courir le risque d'une religion sur mesure, différente pour chacun. Une religion individuelle qui exclut le rôle central de la communauté.
Pâques n'a pas eu lieu sur Zoom, mais en présentiel. Pâques est fondé sur la rencontre, sur la relation, sur le partage. Le récit que nous avons entendu ce matin parle de déplacement, de rencontres, d'allers et de venues, de paroles échangées, de questionnements partagés, de noms prononcés ; bref, de relation.
Les temps de confinement, auxquels nous avons été soumis ces derniers mois, nous montrent à quel point nous avons besoin des autres : serrer des mains, embrasser, être ensemble, se retrouver autour d'une table, partager un repas. Ce qui est vrai de notre vie en société l'est aussi de notre vie de foi. Notre jardin secret, notre face-à-face avec Dieu n'est pas suffisant. Nous avons besoin les uns des autres, pour partager et nous enrichir. La foi n'est pas qu'une affaire privée ; loin de là.
Fêter Pâques en 2021, c'est rappeler, dans notre vie de foi, l'importance de la durée.
Fêter Pâques en 2021, c'est rappeler, dans notre vie sociale et spirituelle, l'importance de l'incroyable et de la vérité.
Fêter Pâques en 2021, c'est rappeler, dans notre vie humaine, l'importance de la relation.
Amen !