Chers paroissiens, chers auditeurs,
Que l'on soit adepte du camping, du gîte rural, de l'hôtel club, de la pension famille, du circuit touristique ou du chalet à la montagne, on s'y est pris à l'avance. Surtout pour les vacances d'été. Alors, fin décembre, début janvier on a réservé. Catalogue en main, avec la carte de la région ou le plan de la ville. On a rêvé les vacances; on a imaginé le décor, les étapes, le voisinage. En fonction de nos existences et de nos possibilités matérielles, on a été attentifs au cadre, au confort, au dépaysement, au prix, aux possibilités de loisirs ou aux richesses culturelles.
Il y a ceux qui ont choisi la pension Bon Accueil. C'est comme à la maison avec une nourriture bien de chez nous. Pas de chichi: simplicité et propreté. Il y a ceux qui ont choisi le dépaysement total. On dort sous tente, au milieu des animaux sauvages, avec un éléphant à portée de main et des hyènes qui ricanent toute la nuit. Il y a ceux qui, comme chaque année depuis plus de vingt ans, ont choisi de retourner dans le même camping. On leur attribue toujours le même emplacement. Ils connaissent les voisins et se réjouissent déjà de les retrouver. Et puis, il y a ceux qui ne partent pas... par choix ou parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement.
Mais pour ceux qui ont la chance de pouvoir partir, après avoir choisi, après avoir rêvé, après le voyage en voiture, en train ou en avion, vient le moment où l'on arrive à destination, vient le moment de l'installation. C'est le moment où, soudain, notre rêve se trouve confronté à la réalité. En pensant à mes propres expériences, à mes propres souvenirs, je me rends compte que, pour moi, ces moments ont toujours été chargés d'une certaine tension. Car, dans ces moments-là, il y a souvent quelque chose du saut dans l'inconnu, même pour ceux qui, chaque année, se retrouvent au même endroit, je suis en situation de rupture. Et que ce soit l'enthousiasme ou la déception, j'ai besoin d'un peu de temps pour apprivoiser les lieux et me sentir vraiment à l'aise.
Et, dans ces moments-là, les repères sont importants. Des repères qui vont me permettre de retrouver l'équilibre que le changement a rompu. Des repères auxquels nous n'attribuons pas tous la même importance. Il y a des gens qui redoutent l'inconnu et qui ont besoin de retrouver ailleurs le plus grand nombre possible d'éléments qui font partie de leur environnement quotidien. A l'opposé, il y a ceux qui n'ont aucune peine à se sentir bien partout. Mais quelles que soient nos facilités d'adaptation, je crois que nous avons tous besoin de repères, d'éléments familiers qui nous rassurent et qui facilitent notre installation.
Certains de ces repères nous les emportons avec nous: ce sont les membres de notre famille, certaines photos, un objet auquel nous attribuons une valeur sentimentale, un livre, la Bible. Et c'est aussi tout ce qui nous habite: nos principes de vie, nos certitudes, notre foi. D'autres de ces repères, nous les découvrons sur place: ce sont les gens que nous rencontrons ou que nous retrouvons, mais c'est aussi un paysage, une musique ou une odeur qui nous renvoie à quelque chose de connu.
Chers amis, l'apôtre Paul, ce grand voyageur devait, lui aussi, être sensible aux repères. Le récit de ses voyages montre l'importance qu'il attribuait toujours à son installation. Ainsi, à Corinthe, Paul trouve ses repères non seulement dans la communauté juive du lieu, mais aussi chez Aquilas et Priscille qui, comme lui, étaient fabricants de tentes. Un partage d'intérêts communs, un cadre culturel connu et, bien sûr, une proximité de foi: voilà plusieurs repères qui vont permettre à l'apôtre Paul de se sentir plus facilement à l'aise dans un endroit où il arrive en étranger.
Mais, aujourd'hui, comme autrefois d'ailleurs, il n'y a pas besoin de partir en vacances ou de voyager pour vivre des temps de déplacement et d'installation. En effet, nous sommes tous, un jour ou l'autre, amenés à choisir ou à devoir nous installer dans une nouvelle situation. Dans le cadre familial, il peut s'agir d'une naissance ou d'un décès, d'un mariage ou d'une rupture, de la déclaration d'une maladie ou d'une guérison. Dans le cadre professionnel, ce peut être une promotion ou un licenciement, un changement d'orientation ou l'arrivée à l'âge de la retraite. Et puis, il y a aussi simplement les déménagements; et il y a aussi le commencement ou la fin d'un loisir. Et la liste est loin d'être exhaustive.
Oui, chers amis, même sans partir en vacances, même sans voyager, nous vivons tous des temps de rupture qui, par choix ou par nécessité, nous amènent à devoir nous installer dans une nouvelle situation. Une installation qui peut être prévue de longue date ou qui survient subitement, une installation qui peut être le résultat d'un rêve ou d'un cauchemar. Une installation qui, presque toujours, met en évidence l'importance des repères, l'importance de nos repères dans ces situations de rupture.
Et, nous le savons bien, ces repères ne tombent pas du ciel. Ils sont le résultat de notre éducation, de notre recherche et de notre réflexion. Ils sont le résultat de notre cheminement de vie; un cheminement fait d'expériences, de partages et d'efforts. Un cheminement qui nous permet de nous préparer aux divers changements et installations que nous serons appelés à vivre tout au long de notre existence. Alors, comme pour le voyage ou les vacances, il est essentiel de se préparer: on a meilleur temps de s'y prendre à l'avance et de réserver assez tôt. Oui, il est important de se préparer, de mettre en route notre imagination et notre réflexion afin d'accumuler des éléments qui nous serviront de points d'ancrage, de repères, quand viendra le temps où il faudra s'installer dans une nouvelle situation.
Quand Paul débarque à Corinthe, il arrive avec ses repères. Il sait d'où il vient. Il se sait aussi précédé et accompagné. Les certitudes qui l'habitent ne se résument pas à des positions de principe. Paul débarque à Corinthe avec sa foi, une foi née de sa rencontre avec le Christ; une foi nourrie d'une promesse. Mais sur place, Paul trouve aussi des points d'ancrage fiables et rassurants. Il retrouve le cadre familier de la synagogue et il fait la connaissance d'hommes et de femmes qui vont jouer un rôle décisif dans son intégration.
Pour nous aussi, chers amis, il y a des repères qui nous habitent et il y a des repères, des points d'ancrage qui nous sont extérieurs et qui nous sont offerts. La foi fait partie de notre bagage de chrétien. Partout où nous nous trouvons, elle est un repère solide et fiable. Mais il y a aussi la communauté, une communauté dont chaque membre peut devenir un de ces repères, un de ces points d'ancrage essentiels à mon installation. Et même si Paul est entré en conflit avec cette communauté, reste que certains de ses membres, et pas des moindres, ont joué un rôle important dans l'installation de Paul à Corinthe. Pensez non seulement à Aquilas et à Priscille, mais aussi à Crispus et, peut-être à Titius Justus.
Chers paroissiens, chers auditeurs, quelle que soit notre situation aujourd'hui, nous savons que la rupture et le changement font partie de notre existence. Oui, un jour ou l'autre nous serons amenés, par choix ou par nécessité, à nous installer dans une nouvelle situation. Y avons-nous pensé ? Nous y sommes-nous un tant soit peu préparés ? Et quels repères emportons-nous dans nos bagages ? A quels points d'ancrage espérons-nous pouvoir nous arrimer ?
Cette question des repères est sans doute plus actuelle que jamais, à l'heure où les changements se produisent avec la rapidité que nous connaissons aujourd'hui; à l'heure où de plus en plus de gens n'ont plus de lieu où ils puissent se coucher pour se reposer. Et cela au sens propre comme au sens figuré.
Eh bien, ma réflexion d'aujourd'hui sur le thème de l'installation me pousse à considérer ma foi en Christ comme le repère, comme le point d'ancrage par excellence. Un repère qui a un nom et une histoire: Jésus-Christ. Un point d'ancrage lié à une promesse. Oui, chers amis, la foi en Christ est non seulement un repère, un élément structurant de la personne. La foi en Christ engage aussi le croyant ou la communauté à devenir point d'ancrage. Point d'ancrage pour le voyageur de la route. Point d'ancrage pour le voyageur de la vie.
Amen.