Jésus, Fils de Dieu, né d'une femme... Mais qui est cette femme?

Chapelle des Mayens-de-Sion (©Alexandra Urfer Jungen)

Écouter le culte :

Aujourd’hui 15 août, grande date pour une large majorité de la population chrétienne mondiale. En effet, 54% des chrétiens célèbrent en ce jour l’Assomption de Marie alors que 11 autres pourcents fêtent sa Dormition ; voilà donc pour les catholiques et les orthodoxes, en précisant encore que les anglicans marquent plus sobrement en ce jour la fête de Marie. Mais que font les protestants, les réformés tout particulièrement, en un tel jour ? Eh bien, selon leur usage, puisqu’en cette année 2021, le 15 août correspond à un dimanche, les protestants vont au culte à 10h et se mettent ainsi à l’écoute de la Parole de Dieu. Sola scriptura, l’Écriture seule comme norme de la foi, ainsi que l’a rappelé la Réforme !

Sola scriptura, sola fide, sola gratia, solus Christus et soli Deo gloria : les cinq principes de la compréhension protestante du salut. Alors, assumons et partons à la rencontre de Marie en utilisant en guise de prisme chacune de ces cinq maximes !

 

L’Écriture seule

Eh bien, selon les Écritures, Marie parle peu, Marie se donne peu à voir, mais Marie chante. Après avoir donné son adhésion au plan de Dieu lors de l’Annonciation et au moment d’être accueillie par Elisabeth sa parente, elle fait monter sa louange, se tournant ainsi vers Celui qui l’a comblée de grâce : « Oui, vraiment, le Seigneur est grand ! Je le chante ! Mon cœur est dans la joie à cause de Dieu qui me sauve. »

Et par son chant, Marie nous prouve qu’elle est elle-même ancrée dans l’Écriture sainte. Effectivement, le Magnificat est tissé de références à l’Ancien Testament, aux Psaumes tout particulièrement. Nul doute que cette jeune fille qu’est Marie est une fille de son peuple, un peuple qui s’est construit autour et à partir du texte sacré. Et les évangélistes Matthieu et Luc, en se faisant généalogistes, inscrivent Marie par l’intermédiaire de Joseph son époux dans l’histoire de ce peuple dont la confession de foi est basée sur l’écoute et l’appropriation intime de la Parole de Dieu.

Pour nous, l’Écriture sainte se fait plutôt discrète au sujet de Marie. Celle-ci apparait peu dans les Évangiles. Bien sûr, Luc lui accorde une place de choix dans le récit de la Nativité, alors que Matthieu, pour sa part, se concentre sur Joseph. Marc et Jean, de leur côté, ne disent tout simplement rien de l’enfance du Messie, donc rien de sa mère.

Luc, le plus disert au sujet de celle-ci, rend encore compte du souci maternel de Marie au moment où Jésus, âgé de douze ans, s’attarde auprès des maîtres dans le Temple de Jérusalem : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse... » (Luc 2, 48)

Mais ces mêmes évangiles, que nous disent-ils des relations entre Jésus et sa mère ? Même si Marie nous est montrée parfois proche de son fils, celui-ci ne manque pas de marquer une certaine distance. Il y a l’épisode des noces de Cana (Jean 2, 1ss) avec cette parole plutôt rude de la part du Fils : « Qu’y a-t-il entre toi et moi, femme ? » Et ailleurs, cette autre question de Jésus : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? », avec cette réponse désignant les gens assis autour de lui : « Voilà ma mère et mes frères ! Quiconque fait la volonté de Dieu est mon frère, ou ma sœur, ou ma mère » (Marc 3, 33-35). Il y a toutefois une très belle attention filiale de Jésus à l’égard de Marie au moment le plus dramatique de leur parcours commun, c’est-à-dire à la croix : Jésus confie sa mère à l’affection du disciple Jean et réciproquement (Jean 19, 26-27).

Sans aller plus loin, nous pouvons dire que selon l’Écriture, nous savons peu de choses de Marie. Et cette sobriété des Écritures à son sujet pourrait bien être ce qui nous la révèle le mieux dans sa simplicité et son humilité : ne dit-elle pas d’elle-même dans le Magnificat qu’elle n’est qu’une servante sans importance ? Et après avoir dit sa joie et son bonheur en reconnaissant qu’elle n’y est pour rien et que Dieu y est pour tout, elle laisse toute la place à la grandeur de Dieu.

A ce sola scriptura que les réformateurs mettront en valeur quelques siècles plus tard mais qui habite déjà le cœur de Marie vient s’ajouter, dans ce même cœur, le sola fide, expression de la primauté de la foi.

 

La foi, la confiance

Cette foi, Marie la confesse en une petite phrase de quelques mots : « Qu’il m’advienne selon sa parole... » Oui, c’est ainsi que se conclut le dialogue entre elle et l’ange Gabriel au moment de l’Annonciation, sept mots dans la bouche d’une toute jeune fille pour sceller un destin de mère, mais surtout sept mots pour laisser place au projet de Dieu, sept mots pour donner corps au Verbe de Dieu.

Marie, à ce moment-là, est fiancée à Joseph et se trouve à la veille de son mariage. Elle sait bien qu’un premier enfant ne tardera pas à arriver, certainement premier d’une longue série ; ainsi vont pour elle les choses de la vie... Et comme toute jeune fille juive pensant à sa future maternité, elle ne manque pas de se demander si l’enfant qu’elle mettra un jour au monde ne sera pas le Messie tant attendu par l’ensemble de son peuple. Et à cette interrogation, ou plutôt à cette espérance, vient maintenant répondre la foi, la confiance : « Qu’il m’advienne selon sa parole... » La foi, la confiance, ni plus ni moins.

Certes, foi et confiance n’ont pas empêché Marie d’être étonnée de la visite de l’ange et de lui poser des questions ; la foi de Marie n’est pas celle du charbonnier, elle n’est donc pas synonyme de passivité ou de soumission, elle est pleinement adhésion, acceptation, participation. Le oui de Marie est clair et net et, pour elle comme pour quiconque, cette foi ne la préservera pas de l’épreuve ; Siméon, sitôt après la naissance de l’enfant prophétisera qu’une épée transpercera son cœur de mère. Non la foi n’est pas une assurance tous-risques, mais la foi, la confiance, voilà qui permet de tenir bon jusqu’au bout du chemin : « Qu’il m’advienne selon sa parole... »

 

Sola scriptura, sola fide, poursuivons avec sola gratia, et parlons de cette grâce qui est en train de bouleverser la vie de Marie. Dans le Magnificat, elle dit que Dieu a fait attention à elle ; en réalité, cette attention se manifeste au travers du regard que Dieu a porté sur celle qui se considère comme une simple servante, comme une personne parfaitement ordinaire.

« Ma grâce te suffit ; ma puissance se montre vraiment quand tu es faible... »

Le propos est adressé par Dieu à l’apôtre Paul selon ce que celui-ci en rapporte dans sa deuxième lettre aux chrétiens de Corinthe. Mais n’allons pas croire, Paul n’est pas plus faible qu’un autre. Et il en va de même de Marie : elle n’est pas différente d’une autre, ni plus insignifiante et de toute manière personne n’est insignifiant aux yeux de Dieu. Et c’est bien pour cela que la grâce de Dieu vient à la rencontre de notre humanité, non pas pour la sanctionner mais pour révéler sa dignité et la conduire à son accomplissement. Et cela, j’insiste, qu’il s’agisse de Paul, de Marie, de vous, de moi, de chacune et chacun. « Ma grâce te suffit... », dit le Seigneur.

Marie, donc, comblée de grâce, favorisée par le Seigneur, choisie entre toutes les femmes. Oui, choisie entre toutes les femmes, mais comme peut l’être, comme l’est avec certitude tout enfant de Dieu, tout homme, toute femme. Marie graciée comme chacun ou chacune d’entre nous est appelé à l’être.

Marie est unique comme son Fils est unique, mais elle bénéficie, ou plus exactement elle a besoin comme nous toutes et tous de la grâce de Dieu, une grâce qui la saisit totalement sans pour autant qu’elle se prenne dès lors pour ce qu’elle n’est pas : Marie, forte de cette grâce, ne cesse de protester de son humilité. Humble servante elle est, humble servante elle restera.

Persévérons et passons à la quatrième étape : solus Christus, le Christ seul ! Et disons-le d’emblée : ici, c’est le Fils qui fait la mère. Car c’est bien à cela que Marie donne son assentiment : enfanter, permettre au Verbe de Dieu de prendre corps et de participer ainsi à la condition humaine. Nul doute que sans ce Fils, nous ne parlerions pas de Marie ou du moins pas plus que des autres Marie qui traversent les évangiles sans y laisser grande trace de leur passage.

 

Solus Christus

S’il est un auteur biblique fort discret au sujet de la mère de Jésus, c’est bien l’apôtre Paul. Sous sa plume, une seule allusion à Marie : Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et assujetti à la loi (Galates 4, 4). Paul ne parle donc pas de la mère mais bien du Fils ; il se contente de pointer le centre unique du christianisme ainsi que de cette Bonne Nouvelle dont il est le ministre : « Je n’ai pas jugé bon de savoir autre chose parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié... » (1 Corinthiens 2, 2). Oui, solus Christus, le Christ seul.

Et c’est exactement ce que Marie elle-même laisse clairement entendre à Cana lorsqu’elle s’adresse aux serviteurs mal à l’aise devant la rupture des stocks de vin : « Quoiqu’il vous dise » – elle parle donc là de son Fils – « quoiqu’il vous dise, faites-le ! » (Jean 2, 5). Marie, ici, est véritablement dans son rôle qui est de renvoyer à la Parole de son Fils ; de même que trente ans plus tôt elle a acquiescé à l’annonce de l’ange, elle invite maintenant à obéir aux paroles de celui qu’elle a mis au monde. Marie a su faire porter le regard, l’attention, et l’écoute surtout, sur celui qui seul permet de changer l’eau en vin, belle métaphore du passage de la mort à la vie.

L’Écriture seule, la foi seule, la grâce seule, le Christ seul, tout cela, et Marie ne manque pas de nous y conduire, culmine dans la gloire qui n’est à rendre qu’à Dieu seul, soli Deo gloria ! Le Magnificat n’a pour but que d’exalter la grandeur de Dieu. Et si Dieu, comme le chante si bien Marie, chasse ceux qui ont le cœur orgueilleux, s’il renverse les rois de leurs sièges et relève les petits, s’il donne beaucoup de richesses à ceux qui ont faim, et renvoie les riches les mains vides (Luc 1, 51-53), c’est bien parce qu’il est lui, le Maître du monde, et qu’aucune gloire humaine ne saurait briller devant lui.

 

A Dieu seul la gloire !

Nous avons lu chez le prophète Esaïe cette mise en garde : « Ceux qui regardent les autres avec mépris devront baisser les yeux, les gens orgueilleux devront se courber ; ce jour-là, le Seigneur seul sera grand... » (Esaïe 2, 11). Marie connaissait ses  classiques et dans sa propre déclamation de la gloire de Dieu viennent résonner les propos du prophète.

En ce dimanche 15 août, nous sommes allés à la rencontre de Marie en faisant usage des cinq formules latines qui synthétisent la compréhension protestante du salut de l’homme : sola scriptura, sola fide, sola gratia, solus Christus avec cette clef de voûte qu’est soli Deo gloria.

Nulle intention de récupérer Marie et de faire d’elle une protestante avant l’heure, mais simplement lui rendre justice et la reconnaître pour ce qu’elle est véritablement : une femme qui sait que la Parole de Dieu est un flambeau sur son chemin, une femme qui n’hésite pas à faire le saut de la foi, une femme qui se reconnait suffisamment pauvre pour se laisser combler par les richesses de Dieu, une femme et même une mère qui sait rendre son entourage attentif à la puissance de vie de son Fils, enfin une femme qui place son destin sous la seule grandeur de Dieu.

Au risque de froisser son humilité, nous osons quand même le dire : Marie, une toute grande dame !

Amen.

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Marie, notre sœur en humanité. À l’heure où le monde catholique célèbre l’Assomption de Marie, quel regard les protestants peuvent-ils porter sur cette femme dont est né Jésus?

Détails

Avec la participation de
Sara Schulthess, pasteure-stagiaire, et Josiane Frossard, diacre, pour la liturgie. Anne-France Jossen pour les lectures.
Orgue
Musique
Frédéric Carruzzo à la clarinette, Ruth Bonuccelli-Bovier au violoncelle, Kilian Bianchi au clavier et Guillaume Masnari à la percussion