Écouter le culte :
Chaque fois que j’entends ce récit du jour des Rameaux, je me souviens d’un vieux collègue un brin malicieux qui nous disait : « Quand on me demande ce que je fais comme pasteur, je réponds que je suis le petit âne qui porte le Christ, celui dont on dit : détachez-le, car le Seigneur en a besoin ! » Et cette parole l’accompagna tout au long de sa vie, jusque sur son faire-part.
Jésus se trouve à Béthanie, au pied du Mont des Oliviers, à 3 kilomètres de Jérusalem. Pour préparer son entrée dans la Ville sainte, il envoie deux de ses disciples en avant :
« Allez au village qui est en face. Quand vous y serez arrivés, vous trouverez un petit âne sur lequel personne ne s’est jamais assis. Détachez-le et amenez-le ici. Et si quelqu’un vous demande : ‘Pourquoi le détachez-vous ?’ Dites-lui : ‘Le Seigneur en a besoin.’ »
Ce qui est peut-être un langage codé convenu avec un ami averti à l’avance.
Et tout se passe comme prévu. Le petit âne est détaché avec l’accord de ses propriétaires et suit gentiment les deux disciples. Il ne sait pas qu’il va devenir célèbre, mais il est prêt à faire ce qu’on lui demandera, en tendant en avant ses grandes oreilles attentives : clip clop clip clop clip clop clip clop…
Là, nous avons envie de poser une question : pourquoi Jésus réquisitionne-t-il un âne et pas un cheval ? Il aurait beaucoup plus d’allure s’il faisait son entrée à Jérusalem à cheval, comme un officier à la tête d’une légion romaine, ou même comme l’Empereur Tibère à Rome. Tandis qu’un âne, c’est tellement plus modeste, c’est la monture d’un pauvre. Ce sera joli, mais bien trop ordinaire…
La raison, c’est que Jésus connaît la prophétie de Zacharie que nous avons entendue dans la première lecture :
« Éclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion !
Regarde, ton roi vient à toi juste et victorieux,
humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. »
Alors les disciples disposent leurs manteaux sur l’âne comme pour installer une selle d’apparat et y font monter Jésus. À mesure qu’ils avancent, les gens étendent leurs vêtements sur le chemin, comme on déroule un tapis rouge pour accueillir un chef d’État, et c’est au milieu des ovations et des cris de joie que le petit âne avance sur la route qui monte vers Jérusalem : clip clop clip clop clip clop clip clop…
Jésus fait bien une entrée royale, à la manière des souverains, princes ou gouverneurs grecs, romains ou juifs de son temps, acclamés par des foules en liesse. Mais l’âne au lieu du cheval montre qu’il sera un roi tout différent. Dans quelques jours, il dira au gouverneur Ponce Pilate :
« Je suis roi, mais mon royaume n’est pas de ce monde. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
Mais l’âne ne sait pas qu’au bout du chemin se dressera une croix. Alors il avance fièrement au milieu de cette foule enthousiaste qui agite des rameaux comme des drapeaux et chante le Psaume 118 :
« Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire à Dieu ! »
Comme le disait mon ancien collègue, quel privilège et quel honneur d’être celui qui porte le Christ ! C’est ce qui est offert à chacun et chacune d’entre nous, dans notre vie de tous les jours : par nos paroles, notre attitude ou nos actions, nous sommes invités à être porteurs de l’Évangile, signes de ce monde nouveau et différent que Jésus est venu inaugurer.
Pourtant, un danger nous guette : c’est que le petit âne, enivré de cette gloire imprévue, se mette à penser que les honneurs sont pour lui et non pas pour celui qu’il porte. Après tout, c’est lui qui est au centre du tableau ou du vitrail, et c’est grâce à lui qu’on identifie tout de suite cette scène : Jésus sur un âne, bien sûr, c’est les Rameaux
Ce danger a toujours menacé l’Église au cours des siècles : se croire elle-même plus importante que le Christ qu’elle porte et se revêtir d’un pouvoir qui n’est pas le sien.
Pensez au papes du Moyen-Âge qui, dans une orgueilleuse bonne foi, croyaient pouvoir faire et défaire les rois et les empereurs comme étant les vrais maîtres du monde. À tous ces bûchers allumés pour cause d’hérésie ou de sorcellerie, ou encore à ce rêve de dominer et de régir la vie des gens qui est de toutes les époques. Quand la monture se croit plus importante que celui qu’elle porte, la signification du cortège des Rameaux est perdue.
Mais si l’Église reste à sa place dans le témoignage et le service, si chaque croyant se contente d’être le porteur du Christ, alors le Règne nouveau commence, un Règne qui n’est pas de ce monde.
D’autres croient pouvoir s’imposer avec des bombardements, des missiles, des chars, semant la mort et la désolation pour occuper le terrain.
Jésus, lui, avance tranquillement vers la Croix, au pas paisible d’un petit âne, mais il inaugure un monde différent que personne ne pourra plus faire disparaître. Un monde où la vie n’est pas bafouée, mais offerte et donnée ; où la vérité n’est pas camouflée sous la propagande, mais révélée et partagée ; où la nuit et la mort n’ont pas le dernier mot, mais la lumière et la vie.
On ne sait pas ce que le petit âne des Rameaux est devenu. Comme les catéchumènes à l’honneur en ce jour, il a sans doute repris son service ordinaire et s’est remis à porter des sacs, des fagots, du fourrage ou d’autres marchandises, tout comme nous allons retrouver demain notre vie ordinaire au milieu des gens ordinaires que nous connaissons.
Mais c’est justement là que nous avons à partager la joie de porter le Christ !
Amen.