Écouter le culte :
Ces derniers mois, l’actualité brûlante a remis au cœur de nos préoccupations la question de l’accueil et de l’hospitalité. La guerre soudainement proche et la vague de réfugiés ont donné naissance à un élan de solidarité : en faisant un don (285 millions de francs ont été récoltés en Suisse en lien avec la guerre en Ukraine), certains sont partis s’engager dans les camps de réfugiés à la frontière, et d’autres encore ont ouvert leur foyer pour accueillir une ou plusieurs personnes durant quelques mois.
L’hospitalité est toujours un défi, et en même temps une chance et souvent aussi une bénédiction.
La semaine dernière, quand je préparais ce culte, et cette prédication sur le thème de l’hospitalité, quelqu’un est arrivé au secrétariat de la paroisse. Il avait son chien et son énorme sac à dos. Le monsieur semblait épuisé, cuit par le soleil. C’était un marcheur et travailleur saisonnier, un peu vagabond et allant de petits boulots en petits boulots. Il avait besoin d’un bon bain, de manger quelque chose, et d’une bonne nuit de repos dans un endroit tranquille.
Dans ma tête je me suis posé mille questions à la seconde. L’accueillir ? Mais est-ce qu’il y a des risques ? Et puis je n’ai pas vraiment le temps là… et puis ceci et puis cela.
Et soudain, comme un clin d’œil de Dieu à l’intérieur de moi : Hé ho ! Tu es en train de préparer ta prédication sur l’hospitalité. Le défi et la chance que c’est… Tu vas raconter ça aux gens à la radio ? Alors tiens, voilà le défi pour toi maintenant. Est-ce que tu crois à ce que tu dis ? Le clin d’œil c’était un peu une claque en même temps.
Ok Seigneur... défi accepté.
Et cette rencontre a été une vraie bénédiction. Je ne sais pas si je le reverrai un jour. Il marche de ferme en ferme. Mais c’était une belle rencontre.
C’est vrai que l’hospitalité, c’est un défi : il y a une part de renoncement et même de sacrifice. Accueillir, c’est mettre de côté sa tranquillité. C’est aussi accepter d’être dérangé dans ses habitudes, son rythme, son confort. C’est dépenser de l’argent. C’est parfois accepter de faire passer les intérêts et besoins de celui ou celle qu’on accueille avant les nôtres.
La vie communautaire sous le même toit n’est pas toujours simple. Les communautés religieuses le savent, et c’est pourquoi les temps de mise à plat et de discussions sont une hygiène nécessaire pour maintenir le lien communautaire. Mais c’est aussi parfois vrai en famille : chacun doit tenir compte de l’autre, on ne peut pas toujours faire ce qu’on veut, quand on veut.
Accueillir l’autre, c’est aussi se mettre à son service et cela donne parfois du travail. Dans les textes bibliques de ce matin, on ne chôme pas pour honorer le visiteur qu’on accueille. L’hospitalité donne du travail !
Abraham, dans le texte de la Genèse, montre cet esprit de service au travers de toute son attitude : il renonce à la tranquillité de sa sieste pour faire bon accueil aux visiteurs de passage. Il est vieux, il est souffrant, et il fait chaud cette après-midi-là dans cette région du Proche-Orient. Mais Abraham se lève et insiste pour que les visiteurs s’arrêtent chez lui. Dans cette région du monde, l’hospitalité est un devoir sacré. Il honore ce devoir et fait preuve d’une grande générosité qui, elle, dépasse largement ce qui était attendu.
La tradition des commentateurs juifs verra dans ce geste un acte d’Abraham dont Dieu se souviendra longtemps. Et lorsque les Hébreux sont esclaves en Égypte, c’est de ce geste d’hospitalité dont Dieu se souviendra, et au nom de cet accueil, Dieu décidera de libérer Israël de l’esclavage.
L’hospitalité est une mise en œuvre concrète de l’amour. Et pas de n’importe quel amour : de l’amour parfait, de l’amour agapé qui vient du verbe grec αγαπαω (agapao). Ce verbe-là est utilisé pour qualifier l’amour de Dieu, un amour divin.
Mais l’origine archaïque du terme qualifie bien quelque chose de l’hospitalité. Dans les plus anciens usages, l’agapé, c’est « abriter et protéger l’autre » : on est bien là dans le registre de l’hospitalité. L’hospitalité est une forme appliquée de l’amour. C’est l’agapé mis en œuvre. Il y a donc quelque chose de divin qui se joue dans le geste de l’hospitalité.
Mais pour en revenir à l’accueil d’Abraham et à son service, il se voit dans trois attitudes exemplaires.
Tout d’abord, comme on l’a dit, bien que vieux et fatigué, Abraham accueille les visiteurs. Il se laisse déranger, et sortir de son confort au nom du devoir d’hospitalité.
Deuxièmement, il se prosterne devant eux et leur lave les pieds. Signe d’accueil dans cette culture, Abraham ne délègue pas cette tâche à un serviteur, mais il se fait lui-même serviteur. Un geste qui nous rappelle que Jésus aussi, lors d’un repas, s’est agenouillé pour laver les pieds de ses disciples. Lui, le Seigneur et le Maître, s’est fait serviteur.
Et enfin Abraham va faire préparer un repas. Littéralement le texte dit : « Je vais chercher un morceau de pain ». Mais c’est un vrai festin qui est préparé : 3 mesures de farine, soit environ une douzaine de kilos. C’est pas mal comme quantité de pain pour le repas de trois voyageurs : ils pourront emporter les restes pour la route. L’hospitalité se prolonge même au-delà de la rencontre.
Et puis il y a le veau qui est tué pour l’occasion : accueillir un visiteur, même inconnu c’est une fête ! En tout cas c’est comme cela qu’Abraham conçoit l’accueil. On rajoute encore du lait fermenté et du lait frais. Et voilà, à l’ombre des arbres, les hôtes sont bien reçus.
Si l’hospitalité est un défi et donne du travail, c’est aussi une chance qui peut devenir bénédiction. « Quand je reviendrai chez toi l’an prochain, ta femme Sarah aura un fils ».
L’hospitalité ne cherche pas à accaparer une bénédiction, mais la bénédiction vient sur celui qui accueille généreusement. On n’accueille pas pour être béni, mais on est béni parce qu’on accueille l’hôte de passage gratuitement et le cœur ouvert, et par cette ouverture du cœur, Dieu peut bénir.
Et parfois parmi les visiteurs de passage, c’est Dieu lui-même qui se glisse dans notre foyer.
Cette prière de la théologienne luthérienne Suzanne de Dietrich, qui a été très active durant la Seconde Guerre mondiale dans l’accueil des réfugiés, parle bien de ce défi de l’hospitalité qui donne l’opportunité d’accueillir Dieu chez soi.
Elle prie ainsi :
Seigneur, pourquoi m’as-tu dit d’aimer tous mes frères les Hommes ?
J’ai essayé, mais vers toi je reviens effrayée !
J’étais si tranquille chez moi.
J’étais organisée, je m’étais installée.
Mon intérieur était confortable et je m’y trouvais bien.
Seule, j’étais d’accord avec moi-même, à l’abri du vent, de la pluie, des voyous, et je serais restée dans ma tour enfermée !
Mais à ma forteresse tu as trouvé une faille, tu m’as forcée à entrouvrir la porte.
Comme une rafale de pluie en pleine face le cri des Hommes m’a réveillée.
Comme un vent de bourrasque, une amitié m’a ébranlée.
Comme s’insinue un rayon de soleil, ta grâce m’a inquiétée. Et j’ai laissé ma porte entrouverte, imprudente que j’étais ! Dehors, les hommes me guettaient.
Ils sont entrés chez moi, les premiers.
Il y avait tout de même un peu de place en mon cœur, jusque-là c’était raisonnable.
Mais les suivants, les autres Hommes, je ne les avais pas vus, les premiers les cachaient,
Ils étaient plus nombreux, ils étaient plus misérables.
Ils m’ont envahie sans crier gare.
Il a fallu se resserrer, il a fallu faire de la place pour eux chez moi.
Maintenant ils sont venus de partout, par vagues successives… l’un poussant l’autre, bousculant l’autre.
Ils sont venus de partout, de la ville entière, de la nation, du monde… innombrables, inépuisables.
Et ils ne sont plus seuls, mais chargés de bagages : bagages d’injustice, bagages de rancœur, et de haine, bagages de souffrance et de péché. Et ils traînent le monde derrière eux, avec tout son matériel rouillé et tordu, ou trop neuf et mal adapté.
Seigneur, ils me font mal, ils sont encombrants, ils sont envahissants.
Ils ont faim, ils me dévorent.
Je ne puis rien faire : plus ils entrent, plus ils poussent la porte ! Et plus la porte s’ouvre.
Ah ! Seigneur, j’ai tout perdu, je ne suis plus à moi. Il n’y a plus de place pour moi, chez moi !
Ne crains rien dit Dieu, tu as tout gagné ! Car tandis que les hommes entraient chez toi, moi ton Père, moi ton Seigneur, je me suis glissé parmi eux.
Amen.
Dans l’Évangile que nous avons lu, Marthe accueille le Christ chez elle, son Seigneur. Marthe s’active pour tout préparer, tandis que Marie est aux pieds de Jésus et l’écoute.
Marthe finalement fait qui est attendu d’elle : elle se met en mouvement pour offrir à son invité un accueil digne de lui. Suivant l’exemple d’Abraham, c’est Marthe qui remplit le devoir de l’hospitalité : elle s’agite certes, mais c’est ce qu’elle considère être son devoir. Et ça l’agace de voir Marie qui ne l’aide pas à accueillir Jésus comme il se doit.
Comme il se doit ? Pourtant à entendre la réponse de Jésus, c’est bien Marie qui l’accueille comme il se doit. Ce que Jésus met ici en valeur ce n’est pas l’accueil extérieur et social, mais l’accueil intérieur et spirituel.
Marie montre une autre manière d’accueillir : elle montre une hospitalité intérieure, au travers de son écoute du Christ, et Jésus qualifiera cela de « meilleure part ».
Dans la rencontre avec Abraham à Mamré, la tradition et jusque dans l’iconographie, verra une rencontre avec Dieu en trois personnes. Abraham a accueilli Dieu.
Et en Jésus-Christ c’est aussi Dieu, Dieu incarné, Dieu fait homme, que Marie et Marthe accueillent chez elles.
Face à cette rencontre, Marie fera un pas de plus : elle l’accueille dans sa maison intérieure, dans son cœur, se mettant à l’écoute de sa Parole.
On peut faire preuve d’hospitalité pour l’autre qui passe dans ma vie.
On peut faire preuve d’hospitalité envers Dieu dont j’accueille la présence.
J’accueille la présence de Dieu dans ma lecture de la Bible, me mettant à l’écoute de sa Parole comme Marie. J’accueille sa présence durant le culte, par la Parole et les Sacrements.
Et il m’arrive de l’accueillir aussi dans ce visiteur de passage inconnu que je reçois, à qui j’ouvre ma maison et mon cœur. Comme le dit l’auteur de l’épître aux Hébreux : «Certains, sans le savoir ont accueilli des anges.»
Quand on accueille quelqu’un, habituellement, on lui prépare un repas pour le nourrir. Mais en faisant preuve d’hospitalité avec Dieu, c’est lui-même qui nous nourrit.
Avant d’accueillir quelqu’un on fait souvent le ménage. Mais en faisant preuve d’hospitalité avec Dieu, si on lui ouvre toutes les pièces de notre vie, il vient aussi faire lui-même le ménage en nous.
On veut accueillir Dieu, et on se rend compte que lui nous précède et que c’est lui-même qui nous accueille.
Abraham, tout comme Marthe et Marie, ressortent bénis de cette rencontre. Ils ont pris le risque de l’hospitalité, ils ont été dérangés et peut-être bousculés par Dieu qui est entré dans leur quotidien. Mais le risque est devenu opportunité, l’hospitalité est devenue bénédiction pour eux.
Prenons le risque de l’hospitalité : avec les autres, et avec Dieu.
Ouvrons tout grand nos cœurs à Dieu, et accueillons-le.
Et comme Marie, mettons-nous à son écoute. C’est cela l’accueil qu’il demande.
C’est la meilleure part, et une bénédiction pour nous.
Amen.