Je les entends arriver, ces gardes armés, j'entends le cliquetis métallique de leurs épées, l'entrechoc de leurs bâtons en bois, le bruit des pas lourds sur le sol caillouteux de ce jardin. Et à leur tête : Judas.
Celui-ci s'avance vers Jésus- l'interpelle et lui donne un baiser : mon coeur se serre - le traître - comment peut-on tromper un homme comme çà, après avoir vécu avec lui 3 ans de sa vie ?
Mais Jésus ne se laisse pas tromper. Tout de suite il voit ce qui l'attend : "pourquoi ce stratagème ?", "pourquoi ce déploiement de force ?" dit-il, lui qui n'avait pas l'intention de s'opposer. Et là, je décèle un profond désaccord entre les 2 hommes, Judas et Jésus. C'est là que je vois lovée l'amère déception qui a amené Judas à faire ce qu'il a fait.
Judas est déçu de Jésus. Il avait mis beaucoup d'espoir en lui. Il avait quitté beaucoup pour le suivre, comme les autres disciples : "un des douze" dit de lui sobrement l'évangéliste Marc. Que s'était-il passé ? Eh bien, rien ne s'était passé de ce qu'il avait attendu. Conformément à certaines prophéties de l'Ancien Testament et comme beaucoup de gens à son époque, Judas doit avoir attendu un Messie éclatant, triomphant, qui s'imposerait à tous, monterait sur le trône de David pour établir le règne de Dieu, justice et paix pour tous les hommes.
Il espérait un Messie qui ferait enfin régner l'ordre divin dans le désordre des hommes. Un Messie musclé - plus musclé que ce Jésus qui ne voulait même pas se défendre ! Un roi, un vrai !
Pauvre Judas : tu croyais tellement à ce qui te paraissait une évidence que tu n'en as pas vu Jésus tel qu'il était vraiment à côté de toi ! Tu n'as pas vu qu'il était bien venu apporter le Royaume de Dieu sur terre, mais que ce Royaume éclot ailleurs et autrement, paradoxalement dans le silence et la discrétion !
Que Jésus était bien un roi, mais un roi couronné d'épines. Que Jésus était bel et bien porteur de l'autorité de Dieu, mais que cette autorité se manifeste dans des actes d'amour plus que dans des actes de puissance.
Tu étais tellement pris dans tes idées de Dieu, tes attentes d'un Dieu enfin fort, que tu n'as pas vu que le Royaume était juste là, à portée de main et que tu aurais pu y prendre ta place.
Des Judas en chacun de nous ?
Un bout de Judas en moi, certainement. Dans une difficulté à admettre que Dieu se manifeste ailleurs et autrement que dans la logique de mes propres idées. Découvrir Dieu là où il surgit et non pas fixer les yeux sur l'endroit où nous aimerions le voir surgir.
Croire en la présence de Dieu dans les petits actes d'amour et patienter pour les bouleversements du monde.
D'ailleurs Judas, réalisant un peu tardivement la portée de ses actes, dans son implacable logique, atterré, se donnera la mort. Car il n'a pas su non plus voir en Jésus celui qui saurait être son sauveur, à lui aussi - même à lui.
Tragique destinée que celle de ces deux hommes Judas et Jésus, dont la rencontre les amène l'un et l'autre à la mort.
Si seulement Judas avait su voir ce petit bonhomme qui s'enfuit tout nu ! Peut-être était-ce une image du Royaume, fragile, vulnérable, mais qui échappera toujours à l'emprise de la force et de la violence, que rien ni personne ne pourra jamais anéantir ?
Prédication II BARABBAS
Un autre homme dont la route croise en ce jour celle de Jésus de Nazareth. Comme Judas, Barabbas n'est pas un mécréant. Lui aussi attendait la venue du Messie. Il était membre du parti des zélotes, de ce groupe qui voulait chasser par la force et la violence l'armée d'occupation de la Palestine, croyant que c'étaient là des prémices nécessaires à la venue du Royaume. Ils croyaient que pour que le Messie vienne le pays devait d'abord se débarrasser de l'occupant romain, et retrouver sa liberté politique.
Il avait oeuvré pour cela, Barabbas. Emprisonné à la suite de meurtres et d'attentats, il attendait son exécution.
On ne sait rien d'autre de lui. Sa trame de vie a dû se dérouler bien ailleurs que dans le champ de vision des évangiles.
Et son nom ne nous est connu que par ces effrayants cris d'une foule surchauffée qui hurle : Barabbas, libère-nous Barabbas ! D'ailleurs son nom est significatif : Barabbas veut dire : fils du père. Lui aussi est un fils du Père Un fils du Père destiné à mourir. Et au dernier moment, c'est un autre fils du Père, LE fils du Père qui meurt à sa place.
Ce qui me touche, c'est que Barabbas ait été là à ce moment-là pour nous montrer que Jésus ne meurt pas simplement "comme ça", mais que par sa mort il prend la place d'un autre.
Par la mort de Jésus quelqu'un a la vie sauve. D'une manière inattendue et inespérée.
Un bout de Barabbas en nous ?
Oui je le crois : nous ne sommes pas des meurtriers et certainement pas non plus des terroristes. Nous sommes simplement également des fils du Père ou des filles du Père, destinés tôt ou tard à mourir. La courte rencontre entre Jésus et Barabbas, cet émouvant échange de prisonniers qui fut négocié entre Pilate et la foule surchauffée a rendu à Barabbas la vie. Jésus est mort à la place du meurtrier, pour lui sauver la vie.
Comme il est mort pour la foule surexcitée qui hurle : crucifie-le ! Il est mort pour nous aussi, simples fils ou filles du Père.
Prédication III SIMON DE CYRENE
Judas en pleine nuit, Barabbas à la levée du jour et maintenant : Simon de Cyrène, un autre homme dont la route touche au chemin de croix de Jésus de Nazareth, à son chemin de mort.
Lui, Simon ne s'attendait à rien; il venait de la campagne pour aller à Jérusalem, lorsqu'un cortège d'hommes armés vient à sa rencontre. Au milieu d'eux un condamné à mort, qui n'en peut plus de porter sa croix.
Lui aussi n'apparaît qu'ici dans le récit des évangiles, un passant véritablement, comme apportant une touche de couleur nouvelle dans ce tableau sombre.
On ne sait pas grand-chose de lui sinon son nom hébreu, son origine d'Afrique du Nord et ses 2 fils, l'un prénommé à la grecque, Alexandre, l'autre, Rufus, avec un prénom latin. Un cosmopolite certainement, un déraciné peut-être.
Et voilà que Simon de Cyrène se voit réquisitionné pour porter la croix. Et voilà que lui, qui n'avait rien cherché ni demandé, se trouve les mains chargées pour accompagner Jésus là où tous les disciples l'ont abandonné.
Et voilà qu'il est impliqué dans une histoire de quelqu'un qu'il ne connaissait pas.
Simon de Cyrène : j'aimerais te ressembler. J'aimerais me laisser impliquer dans les histoires des hommes. J'aimerais savoir être proche, faire un bout de route avec d'autres et parfois je veux même porter des croix.
Et qui sait si ma vie, comme la tienne, ne sera pas frôlée par celle de Dieu ?
Dans ta courte rencontre avec Jésus, tu as dû discerner le Seigneur dans cet homme complètement meurtri. Ta vie de passant, de déraciné y a-t-elle trouvé une assise ? Peut-être ! En tout cas, tes fils Rufus et Alexandre, dûment nommés, ne semblent pas être des inconnus aux lecteurs de l'évangile ! C'est comme si, là, au pied de Golgatha, un avenir avait commencé pour toi.
C'est comme si au pied de Golgotha un avenir commençait pour nous !
Mystérieusement.
Autrement que l'avait pensé, espéré, et voulu amener Judas. Autrement que Barabbas l'avait imaginé.
Et bien différemment de ce que Simon de Cyrène prévoyait en se chargeant de cette croix.
Le jour de sa mort, Jésus de Nazareth, que l'on appelle Christ, a rencontré 3 hommes et leur a offert la vie, s'ils le voulaient bien. Le jour de sa mort, Jésus Christ nous offre sa vie : si nous le voulons bien.
Amen.
Judas
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