Force de la résurrection

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Chers amis, si je vous demandais de me raconter l'histoire de Pâques, je parie que votre récit serait un peu différent de celui de Marc. J'imagine que vous y mettriez de la joie, de l'allégresse, de l'enthousiasme, des chants et des acclamations...

Peut-être vous êtes-vous réjouis, ces derniers temps, en pensant à la fête d'aujourd'hui. Attendant plus ou moins clairement un miracle, une fin de tunnel, la solution d'une difficulté... On attend souvent beaucoup d'une fête. Et lorsqu'elle est passée, sans avoir révolutionné nos vies comme par magie, le désappointement est là, la déception. D'autant plus lourds qu'ils sont inavouables : on a un peu honte de s'être laissé prendre au rêve... J'en connais plusieurs qui ont un très mauvais souvenir de leur première communion, ou de leur confirmation : parce que leur vie n'en a pas été bouleversée.

Y auriez-vous mis de l'incrédulité ? Peut-être bien que non... Nous n'avons pas trop l'habitude de soupçonner d'incrédulité les apôtres de Jésus. Mais vous l'avez entendu : l'évangéliste Marc n'a pas ce genre de scrupules.

Heureusement !
Heureusement, car j'imagine - pardonnez-moi si je vous sous-estime ! - qu'il vous arrive, comme aux apôtres, de douter de la résurrection, ou plus simplement d'éviter d'y regarder de trop près. Nous nous y sommes, comment dirai-je ? un peu habitués, au cours des siècles. Peut-être même l'avons-nous banalisée. Pourtant, si nous le prenons au sérieux, c'est un événement bouleversant - et difficile à admettre. C'est un événement difficile à croire, surtout lorsque vous vous trouvez dans une situation pénible, douloureuse, voire révoltante : deuil, accident, maladie, rupture. Comment imaginer la résurrection lorsqu'on est au coeur de l'épreuve ?

Or, c'est bien cela que vivent les disciples : ils se trouvent au coeur de l'épreuve. Tout s'est passé très vite : voici huit jours, ils étaient au milieu de la foule et de l'allégresse, criant leur joie, leur enthousiasme, leur foi. Acclamant leur roi.
Voici trois jours, après un simulacre de procès, on tuait leur maître, celui-là même qui avait été acclamé.
Ils sont sous le choc - et quel choc !

Ils sont au coeur de l'épreuve, du deuil, des larmes, de la déception. Leur monde s'est écroulé. Ils sont en colère peut-être, révoltés. Qu'on ne vienne pas leur parler de Pâques, des merveilles de Dieu, du passage de la mer, du peuple libéré : ils se sentent lâchés par Dieu et on les comprend. Ils sont pareils au peuple d'Israël pourchassé par l'armée égyptienne, acculé à la mer : dans la détresse et dans le désespoir, c'est la mort qu'ils affrontent.

La joie, l'allégresse, l'enthousiasme de Pâques, à d'autres ! À eux les larmes et l'amertume.
C'est ainsi que la résurrection ne met pas un terme au combat de Jésus. Le monde ancien n'a pas disparu, n'a pas fait place nette, pour laisser naître un monde totalement nouveau. La mort est vaincue sans doute pour la première fois, mais elle n'a pas dit son dernier mot, pas plus que la souffrance, l'échec, le mal que l'on subit ni celui que l'on commet. Pas plus que l'incrédulité : trois fois Jésus se montre à ses amis, trois fois il ne rencontre que le doute...

Ah, si Dieu nous avait demandé notre avis, il s'y serait pris autrement ! Finis alors les doutes et les épreuves, la maladie et les séparations, vive la joie ! Un nouveau déluge, tout est balayé, l'humain recréé dans une totale innocence...

Mais Dieu se fait de la résurrection une idée un peu différente. La vie ne balaye pas la mort, elle surgit au coeur de la mort. La victoire ne supprime pas l'échec, elle naît au creux de l'échec. La force n'efface pas la faiblesse, elle jaillit de la faiblesse même.

Jésus ressuscité annonce à ses amis qu'ils ne craindront désormais plus rien, ni des serpents, ni des démons. Ne croyons pas que toute difficulté leur sera, nous sera épargnée ! Certains le pensent; certains prétendent que, si vous êtes assez croyants, Dieu vous protégera de tout malheur, de toute maladie, de toute souffrance. Quelle erreur ! La vérité, c'est que Dieu vous donnera la force de traverser le malheur, la maladie, la souffrance. La vérité, c'est que son amitié, sa tendresse, nous entourent dans tout ce que nous endurons de difficile.

J'en ai fait l'expérience, et vous aussi je pense : des signes accompagnent les amis de Dieu. Le premier de ces signes, c'est sa présence fidèle et attentive, tout au long de nos jours. Il y en a d'autres, tant d'autres; c'est, au terme d'un conflit, la réconciliation, le pardon offert et reçu; c'est l'oreille attentive qui m'écoute et m'arrache à ma solitude; c'est l'amie qui me fait assez confiance pour pleurer sur mon épaule; c'est la solidarité et le coude-à-coude lorsque la confiance semblait tarie à jamais. C'est parfois le miracle d'une guérison inattendue et inexpliquée; c'est plus souvent encore une force puisée dans la maladie même, une joie dont nous n'aurions rien su si notre vie était un jardin planté de roses. C'est l'amour qui s'approfondit et se renforce justement parce qu'il est menacé.

Chaque fois, chaque fois que vous ne baissez pas les bras devant l'injustice, c'est que la force de la résurrection est à l'oeuvre. Discrète et silencieuse, mais d'une puissance sans égale. Savez-vous, mes amis, pourquoi on cache les oeufs à Pâques ? Les oeufs sont le symbole de la vie. Et la vie se cache, la vie n'éclate pas aux regards ! La résurrection n'est pas un film à grand spectacle, elle est menue, et passe incognito. Elle se cache sous un paquet de café vendu à un prix juste, dans une carte postale envoyée à un prisonnier d'opinion, dans le chant d'un groupe d'Africains lors du culte d'une paroisse vaudoise.

La vie de Dieu est à l'oeuvre. Vous ne l'entendez pas ? Prêtez l'oreille : elle n'est que murmure. Mais ce murmure a la force d'un fleuve, irrésistible. Bien plus puissante qu'un cataclysme ou qu'un coup de théâtre, c'est notre quotidien qu'elle transforme, c'est nos échecs qu'elle transfigure. Elle ne fait pas de nous des anges mais des humains, fragiles, faillibles, forts de la 0 seule force de Dieu.

Vivants, palpitants de vie.

Ressuscités.

Amen.

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