Nous sommes le peuple d'une promesse : un peuple en espérance

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Pour Abraham, ça tombe très mal.
Pour vous aussi, ça pourrait tomber très mal.
Si je vous disais que "Dieu vous aime", alors que vous vivez dans votre vie un drame, vous êtes seul, vous vous sentez abandonné, oublié; vous vous battez avec des gens de mauvaise foi. Ou bien vous êtes au chômage, vous venez de divorcer; vous êtes mal, malade... que sais-je encore. Et je viens vous dire - du fond du coeur - que Dieu vous aime! Ça ne passe pas.
Pour Abraham non plus, ça ne passe pas.
"N'aie pas peur! je te protège, et je te donnerai une grande récompense." Ca beau être une vision, une parole de son Dieu, ça ne passe pas.
C'est très mal venu. Parce que les faits prouvent exactement le contraire.
Pour Abraham, et pour tant d'hommes et de femmes aujourd'hui, ne pas avoir d'enfant, ne pas pouvoir mettre au monde ses propres fils et filles; pire encore à l'époque: ne pas avoir la moindre descendance, c'est le malheur, l'indignité, le rejet, la malédiction. Et voici l'humiliation pour Abraham et les siens, devant les autres, les gens normaux: n'avoir comme héritier, personne de sa famille. Le premier domestique, l'esclave héritera.

Alors je veux bien que nous fassions de belles phrases sur Abraham, le père des croyants, sur le Dieu d'Abraham, le Créateur du ciel et de la terre. Le Dieu de la promesse, le Dieu de l'espérance. Dans les prédications, ça passe.
Mais concrètement, si nous prenons simplement au mot la situation de ce patriarche, ce vieillard, près ou plus de 80 ans, lui parler de sa propre descendance, c'est se moquer du monde.
Abraham mourra seul, avec sa femme; sans famille. Sans tribu. Sans peuple. Voilà le destin exact, à vue humaine, de ce patriarche.
Et comme je comprends le rire de la vieille Sarah quand elle apprendra, quelques années plus tard, qu'elle va être enceinte. Comme je comprends ici la résignation d'Abraham à l'écoute de cette annonce absurde. Comme je comprends son reproche amer. Soyons raisonnables: il n'est plus l'homme de la promesse.

Alors Dieu, qui aime cet homme, et qui sait ce qu'il fait - alors que nous, nous ne pouvons humainement pas savoir - alors Dieu prend Abraham par la main.
"Sors de ta tente. Viens dehors. Il fait nuit. Nuit noire. Donc une nuit étoilée. Regarde le ciel.
Et maintenant, Abraham, compte les étoiles. Mmmh! (rire de Dieu): si tu peux les compter!"

Vous avez essayé une nuit de les compter, ces étoiles dans le ciel? Une nuit étoilée, en rase campagne, loin des lumières de nos rues? Ne me dites pas qu'un soir de rentrée particulièrement tardive, vous n'avez pas essayé...
Impossible. Il faut bien être un enfant pour commencer à compter... et s'apercevoir qu'on n'arrivera jamais au bout. Même avec les meilleurs télescopes du monde.
"Eh bien, Abraham, tes descendants seront aussi innombrables, aussi impossible à compter, à chiffrer".

Et l'auteur du récit d'ajouter pour nous - écoutez bien: "Abraham eut confiance dans la parole du Seigneur". En ajoutant notre grain de sel 4000 ans plus tard, on peut dire: Abraham eut raison. Père des croyants, aucun mathématicien ne peut compter aujourd'hui même le nombre de ses descendants.

Chers amis, où que nous soyons: ici même à L'Isle, dans cette région, sur les ondes, partout où des hommes et des femmes se réclament de Jésus-Christ, nous sommes les descendants d'Abraham. Nous sommes le peuple que Dieu a promis à ce patriarche. Nous lui devons, non pas le salut, mais la naissance de notre foi. Le tout premier exemple de l'être humain qui dit "oui!" à la promesse de Dieu. Et comment? oui à Dieu en ne pouvant y croire, croire à sa promesse s'il ouvre les yeux sur lui-même seulement, sur ce qu'il voit, sur sa stérilité, sa vieillesse sans héritier, son rêve de descendance avorté.
Faire confiance, c'est tout. Le père des croyants, c'est d'abord un homme qui n'a raisonnablement, à vue humaine, que le doute à faire valoir, que la résignation, ou le cri d'injustice.

J'avoue que je n'apprécie pas beaucoup l'attitude de ceux et celles qui, parmi nous, ont pris l'habitude religieuse de discréditer le doute de nos contemporains. Abraham a toutes les raisons, et de bonnes raisons de douter de la parole de Dieu.
Ce que Dieu lui promet dépasse l'entendement. Et Dieu seul peut se permettre d'annoncer l'inimaginable, l'impossible.
Et par conséquent, l'homme de foi, la femme de foi n'ont pas le choix: ils doivent accepter de voir les choses autrement. Non plus à vue humaine; mais à la vue de Dieu.
Si finalement, dans ce passage capital du livre de la Genèse - ce n'est pas pour rien que l'apôtre Paul va l'utiliser - si finalement Abraham est déclaré juste devant Dieu, c'est parce que cet homme, tout homme qu'il est comme vous et moi, a mille et une bonnes raisons de douter. Mais il accepte de voir les choses autrement qu'il les voit. De voir les choses avec les yeux de la foi.

Au moment où ce texte est rédigé sous sa forme actuelle - je rappelle que la Bible que nous avons dans les mains est le résultat d'une longue tradition, à commencer par une tradition orale, non écrite - au moment de sa rédaction, le peuple de l'espérance, descendant d'Abraham, connaît la pire situation pour une population: déporté, exilé, dispersé. Menacé de disparition dans son existence et dans sa foi unique. En tous cas, Israël n'a plus d'identité nationale, plus le repère de sa foi qui est le temple. L'ennemi a gagné. Dieu aurait-il renoncé, 1500 ans plus tard, à sa promesse? Et Abraham aurait-il cru en vain?
On se retrouve à la case départ; à la case du doute.

Eh bien non, affirme l'auteur biblique. Car Dieu, qui aime, qui aime toujours son peuple rebelle et qui sait ce qu'il fait - alors que nous, nous ne pouvons humainement pas savoir et nous n'avons souvent qu'à désespérer - alors Dieu prend ce peuple d'exilés par la main.
"Sors de ton trou où tu t'es mis. Viens dehors. Il fait nuit. Nuit noire, étoilée. Regarde le ciel. Et maintenant, compte les étoiles. Mmmh! Si tu peux les compter!"

Et le reste d'Israël crut à la promesse tenue. Envers et contre tout. Déraciné, sans sécurité, humilié, il dut compter uniquement sur la fidélité du Dieu d'Abraham. Et 500 ans plus tard, naîtra en son sein l'enfant de la promesse, le Messie annoncé par ses prophètes, pour le salut de l'humanité entière.

* * * *
Disciples du Christ, nous faisons partie intégrante du peuple de la promesse. Mais sommes-nous vraiment un peuple? Vous avez le sentiment profond de faire partie d'un peuple innombrable? comme les étoiles dans le ciel?
Chrétiens, héritiers de la promesse, j'ai le sentiment que nous sommes aujourd'hui comme Abraham: des gens stériles, sans héritiers, d'une chrétienté trop vieille pour espérer une descendance.
Où comme Israël jadis, nous sommes des exilés revendiquant des territoires qui ne nous appartiennent plus.
Ecoutez: est-ce que nous portons aujourd'hui le souci d'une descendance dans la foi? En assurant le catéchisme de nos enfants? en leur apprenant à prier? Oui, tant soit peu.
Mais notre monde et notre temps ont réussi le tour de force de nous persuader que la foi n'est plus qu'une question individuelle, de vie privée, qui ne regarde personne. Je n'ai pas besoin de l'Église pour croire... Je n'ai pas besoin de faire partie d'un peuple pour croire en Dieu.
Chacun et chacune de nous a finalement sa religion, sa croyance. Les professionnels de la religion peuvent dire tout ce qu'ils veulent, la foi en Dieu est une affaire essentiellement personnelle. L'Église est tout au plus aujourd'hui un club privé auquel certains d'entre nous restent plus ou moins attachés.
Ah! je ne me plains pas. Je ne revendique rien, rassurez-vous. Je ne suis pas nostalgique. J'essaie simplement de ne pas rêver.

Mais au moment où Dieu me dit - comme à vous tous: "Sors de chez toi, regarde le ciel et compte les étoiles: tu ne peux pas les compter! Eh bien, ma promesse est là", j'entends chacun et chacune répondre: je suis une étoile et ça me suffit. Chacun la sienne. Chacun et chacune pour soi.
Et il n'y a plus de peuple alors? plus de rendez-vous commun, ou presque? Plus de marche commune, plus de partage de foi, de recherche commune de la vérité? Et je me dis parfois que le culte et l'écoute de la prédication du dimanche permettent à chacun de renoncer au partage, à la communion de foi.

Cet exil est tout aussi grave lorsque le peuple de la promesse, héritier d'Abraham, s'embourbe dans les revendications nationales. La religion - orthodoxe contre catholique, catholique contre protestant, évangélique contre libéraux... la religion est devenue de l'huile sur le feu des nations, pendant que les marchands de canons se frottent les mains. La foi: une arme de haine, un instrument de jugement où le peuple des croyants se déchire. Capable de prêcher la paix, mais incapable de la faire.

Rien n'aurait donc changé sous le ciel étoilé? Aujourd'hui, nous avons toutes les raisons de désespérer au moment où deux chrétiens collègues de travail ou voisins de lits n'ont même plus le courage de se dirent croyants parce que la foi est devenue une affaire strictement privée.
Aujourd'hui, nous avons toutes les raisons de désespérer de ce peuple universel qui manque à sa promesse en livrant ses confessions de foi aux puissants et aux marchands.

* * * *
Alors Dieu, qui nous aime, et qui sait ce qu'il fait, alors Dieu nous prend par la main.
"Sortez de vos solitudes, de vos chacun pour soi. Jetez vos drapeaux. Il fait nuit.
Et maintenant, regardez le ciel. Et comptez les étoiles. Mmmh! Si vous pouvez les compter!"

Les étoiles sont toujours dans le ciel, innombrables...
Dieu nous invite à sortir notre foi de nos vies privées, à renverser les murs que nous dressons pour un oui ou pour un non jusque dans nos églises. Sa promesse pour nous et nos descendants est toujours sans limite.

"Abraham eut confiance dans le Seigneur.
C'est pourquoi le Seigneur le considéra comme juste".