Imaginez un instant, un fils d'éleveur de bétail arrivant de France voisine s'approcher à ce moment de la table de communion en hurlant "Cessez de brailler vos cantiques, je ne puis plus sentir le jeu de vos instruments de musique ! C'est le Seigneur Dieu qui le dit" La surprise serait de taille et l'effet vraisemblablement catastrophique !
Vous les chanteurs du Brassus, vous qui mettez tout votre coeur à l'exécution soignée de vos chants, vous vous seriez probablement profondément irrités !
Imaginez encore le Christ lui-même venir parmi nous ce matin et nous reprocher d'avoir fait de ce temple, une caverne de voleurs ! Il est probable que comme de leur temps, ni le prophète, ni le Christ ne soient entendus ! Scandalisés, nous les prierions plus ou moins gentiment de sortir et nous leur témoignerions de l'indifférence, tout au plus du mépris ! Nous aurions tort, car leurs interventions intempestives valent certainement mieux que rejet et mépris !
Si les prophètes ont parlé au nom de Dieu, ils se sont aussi faits les porte-parole des pauvres et des déshérités de leur temps; des sans-voix comme on dit ! De qui le prophète aujourd'hui se ferait-il le défenseur ? Qui se trouve exclu de nos festivités qu'elles soient musicales ou cultuelles ?
La chance inouïe d'assister à deux jours de musique non-stop, ne sera certainement pas appréciée de la même manière par le mélomane ou par le chômeur qui tente de noyer son souci dans l'alcool ou la drogue !
Le plaisir de la musique en direct, dans les rues et les salles ne sera pas apprécié de la même manière par les gens se pressant d'un concert à l'autre que par vous, auditeurs fidèles d'Espace 2, vous qui peut-être n'avez pas la possibilité de vous déplacer ?
Le plaisir légitime que nous nous offrons en savourant la musique à profusion, la joie de rendre un culte au Seigneur, nos chants et nos prières n'étoufferont pas tout à fait le cri des peuples déchirés par la guerre ou affamés par la folie des hommes !
J'ai dit le plaisir légitime et j'y tiens; c'est ce qui me permet d'avancer dans la compréhension de nos deux textes bibliques ! Qu'est-ce qui est visé par les interventions musclées tant d'Amos que du Christ ? Était-ce le culte en soi ? Amos serait-il un destructeur du culte de son temps ? Était-ce le lieu ? Jésus en voulait-il au temple de Jérusalem ? Même si les interprètes modernes de la Bible ne sont pas unanimes à ce sujet, j'ose affirmer que dans les interventions de Jésus et d'Amos, ce ne sont d'abord ni le culte, ni la musique, ni les temples qui sont concernés, n'en déplaise aux purificateurs ou novateurs de tous genres !
De ces purificateurs ou novateurs, parlons-en un instant ! Rappelez-vous le scandale que provoquaient des applaudissements dans un temple; même s'ils ne sont pas toujours à propos, ils sont tout de même reconnus comme expression spontanée de la joie et de la reconnaissance !
Faisons-nous vraiment de nos temples des cavernes de bandits lorsque soucieux d'un culte et d'une ambiance plus proche de la sensibilité de la majorité de nos paroissiens nous leur concédons une musique et des mélodies moins classiques ou orthodoxes ?
Notre époque voit fleurir les purificateurs ! On découvre, et c'est certainement tant mieux des interprètes qui sont soucieux des découvertes en musicologie et qui essaient de transmettre fidèlement la musique d'un auteur : mais n'est-ce pas parfois au détriment de la créativité de l'interprète ?
Certaines paroisses et églises ont fondamentalement adapté la musique et les chants de leurs cultes à la mode de notre temps ! Ils ont créé presque naturellement un contre-courant de puristes qui défendent avec bec et ongles les formes traditionnelles, et le débat en est devenu absolument stérile !
Le débat sur la pureté, sur la profanation même n'est d'ailleurs pas nouveau ! Les juifs aussi attendaient un prophète qui vienne purifier le temple, car leur conscience religieuse intime avait été bafouée; le besoin de pureté avait été mis en brèche.
Deux cents ans avant l'épisode des marchands du temple, Antiochus l'avait profané en sacrifiant aux idoles ! À en croire le livre des Maccabées, on eut la bonne idée de démolir l'autel des sacrifices, de peur qu'il ne devienne pour les israélites objet de honte, puisque les païens l'avaient souillé.
Jésus en arrivant au temple ne répond pas aux attentes des fonctionnaires du religieux, et ce serait bien mal comprendre nos textes bibliques si nous les réduisions à un débat sur la légitimité ou la pureté du culte ou de la musique !
L'enjeu est en fait beaucoup plus extraordinaire ! Il en va de la crédibilité de nos cérémonies religieuses. Il en va de leur sens profond ou de la perte de ce sens. Il est passé dans les moeurs que les concerts ont une valeur culturelle, que l'on peut chanter une messe de Schubert sans être croyant, un peu comme si l'on faisait du théâtre, dans le bon sens du terme. La qualité d'exécution d'une oeuvre religieuse ne sera pas non plus proportionnelle à la foi des chanteurs ou du chef de choeur !
Je regrette cette perte de sens, mais lorsque j'écoute un concert je puis le vivre profondément sans me soucier des convictions des interprètes. Il en va par contre tout autrement lorsqu'il s'agit du culte ! Vous avez certes entendu cette critique, un peu facile souvent, mais combien interpelante de certains de nos concitoyens : il va tous les dimanches à l'Église, mais la semaine, dans son travail, il est absolument impossible !
Du temps du prophète Amos, le droit des plus pauvres était bafoué ! Le fossé se creusait entre les possédants et les démunis. La misère du peuple augmentait. Le commerce était truqué, les balances faussées; et c'est vraisemblablement plein de dégoût, rugissant comme un lion, qu'Amos s'est attaqué à l'inconséquence des gens religieux de son époque ! Le Dieu d'Israël avait exigé qu'il n'y ait pas de pauvres et d'indigènes parmi le peuple ! Cette exigence restait primordiale pour le prophète !
Le droit est inséparable du culte, l'amour pour Dieu est inséparable de l'amour pour le prochain ! Sans cela, le culte a perdu son sens ! C'est cette vérité que les prophètes d'Israël ont inlassablement rappelée aux autorités tant religieuses que politiques ! Mais à voir le peu de succès des prophètes; à voir cette constante humaine qui veut que lorsqu'il y a deux personnes ensemble, tôt ou tard, immanquablement l'un exploitera l'autre, il y a lieu d'être découragé; et la difficulté de la tâche risque bien et cela se vérifie souvent, de nous conduire à l'inaction; et peu à peu nous oublions le droit, nous nous accommodons de l'injustice parce que tout simplement nous pensons qu'on n'y peut rien !
L'Évangile vient apporter une lueur extraordinaire d'espoir dans nos déprimes collectives ! L'exigence du droit et la justice jadis rappelée par les prophètes, est devenu une personne : Jésus ! Et si Jésus intervient dans le temple de manière violente à en croire l'évangile, ce n'est plus seulement pour rappeler une loi, c'est pour la mettre en application !
Les aveugles et les boiteux s'avancèrent vers lui dans le temple et il les guérit ! Et lorsque l'évangile utilise la formule les aveugles et les boiteux, c'est en fait tous les pauvres et les déshérités, ceux qui sont condamnés à l'indigence que Jésus accueille pour leur rendre un peu de dignité humaine !
Pour Matthieu, l'enseignement de Jésus est accompagné de son action de guérison et de libération et c'est ainsi qu'il redonne au culte du temple son sens profond ! Les pharisiens, les habitués du culte, même indignés, sont placés par l'évangéliste Matthieu en demeure d'accepter ou de rejeter Jésus comme Seigneur et Sauveur du culte, Jésus comme Seigneur et Sauveur dans le Temple, Jésus comme Seigneur et Sauveur de leur vie ! C'est lui seul qui accomplira, dans le sens de mener à bien, la promesse d'un monde où régneront la paix et la justice ! Il nous en a donné les prémices lorsqu'il cheminait en Palestine, il est auprès de nous aujourd'hui. L'exigence d'Amos, "que le droit jaillisse comme les eaux, et la justice comme un torrent intarissable" peut devenir mon programme de vie, car avec le Christ, point n'est besoin de réussir, il suffit d'essayer.
Mon action, comme l'action de toute femme ou tout homme de bonne volonté s'inscrit dans un vaste élan vers l'établissement du droit et de la justice, programme qui a déjà commencé, et dont je suis, dont nous sommes bien modestement, les artisans.
Notre fidélité, ma fidélité aura des répercussions dans le quotidien, dans les petites choses, et je recevrai toujours à nouveau la promesse de la part du Christ que mon action a un sens, qu'il vaut la peine de marcher sur ce chemin qui conduit au respect du droit et à l'établissement d'un règne de paix et de justice; je m'engage sur ce chemin, parce que je sais que le Christ m'y précède !
À la suite des tout petits et des nourrissons par la bouche desquels Dieu s'est préparé une louange, avec la modestie, mais aussi la confiance inébranlable des enfants, je le louerai et le chanterai à mon tour ! Je me placerai devant Lui, je lui dirai ma joie de le suivre, mon inquiétude et mon découragement devant la grandeur de la tâche, ma colère devant l'inconséquence des hommes, ma peur devant les menaces omniprésentes, ma confiance qu'envers et contre tout son règne de justice deviendra réalité !
Je chanterai des oeuvres religieuses en son honneur, car elles me rappelleront son plan de salut pour l'humanité. Je m'engagerai à vivre ma vie devant lui, au plus près de ma conscience, artisan de paix dans son sillage. Ma contribution, même modeste est importante, car comme le disait Jésus lui-même : "Le royaume de Dieu ressemble à une graine de moutarde; quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences du monde; mais quand on l'a semée, elle monte et devient plus grande que toutes les plantes potagères et elle pousse de grandes branches en sorte que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre !
Amen.