"Jésus, tu es le centre de notre vie"

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"Nous cherchons, le regard tendu vers le ciel, un Seigneur tout-puissant...
Alors, nous avons les yeux tournés vers les étoiles du ciel et l'éclat des stars de la terre. Nous lorgnons les puissants de ce monde et nous nous délectons de leurs paroles.
S'il en est ainsi de nos vœux les plus secrets, la fête de Noël nous réserve des surprises, car il s'y produit un étranger bouleversement qui nous atteint jusqu'au plus intime de notre foi.
Ce Dieu que nous regardons a la taille du nourrisson, il n'a pour première demeure qu'une obscure étable,
Ce Dieu-là honore les petits en annonçant la Bonne Nouvelle d'abord aux humbles de la terre.
C'est ainsi que ce nouveau-né transforme notre regard sur Dieu

Selon "Chemins d'Avent 1990/60-61

Pour commencer, je veux, en quelques mots vous présenter le peintre Pieter Breughel.
C'est un homme des Flandres. On sait qu'il est mort à Bruxelles en 1569, âgé de 40 ans environ. Toute sa vie se situe donc au 16e siècle. Il en a connu les luttes confessionnelles. Il a connu aussi l'occupation de son pays par les Espagnols et s'est rangé du côté des Gueux, ce parti clandestin des opposants à l'envahisseur. Sa peinture est proche de la vie rude des petites gens de son peuple, qu'il allait observer à travers villes et campagnes.

Du peintre Breughel, j'ai retenu une toile que je suis allé voir à Winterthur, dans une collection que je vous recommande, la collection Oskar Reinhardt.
C'est une toile discrète par ses dimensions, mais insolite dès qu'on s'en approche. Je vais maintenant la regarder avec vous : nous sommes sur la place d'un village transi par l'hiver. Le sol et les toits sont blancs, il neige à gros flocons; à voir le ruisseau pris dans la glace, il doit geler à pierre fendre et à voir certains personnages emmitouflés s'arc-bouter dans leur marche, il doit souffler un vent impitoyable. Au fond de la place, quelques fermes au large toit, à gauche une vague bâtisse coupée par le bord du tableau, à droite, signes probables d'une guerre, un arc et une église en ruines, et à l'avant-plan le ruisseau gelé sur lequel un gamin, assis sur son derrière, se pousse avec des bâtons. Et beaucoup de monde. Quantité de gens affairés qui occupent tout le centre du tableau. Peu à peu on arrive à les démêler : il y a des soldats et des villageois.
Des villageois qui accomplissent les humbles gestes nécessaires à la survie en hiver : briser la glace du ruisseau pour y puiser de l'eau, couper les branches d'un saule abattu, transporter du bois, entretenir un feu. Et les troupes qui viennent d'arriver avec des montures : les soldats s'activent dans toutes les directions à des opérations qui, sous la neige qui ne cesse de tomber, se confondent avec celles des habitants du lieu. Il y a tellement à faire et les conditions sont tellement précaires, et le temps tellement détestable... Au fait : vous avais-je dit que ce tableau était une Nativité ? Non ? Donc je ne vous ai pas encore parlé de Marie, de Joseph et de l'enfant Jésus. Mais où peuvent-ils bien être, ceux-là ? En cherchant, on finit par les trouver. Il faut quitter le centre de la place et du tableau, se diriger par le regard vers la gauche, passer devant le feu, traverser sur un petit pont le ruisseau gelé et arriver à ce que je nommais la vague bâtisse, tout à gauche. Et là, le plus à gauche possible, presque hors du tableau, dans le flou d'un appentis, on peut reconnaître une Marie assise, et il faut mettre le nez sur la toile pour arriver à discerner un nouveau-né sur ses genoux et Joseph dans le fond.

Avez-vous remarqué que dans le récit de Luc, la Nativité est tout aussi décentrée que chez Pieter Breughel ? Le texte commence en plein centre, c'est-à-dire à Rome, la capitale de l'Empire, chez César-Auguste, son empereur et demi-dieu. Et par un mouvement de caméra prodigieux, la suite du texte nous projette aux limites extrêmes du monde civilisé d'alors, en bordure des grands déserts, dans une lointaine et incertaine province, et même dans l'arrière-pays de cette lointaine province de Syrie, dans un obscur village dont personne à Rome ne connaît le nom, ni personne la langue, dans le bas-peuple de Palestine, à quelques années-lumière de la nomenklatura romaine.
Le texte était parti d'une proclamation impériale solennelle de recensement universel, et se termine dans la banalité d'un accouchement quelque part aux marches les plus diffuses de l'empire. Parce que la naissance de Jésus a eu lieu en marge, très en marge, comment pourrions-nous ne pas avoir un profond respect pour tous ceux qui vivent en marge, pour tous ceux qui, à un titre ou à un autre, font l'expérience de la marginalité ? Car il se pourrait que Jésus soit plus près d'eux que de tous les autres.

Prière :
Seigneur, en cette nuit où chacun est encore plus vulnérable que d'ordinaire, nous te présentons les gens qui sont toujours à côté, les gens qui ne comptent jamais, les gens qu'on oublie toujours, les gens qu'on ne remarque jamais.
Mais nous te présentons aussi les personnes qui se sentent de trop, les personnes qui se croient ignorées, les personnes qui s'estiment mal vues.
Et nous pensons à toutes celles qui font peu cas d'elles-mêmes, qui se sous-estiment, qui sont méchantes avec elles-mêmes, qui se poussent elles-mêmes hors du tableau.
Seigneur, à toutes ces personnes, et à nous tous, rappelle-nous que si tu es le centre de notre vie tu dois être présent, dans toutes les marges où nous mettons les autres, dans tous les bas-côtés où nous nous mettons nous-mêmes.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Bernard Heiniger
Musique