Cette journée reste gravée en moi en lettres de feu...
Ce jour-là, ce fut un véritable coup de foudre; un coup de foudre entre Dieu et nous. J'étais assise avec d'autres, terrée dans cette maison, enfermée dans la peur et les regrets, éteinte et sombre...
Quand soudain, il y a eu comme un éclair de feu venu d'en haut, des langues de feu, qui semblèrent nous foudroyer. Mais ce fut une foudre douce et puissante qui m'a traversée et comblée. Une lave incandescente qui a incendié mon corps et mon esprit. Une folie amoureuse m'a saisie, moi et les autres disciples. Nous avions envie de rire, de chanter, de danser. Nous avons ouvert toutes grandes les portes et les fenêtres de la maison et nous sommes sortis dans les rues de Jérusalem, en proclamant que Dieu était en train de visiter son peuple, là, maintenant, tout de suite, non pas dans le Temple mais en chacun et chacune d'entre nous. Nous avions un même Esprit, une même foi, une même vision... un même feu nous parcourait, il dansait et courait follement entre nous.
Ce furent des noces flamboyantes
Et je me disais sans cesse en jubilant : Jésus, notre Maître a tenu parole. Il ne nous a pas laissés seuls. Il ne nous a pas abandonnés à notre destin, à notre tristesse, à notre solitude. Dieu son Père, qui est notre Père est venu, par son Esprit, consommer son alliance avec nous. Alliance consommée qui nous a consumés d'amour.
C'est une alliance intime et indestructible, plus forte que la mort, plus forte que toutes les manifestations de puissance, plus forte que tous nos désirs et tous nos rêves. Ni cendre, ni incendie, c'est un feu d'amour qui est né en moi, en nous et que rien, rien ni personne ne pourra éteindre
Rome, printemps 90
Dans un cabinet sombre, à sa table de travail, Luc a collecté une masse de renseignements mais a bien de la peine à en faire un récit cohérent :
Comment transmettra-t-il le vrai ?
Ah, je crois que je n'en finirais jamais avec ce récit de la Pentecôte.
Tout le reste de mon livre est prêt, Théophile l'attend, mais là je sèche.
Que c'est difficile de raconter une telle expérience quand on ne l'a pas vécue.
J'ai d'abord cru qu'en rassemblant les témoignages de celles et ceux qui y ont été ce serait facile, mais non.
D'abord retrouver les témoins s'est avéré plus difficile que je ne le pensais les uns sont morts, les autres semblent avoir disparus de la circulation, les autres enfin sont dispersés aux extrémités de l'Empire
Certains ne parlent même pas le grec, ce qui est le comble pour des gens qui ont su prêcher le Christ à une foule d'étrangers amassés dans les rues de Jérusalem. !
Bon, reprenons : apparemment ils étaient rassemblés dans une maison à Jérusalem, il y avait là des hommes et des femmes qui avaient suivis Jésus.
Je ne vais parler que des hommes. Cela fera plus sérieux.
Puis il y eut comme un grand bruit comme un grand vent m'a dit Marie, mais sans savoir d'où cela venait.
Qu'est-ce qu'elle m'a raconté Marie ?
Ah oui comme des langues de feu sur chacun.
Je ne peux pas écrire cela, c'est incompréhensible, Théophile mon lecteur ne comprendrait pas.
Et pourtant je ne peux pas faire comme si tout n'avait pas existé; c'est de là que tout est partit et sûrement que sans cet événement irracontable, personne n'aurait trouvé le courage de prêcher la Parole du Christ sans cet événement moi-même le médecin païen, je n'aurai pas pu découvrir combien il est merveilleux de se savoir aimé par le Créateur, combien Dieu est attentif aux petits et aux humbles.
Voyons et si j'expédiais le récit de la Pentecôte en deux phrases du genre :
Ils étaient ensemble quand ils firent l'expérience d'une rencontre intime avec Dieu qui les bouleversa et les remplis de courage.
Non ça va pas ! Trop sec, trop intellectuel Tant pis, je vais mettre cette histoire de grand vent et de langues de feu. Comprends ce que tu pourras mon cher Théophile, l'essentiel n'est pas là, l'essentiel c'est que tu saisisses que Dieu se donne non seulement à comprendre, mais aussi à vivre, et pas seulement à une élite, mais à tous les humains.
Corinthes, l'été 130 se termine, le jour décline, les chrétiens se dispersent, et entre chien et loup, Pricile et Aquilas échangent leurs préoccupations quant à l'avenir de leur communauté.
P : Hé ! Aquilas ça ne peut pas continuer ainsi !
Regarde : notre communauté court à sa perte !
Et je m'inquiète : les Romains nous tolèrent de moins en moins et les autorités de Corinthe profèrent des menaces à peine voilées contre nous. Moi, je te le dis : il y aura bientôt des persécutions contre nous, comme il y en a contre les Juifs.
Nous devons nous organiser et savoir un peu mieux qui nous sommes. Nous devons durer !
D'accord l'Esprit souffle où il veut, mais nous, nous devons savoir qui est chrétien et qui ne l'est pas.
A : Qu'est ce qui te prend Priscille ? tu regrettes déjà les effets de la liberté merveilleuse dans laquelle nous pouvons vivre notre nouvelle foi ? Tu parles comme si tu voulais restaurer des barrières que nous avons connues dans le passé comme si tu voulais diviser le monde entre pur et impur.
Laisse parler ton cœur, nous sommes une communauté en pleine expansion, des gens de tous horizons viennent nous rejoindre nous sommes une communauté vivante et toi ce que tu envisages va tout figer !
P : Parlons-en de la vie. Il y a une telle pagaille dans nos cultes, des cris, des pleurs, des prophéties... Moi je n'en peux plus de ce remue-ménage et de tous ces clans qui rivalisent en prouesses.
Je ne sens aucune unité, aucun esprit de corps : à la première crise sérieuse, notre communauté éclate. Comme responsables, nous devons agir ! Souviens-toi, Paul nous a avertis dans ses lettres...
A : Mais enfin n'es-tu pas heureuse de voir que chacun et chacun peut exprimer sa foi avec tout son être, en pleine liberté.
Tous peuvent apporter et reprendre ce que l'Esprit leur donne et toi tu voudrais uniformiser tout cela !
P : Mais, ce n'est pas si idéal : Ouvre les yeux : le partage, ce n'est pas que spirituel; il ne suffit pas de parler en langues et d'avoir des visions.
Parmi nous, il y a des pauvres, des très, très pauvres et des riches vraiment riches. Si nous voulons être fidèles au Christ, nous devrions mettre nos biens en commun et les redistribuer à tout le monde, comme les premiers disciples de Jésus. C'est un scandale, ces disparités entre nous.
Nous devons devenir une communauté solidaire.
A : Mais enfin la solidarité ne se décrète pas, ce ne sont pas des règlements qui vont l'établir, cela ne peut être que le résultat de l'activité de l'Esprit.
P : Je ne parle pas de règlement, Aquilas. Je ne veux pas éteindre l'Esprit; au contraire, nous devons avoir une parole prophétique, une parole forte qui rassemble notre communauté autour d'un projet, qui lui donne une direction commune...
A : Enfin à quoi bon perdre du temps à établir un projet, à mettre en place des structures ? Qui sait si ce n'est pas demain que le Seigneur reviendra ?
P : Ok, Aquilas, laissons vivre et advienne que pourra mais tu es un doux rêveur... !
A : Bon d'accord, Priscile essayons d'organiser un peu notre vie communautaire, mais tu es un peu trop terre à terre.
Temple de la Servette, ce dimanche 26 mai 96,
Didier et Laurence ont encore à nous dire :
Ils sont là rassemblés dans une pièce d'une maison de Jérusalem, passifs et assis Leur maître n'est plus de ce monde et eux attendent passivement, apparemment complètement inconscient du trésor que constitue l'Evangile et dont ils sont les dépositaires.
Puis quelque chose se passe. Oui il me faut parler de quelque chose, c'est à dire utiliser des termes imprécis et vagues. Car l'expérience qui va les marquer est de l'ordre de l'indicible. Oui, il y a là quelque chose d'indicible et de mystérieux comme un regard d'amour échangé, comme le bonheur parfait d'un rencontre réussie.
Oui nos mots sont pauvres pour décrire une telle rencontre et il n'y a pas lieu de le regretter. C'est même tant mieux. Et ceci pour deux raisons :
Tout d'abord pour clouer le bec à toutes celles et à tous ceux qui n'arrêtent pas de confondre les Ecritures avec le code des obligations. Une expérience comme celle de la Pentecôte est unique car les personnages en présence (les disciples) sont uniques. Même si ce qu'ils ou elles avaient vécus pouvait être décrit parfaitement objectivement, cela ne serviraient à rien car cette expérience ne peut servir de modèle à suivre, à moins que nous acceptions d'abdiquer notre personnalité pour nous couler dans celle d'un disciple. Impossible.
Bien sûr, il nous est possible de vivre aujourd'hui encore une rencontre intime avec Dieu. Mais contrairement à ce que peuvent prétendre certains, nul n'est besoin de langues de feu ou de vent violent ou d'autres signes encore pour attester l'authenticité de l'instant. Ce qui atteste de l'authenticité de la rencontre, c'est ce qui en découle comme conséquence. On reconnaît l'arbre à ses fruits.
Et nous voilà à la deuxième raison pour laquelle il peut être bon que nos mots soient pauvres.
En effet le texte de Luc ne veut pas nous enfermer dans une expérience mystique au risque de nous faire oublier que l'instant n'est rien sans la direction l'élan. Que l'expérience n'est rien sans l'envoi en mission. Que la Pentecôte n'est rien sans le départ des disciples pour les extrémités de la terre.
Maintenant que la rencontre avec Dieu pouvait se passer de Temple :
— la Pentecôte se situe dans une simple maison et non au sein de l'institution qui prétendait avoir le monopole de la présence de Dieu;
—il n'est pas question d'enfermer la présence de Dieu dans une autre type de manifestation physique fussent-elles des langues de feu. Il n'est pas question d'enfermer Dieu car s'il s'est ainsi manifesté ce n'est pas pour la magie de l'instant, mais pour l'impulsion sur la durée.
Que nous sommes devenus frileux !
Nous voulons bien que l'Esprit souffle mais de préférence chez le voisin...
Nous admettons que l'Esprit ouvre des brèches et soit l'aiguillon de Dieu, tenant en haleine un monde pétri d'injustices, mais c'est surtout au loin qu'il devrait agir. Chez nous tout va bien, merci !
Nous avons lu que l'Esprit de Dieu est subversif, qu'il vient renverser nos valeurs, nos préjugés, nos habitudes...
Bien sûr, mais enfin restons sérieux et logiques, qu'il subvertisse ailleurs, là où les gens en ont vraiment besoin, nous, on s'arrange entre nous ! Et il faut bien reconnaître que les murs de nos Temples et de nos institutions nous protègent efficacement d'un vent trop dérangeant, il y a bien quelques fuites et quelques failles qui laissent passer un filet d'air et c'est déjà bien assez.
Mais à bien y regarder de plus près, nous avons tant besoin de ce souffle... nous étouffons... nous avons tant besoin de ce sourire de Dieu audacieux, ferme et affectueux qui nous pousse en avant, vers autre chose, autre chose que le train-train quotidien et la répétition du même, si usante.
De brèches et de la subversion, nous en avons besoin, un besoin vital et urgent pour chasser l'ennui et la monotonie. Pour sortir de la fascination imposée par notre poste T.V., par des slogans réducteurs et par les diktats de la publicité. Pour sortir de cette image plate et uniforme du monde et de la catastrophite aiguë qui nous immobilise sur notre fauteuil à l'écoute des nouvelles. Pour inventer autre chose que des plaisirs immédiats et si vite consommés qu'ils nous dégoûtent.
Nous avons besoin de cet Esprit venu d'ailleurs, pour nous sentir vivre ici et maintenant et pour retrouver le goût et l'envie de vivre.
Nous avons besoin de ce souffle léger, indicible et insistant qui vient danser en nous, pour nous redresser au-dessus de la boue et de l'argile et pour ériger notre humanité.
Nous avons besoin de ce Dieu nomade, balayant notre terre de son haleine de vie, pour nous enraciner dans notre histoire, pour construire un monde viable et plus humain.
Nous avons besoin de souffle... du souffle de Dieu...