A deux mois de la Saint-Martin, presque jour pour jour, il n'est pas besoin de nous faire un dessin pour que les Ajoulots, que nous sommes, ne se sentent de suite en situation lorsqu'il est question de festin et d'invités. Qu'il suffise de rappeler aux auditeurs d'Espace 2 que la St-Martin, n'est ici qu'un modeste repas… composé de 12 plats autour du cochon ! pour que vous compreniez combien nous sommes très intéressés ici par un Jésus «attablé».
Eh oui, Jésus est à table, invité par l'un des chefs des pharisiens qui pensait sans doute avoir eu ainsi une très bonne idée. Ce Jésus est un beau parleur, un homme qui séduit les foules, voilà un invité qui va mettre de l'ambiance, un de ceux qui doivent faire la réussite d'une pareille réception. C'est un jour de sabbat, tous les invités, sans doute tous pharisiens, peuvent être là. Notre homme ne s'est pas trompé, pour mettre de l'ambiance, Jésus va en mettre !
C'est l'invité, mais c'est lui qui va faire le service : en hors d'œuvre, une guérison, en ce jour de sabbat, quelle horreur ! En premier plat, une remarque aux autres invités qu'il voyait choisir les premières places : «Quiconque s'élève sera abaissé et celui qui s'abaisse sera élevé»; en plat de résistance, une remarque parfaitement sympathique à celui qui l'avait invité : «Quand tu donnes à dîner, ne fais pas comme tu viens de le faire, n'invite pas tes connaissances, mais plutôt les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles ! Et enfin, en guise de dessert, notre parabole, une invitation pour le repas final, réponse fulgurante à son voisin de table qui s'était écrié : «Heureux celui qui prendra son repas dans le Royaume de Dieu !». Réponse qui semble dire : «D’accord, mon ami, mais en tout cas ce ne sera pas pour toi !»
C'est comme en musique, il y a des manières de sonner faux qui sonnent juste !, telle est la présence de Jésus à ce repas.
Il nous faut pour saisir tout le sens de cette parabole, avoir comme nous venons de le faire quelque peu «goûter» à l'ambiance donnée par Jésus à ce repas.
Jésus utilise cette invitation à laquelle il a répondu, pour habilement enseigner sur le thème même de l'invitation. Il utilise la situation vécue concrètement au moment où il parle pour déboucher sur un enseignement concernant le royaume de Dieu vu sous l'aspect d'un grand repas réunissant plein d'invités. Il amplifie ainsi deux idées fondamentales de sa prédication : la première c'est qu'il nous adresse dans tout son ministère, y compris sur la croix, une invitation et non une convocation; la seconde c'est que le Royaume annoncé a la couleur…, ou l'ambiance…, ou la joie, en tout cas quelque chose de ressemblant à un festin.
Le principe de l'invitation, c'est de ne pas être une convocation. Nous ne sommes pas convoqués pour croire, nous sommes invités à croire. Cette invitation à la foi, n'a rien à voir avec des idées qu'on voudrait nous contraindre à avoir. Il est bon de le rappeler à une époque où l'on pense que nous sommes parfaitement libres d'avoir et d'exprimer nos idées sans être inquiétés, alors que les «idéologies dominantes» sont loin d'être mortes et que la censure existe bel et bien et par de nombreuses manières. Mais l'essentiel c'est qu'elles vous fassent croire que vous êtes libres de vous exprimer.
L'invitation que le Christ m'adresse, elle, me convie à la liberté parce qu'elle commence par m'inviter à me découvrir moi-même : si vous voulez à vous inviter chez vous-même..., et ce n'est pas évident du tout ! Assieds-toi d'abord face à toi même…, car tu peux tromper les hommes, mais tu ne peux tromper Dieu. S'examiner, comprendre que l'illusion ne mène jamais à la liberté, mais que toute liberté commence par la Vérité. Et ce qui prouve que cette invitation à la foi est vraiment libre, c'est que le Christ, justement, ne tait pas les véritables conséquences de notre liberté.
Si l'on est vraiment libre, cela veut dire que lorsque cette liberté nous a permis de nous libérer ou d'en libérer d'autres, nous en recevons les bienfaits d'accord; mais à l'inverse, lorsqu'elle nous a servi à asservir ou à nous asservir d'un quelconque esclavage, nous en assumions aussi les conséquences.
Les chefs des pharisiens sont ces invités qui s'excusent librement de ne pas répondre à l'invitation, qui pour un champ, qui pour cinq paires de bœufs, qui pour son mariage, eh bien… (verset 24) «Je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon repas.» Ce n'est pas là une punition, c'est la juste conséquence de leur libre choix. Nous, on veut bien généralement être libres pour les bienfaits de la liberté, mais assumer les conséquences de nombre de nos libres choix, c'est beaucoup moins sûr ! On ira même jusqu'à se reconnaître esclaves…«Ce n'est vraiment pas ma faute, j'ai tant d'excuses !» Si l'on ne vit que la face réjouissante de la liberté, on n’est pas libre, on est irresponsable.
On reproche souvent à l'évangile cette tendance à nous culpabiliser, c'est-à-dire à nous placer face aux responsabilités de notre liberté. Tout plein de bons apôtres viennent nous dire : «Il faut nous débarrasser de cette vieille prédication chrétienne de la faute, de la culpabilité, vous êtes presque naturellement bons, ne voyez que le bon en vous, positivez et alors, Madame va faire son petit yoga personnel, Monsieur ses cours de «Tout pour réussir» (quitte à écraser le collègue) et les enfants, ces petits anges, laissent vivre leur créativité en démolissant le jouet du copain d'à-côté…, il est si génial et a tellement d'idées !
Moi, je crois aux vertus de la culpabilité, de sentir combien ce que je fais et dis peut me rendre responsable vis-à-vis de l'autre. Mais je n'y crois que parce que je sais que c'est un chemin qui me conduit sans cesse vers le pardon et la grâce et donc pas vers une grâce sans conséquence dans ma vie, mais une grâce qui m'engagera à réparer mes erreurs et non à les gommer artificiellement.
L'invitation de cette parabole ne peut devenir un : «Venez quoi que vous fassiez, quoi que vous disiez, quoi que vous détruisiez, vous prendrez le repas avec moi dans le royaume», mais bien «Préparez-vous» à recevoir une invitation particulière au Royaume.
Oui, ce royaume festin, à laquelle de nos tables ressemblera-t-il ? C'est en tout cas une table qui sait partager son pain avec les estropiés, les boiteux, les pauvres et les aveugles.
On sait bien aussi que c'est toujours autour d'une table que l'on a dit les choses les plus importantes de notre vie;
On sait bien que partager la même table, c'est aussi se réjouir de déguster ensemble ce qui a été préparé par le maître de maison…
On sait bien qu'en nourrissant ainsi notre corps des mêmes mets, on se nourrit les uns les autres dans la rencontre. C'est sans doute aussi à tout ça que ressemble le royaume de Dieu, et puisque Jésus s'est permis d'utiliser nos repas pour y comparer son Royaume, qu'il nous permette d'utiliser Sa parole pour y adapter nos repas.
Essayons de les vivre comme les prémices de ce repas du Royaume : n'invitons pas que nos amis à nos repas, répondons joyeusement aux invitations qui nous sont faites (c'est déjà plus facile), ne prenons pas les premières places et faisons de nos repas cette extraordinaire convivialité de l'échange que le Christ prend en exemple pour nous parler du Royaume.
Amen.