"Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font." (Luc 23,34)

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Frères et soeurs,
Ils sont tous là, sur la colline ! Tous ceux qui ont contribué à la mort de Jésus. Les soldats du peloton d'exécution, les agents de la puissance romaine, les dignitaires religieux, la foule qui a crié : " Crucifie ! " C'est pour eux tous que Jésus prie. Première parole de la Croix. Et que nous avons tant de peine à prendre comme elle est. Mon frère, ma soeur, il n'y a pas de faute si grave, pas de reproche si profond que Dieu ne désire pardonner. Vous êtes, nous sommes pardonnés !
Tous, sur la colline. Alors également les braves gens. Les disciples, dont on va voir qu'ils vont s'enfuir. Simon de Cyrène qui a, sans le vouloir, hâté la mort de Jésus. Les femmes de Jérusalem avec leur émotion mal placée... Pour tous ceux-là aussi, Jésus prie ! Frères et soeurs, honnêtement, y a-t-il parmi nous quelqu'un qui pourrait aujourd'hui se porter garant des raisons profondes de ses propres actions, qui pourrait être sûr de leurs effets ? Nous tous aussi, et probablement nous surtout, gens d'Eglise, braves gens peut-être, combien nous avons besoin du pardon !

Tout au long de sa vie, le pardon fut le premier souci de Jésus. Chacune de ses rencontres, inlassablement, le signifiait: qui que tu sois, quels que soient tes propres sentiments envers toi-même, Dieu s'est fait proche, il t'accepte, il t'accueille, il t'aime sans condition. A partir de là, tout t'est donné, tu seras guéri, réconcilié, tu as ta place dans la société, et déjà la joie du Royaume est pour toi.
Le pardon de Dieu, fondement originel de notre humanité, besoin et promesse première ! Et Jésus, qui ne faisait jamais rien à moitié, s'est engagé lui-même dans ce pardon. Et il a donné ce pouvoir fou à ses disciples. Alors, frères et soeurs, comment nous étonner que les gardiens de l'ordre établi, les procureurs scrupuleux du Dieu de la Loi n'aient pas pu le supporter ? Et voici Jésus sur la croix.
Et voici le pardon. Mais alors, la Croix est-elle une excuse pour la méchanceté, la haine et la mort ? Abolit-elle la loi ? Tous les chats sont gris ? Un tortionnaire n'est plus un tortionnaire ? Et moi, je n'aurai plus besoin, jour après jour, de m'examiner à l'aune du commandement d'amour ? Or nous le savons bien, il n'en est rien; et c'est même exactement l'inverse.
La Croix, et le pardon dont nous sommes l'objet, sont à jamais le moyen que Dieu a choisi pour nous rendre meilleurs. Pour nous rendre responsables et nous donner la force de l'impossible amour. La Croix, la source. Nous le savons. Reste à le vivre ! Affaire de foi. Affaire de prière.

Et aujourd'hui j'aimerais ajouter : c'est ainsi, et ainsi seulement, je crois, que nous pourrons lutter contre la spirale de la violence qui revient d'une façon si inquiétante autour de nous. La Croix, la force de la Croix.
Et c'est ainsi aussi, j'en ai la conviction, qu'il nous est promis de tenir ferme nous-mêmes, s'il devait nous arriver de nous trouver dans une situation extrême, comme Terry Waite en a fait l'expérience et comme il nous le dira tout à l'heure.
Mais pour l'heure, gardons les derniers mots du Christ, si étonnants : " Car ils ne savent pas ce qu'ils font. " A l'évidence, ces mots ne sont pas une indulgence. Jésus ne nous offre pas une indulgence, il nous offre tout autre chose, infiniment plus. Il nous offre le cadeau de son non-savoir.
Vous avez remarqué qu'il ne dit pas : " Pardonne-leur le mal... " Il dit seulement: " Pardonne-leur ": pardonne-leur ce que toi seul, Père, sais qu'ils font. Sur la croix, Jésus s'en remet au jugement du Père. Ce non-savoir du Christ, voilà la guérison de notre orgueilleuse autonomie, de notre prétention toujours renaissante à juger par nous-mêmes du Bien et du Mal.
Nous l'admirons dans les religions orientales. Jésus nous l'offre ici avec tout le poids de sa vie donnée. Et il nous l'offre avec ce cadeau supplémentaire : la communion du Dieu vivant ! Amen !


Témoignage de Terry Waite (otage détenu au Liban pendant 1763 jours de 1987-1991)

Il y a 16 ans j'étais debout à ce même endroit pour vous parler. Je suis honoré par votre invitation à me revoir. Depuis plusieurs événements se sont passés. Beaucoup de personnes sont parties de cette cathédrale même pour une mission de guérison et de réconciliation à travers le monde. J'ai moi-même vécu toutes sortes d'expériences. Vous avez sans doute appris mon expérience de captivité au Moyen-Orient. J'ai été pris en otage alors que je négociais la libération de personnes innocentes. J'étais tenu à l'isolement le plus strict pendant presque 4 ans et pour la fin de ma captivité - environ une année - j'étais en compagnie d'autres otages.
Etre isolé pendant une si longue période peut être une expérience pénible : vous pouvez voir votre peau blanchir anormalement par manque de lumière naturelle, votre musculature fondre par manque d'exercice physique, cette détérioration physique prématurée vous fait peur. La première chose que j'ai dû faire, c'est de dépasser ma colère. J'étais en colère parce que la confiance était rompue, et la colère est une émotion humaine normale. Nous l'expérimentons tous, mais elle peut faire des dégâts. Je me souviens m'être dit : Il ne te faudra avoir aucun regret, il ne te faudra pas regretter ce que tu as fait parce que tu as cru que c'était pour la bonne cause. En deuxième lieu, je me suis dit qu'il ne fallait pas que je m'apitoie sur moi-même. Il ne fallait pas cultiver ce sentiment de tristesse à mon égard ; il y a dans le monde des gens qui sont dans des situations bien pires.
En face de mes ravisseurs, j'ai tenu le raisonnement suivant : vous avez la puissance de casser mon corps et vous avez essayé, vous avez le pouvoir de courber ma pensée et vous avez essayé, mais mon âme et mon esprit ne vous appartiennent pas. Cela revient à Dieu, et à Dieu seul.
Dans mon isolement forcé, j'ai fait un voyage intérieur. J'ai découvert beaucoup de choses me concernant, certaines agréables, d'autres moins. J'ai découvert que comme être humain j'étais un mélange de lumière et de ténèbres. Et cela est la clé pour comprendre le pardon. D'abord, se connaître soi-même et n'avoir aucune illusion à son propre sujet. Il faut reconnaître ses propres forces et ses propres faiblesses. En deuxième lieu, il faut être réceptif à la lumière qui vient de Dieu lui-même pour que la colère puisse se dissiper. Il faut apprendre à demander pardon pour les choses que l'on sait imparfaites dans sa propre vie. Et quand on a appris à mettre cela en pratique, à ce moment-là on peut apprendre à pardonner aux autres. Vous vous souvenez de ce qu'il est dit dans la prière dominicale : " Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. " Si nous pouvons mettre en pratique cet enseignement d'une profondeur inégalable, alors la colère ne se transformera pas en amertume et nous pourrons alors expérimenter le pardon dans notre vie.
Des gens sont partis de cette église pour une mission de guérison et de réconciliation du monde. Qu'ils continuent à le faire ! J'aurais aimé pouvoir faire partie de ce groupe de personnes pour qu'ensemble, sachant que nous avons besoin du pardon de Dieu, nous puissions partager ce pardon et cette grâce aux autres. Nous essaierons de le faire dans un esprit d'humilité et au nom de notre Seigneur Jésus-Christ.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique
Choeur de la Cathédrale & Choeur Wohlen
Témoignage de Terry Waite, écrivain, ancien otage au Liban