S'il y a deux personnages auxquels nous n'aurions pas eu l'idée, à première vue, de nous arrêter à Vendredi-Saint, ce sont bien Joseph d'Arimathée et Nicodème ! Personne ne parle d'eux. Personne ne pense à eux en évoquant la crucifixion. Ils n'apparaissent pas au premier plan des chefs-d'œuvre que les peintres de tous les temps nous ont laissés.
Et c'est vrai qu'à côté de Marie ou de Marie-Madeleine, agenouillées et désespérées au pied de la croix, qu'à côté des soldats romains tirant au sort la fameuse robe sans couture, qu'à côté des disciples effrayés ou anéantis, qu'à côté des pharisiens glorieux d'être arrivés à leurs fins, c'est vrai qu'à côté de tout ce mélange humain rassemblé sur la colline de Jérusalem, ces deux-là passent plutôt inaperçus. Joseph d'Arimathée et Nicodème - mais que voulez-vous qu'on dise à leur sujet ?
Oh ! Il y a bien quelque chose à dire, une petite note à glisser sur leur carte d'identité. Et l'Evangile ne manque pas de le faire. Mais quelle note ! Elle est féroce la note, et pour chacun des deux. " Joseph d'Arimathée, qui était disciple de Jésus, mais en secret, par peur des Juifs. " - voilà pour l'un. " Nicodème, celui qui précédemment était venu, de nuit, trouver Jésus. " - voilà pour l'autre. Ce n'est décidément pas bien glorieux. Moralement, ils sont frères, ces deux. Rien en eux de la fougue d'un Pierre qui a abandonné famille, métier, village sur un coup de foi pour suivre Jésus ! Rien en eux du tempérament d'André qui, dès sa première rencontre avec Jésus ne peut plus aborder une seule de ses connaissances sans lui dire : " Viens aussi, j'ai trouvé ! " Plus : ils ne sont même pas comparables aux plus faibles, aux plus insignifiants des disciples : ceux-ci ont au moins osé s'afficher avec Jésus. Ils se sont lancés dans l'aventure ; ils ont marché. Joseph et Nicodème sont décidément d'une race : la race de ceux qui ne se compromettent pas. Pas des adversaires, non ! Dans leur for intérieur, ils étaient même plutôt favorables. Simplement, chez eux, cela restait quelque chose de caché, de prudent. " Disciple en secret ", tel est Joseph. " Venu trouver Jésus pendant la nuit ", tel est Nicodème; les voilà étiquetés par deux brèves phrases bibliques.
Et voilà que le premier rayon de lumière qui descend de la croix au soir de Vendredi-Saint les éclaire, eux ! Précisément eux ! Voilà que ce sont ces deux-là, précisément ces deux-là, qui vont avoir le courage d'aller trouver Pilate, de lui demander la permission de prendre le corps de Jésus, qui vont avoir le courage au vu et au su de chacun d'accomplir la triste besogne, d'aller déposer le corps dans une grotte d'un jardin tout proche. Les peureux qui sont devenus audacieux ! Les cachés qui se montrent ! Les timides qui osent ! Combien de fois avons-nous lu le récit de Vendredi-Saint sans même remarquer ce contraste extraordinaire que l'Evangile, en quelques mots, souligne !
La croix, ce n'est pas la fin d'une histoire - c'est le début d'une histoire. Et cette nouvelle histoire commence au soir de ce même jour : c'est l'histoire des changements possibles. Joseph et Nicodème en sont les premiers témoins. Ils sont probablement encore loin de s'en douter eux-mêmes, au moment où ils mettent leur plan à exécution - et c'est vrai aussi que l'Evangile est extraordinairement sobre en nous racontant cela. C'est presque dans un style journalistique, dépouillé, sans commentaire, que cela nous est présenté. En attendant, il ne sera plus possible de lire ces quelques phrases sans y discerner une annonce : à cause de la croix, tous les changements deviennent possibles ! Vous vous rappelez que c'était justement à Nicolème que Jésus avait fait une théorie bizarre sur la nouvelle naissance : " il faut que vous naissiez de nouveau " et Nicodème n'avait pas bien compris : " un homme peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois ? " L'explication, lumineuse, vient à l'autre extrémité de l'Evangile : Nicodème est né de nouveau. L'homme qui s'est levé vendredi matin n'est plus le même lorsqu'il se couche vendredi soir. Au milieu du jour, il y a eu la croix. Et la croix n'est pas un monument devant lequel on rêve - c'est un monument devant lequel on change.
La peur peut faire place au courage, le doute peut faire place à la certitude, la désolation peut faire place à l'espérance. C'est bien cela : un monument devant lequel on change !
Amen !