" Et moi, dit Jésus à ses disciples, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps. "
Mes amis, cette promesse de Jésus que l'on rappelle volontiers à l'occasion d'un baptême, aube d'une vie nouvelle, quand tous les espoirs sont encore permis; cette promesse je la lis aujourd'hui avec en arrière-fond les deuils qui vous ont frappés cette année; et par deuils j'entends autant des décès que des deuils que vous avez peut-être dû faire au niveau de votre santé, de votre avenir professionnel, de vos amitiés, de vos amours. Cette promesse, je la lis aussi en pensant aux morts atroces dont les médias se sont fait l'écho ces derniers jours et alors avec vous, j'ai envie d'objecter : " Menteur ! C'est pas vrai ! "
Tu n'étais pas là dans le feu de Kaprun; tu n'étais pas là, dans le bus scolaire à Gaza; tu n'étais pas là dans les maladies de Mélanie, d'André et de Pierre; tu n'étais pas là quand la mort prématurément a fauché tant d'hommes, de femmes et d'enfants. Si tu avais été là, ça ne se serait pas passé ainsi. Non, tu n'étais pas là, d'ailleurs tu ne peux pas être toujours là, partout, en même temps.
A travers ces cris de révolte et de douleur, mes amis, retentit l'écho d'une envie folle, d'une envie largement répandue, tellement forte, que la présence de Dieu, de Jésus, dans nos vies rime avec bonheur absolu, rire continu, absence de souffrance, même si profondément on sait que ça ne marche pas comme ça, que ça n'est pas possible. Même si essentiellement on sait qu'au coeur du christianisme il y a une incarnation et non un refus de la réalité.
Alors, pour vos jours sans révolte - il y en a peut-être déjà eu, il y en aura assurément ! - pour ces jours-là où votre raison n'est pas captive de vos émotions, je vous transmets ce témoignage qu'un jour quelqu'un a découvert à Varsovie. C'était sous les décombres d'une maison, dans le quartier qu'on a appelé le ghetto de Varsovie : ce témoignage, il était caché dans une bouteille. C'est le texte d'un homme qui s'adresse à Dieu avec une rude franchise, il est bouleversant. Il est signé Yossel Rackover, 43 ans : " Tu as tout fait Seigneur pour que je ne croie plus en toi, pour que j'en vienne à douter de toi, mais je meurs exactement comme j'ai vécu : dans une foi inébranlable en toi. "
Quelle espérance, mes amis ! Quelle foi ! Un homme affirmant à Dieu que rien, pas même les pires atrocités qu'on peut supposer, rien ne peut entacher sa confiance en Dieu, sa foi, son espérance. Et ne voyez pas dans ces paroles un refus de la réalité ni la condamnation de vos doutes, de vos questions, de vos cris. Car pour Yossel Rackover comme pour nous tous, la vie n'a pas été un long fleuve tranquille. Il a connu aussi les chemins sinueux, les cols à passer et les tunnels parfois très longs et très sombres à traverser.
Mais je crois que la force de Yossel Rackover c'est d'avoir reçu chaque jour comme réelles les promesses faites par Dieu à son peuple, promesses de bénédiction, promesse d'avenir. Sa force ça a été d'y croire sans se dire que si Dieu existait vraiment, que s'il était là, alors la vie prendrait un cours différent. Sa force fut de voir Dieu à l'œuvre dans ce qu'il vivait et non dans ce qu'il aurait voulu vivre.
Notre force aujourd'hui c'est de croire que ces promesses nous pouvons en vivre nous aussi. Notre force, c'est de croire que leur réalisation ne dépend pas de l'humeur de Dieu selon qu'il se lève du pied droit ou du pied gauche. Notre force, c'est de croire envers et contre tout que la promesse dont Jésus s'est fait le relais " Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps " n'est pas une chimère.
Et c'est là que j'en viens aux quelques versets empruntés à Paul dans son épître aux Romains. " Nous avons été sauvés, mais c'est encore en espérance. Si l'on voit ce que l'on espère, ce n'est plus de l'espérance; qui donc espérerait encore ce qu'il voit ? "
Cela veut dire que pour Paul il y a dans toute vie une origine et un but qui ne font pas de doute. L'origine, c'est le salut. Je suis sauvé, nous sommes sauvés ; c'est de là que nous venons, enfants de Dieu, et ça ne se discute pas : nous sommes sauvés. Là où nous allons, c'est le Royaume, lieu où s'accompliront pleinement les promesses de Dieu et où nous en serons pleinement participants.
Entre ces deux réalités, dans ce monde, nous soupirons selon l'expression du théologien Karl Barth. Nous sommes en attente, nous sommes des soupirants au même titre que des amoureux, des espérants en la pleine réalisation des promesses divines.
Car pour Barth si on se bornait à espérer ce que l'on voit, alors on ne persévérerait pas. On s'accommoderait, bon gré mal gré, de ce qui est. Mais que l'on ne puisse pas se satisfaire de la réalité, c'est pour Barth le signe qu'il y a en nous, peut-être latente certainement invisible, une espérance en Dieu, en Christ, en l'Esprit. Et qu'en nous faisant face existentiellement, cette espérance nous stimule, nous fait persévérer, en faisant de nous des soupirants.
C'est donc bien parce que nous pouvons attendre autre chose de Dieu, parce que contre toute espérance c'est en lui que nous espérons qu'on peut l'interpeller, restant conscients que si dans notre réalité nous demandons à passer à côté de la croix, à côté des souffrances du temps, dans l'autre réalité nous risquons de passer à côté de la résurrection, à côté de Dieu.
La vie avec Dieu n'est pas une vie en rose pastel; elle n'est pas dépourvue de coups tordus, d'angoisses, de douleurs, d'incompréhensions. Mais c'est une vie en couleurs parce qu'elle est placée sous le signe de la promesse, de la bénédiction et de l'espérance. Ce moment où le Seigneur lui-même sera notre lumière de toujours - selon Esaïe - nous le vivrons, avec nos ancêtres, avec nos descendants. Cette affirmation selon laquelle rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, nous la vivons, dans notre communauté, dans notre famille, avec nos amis.
Alors je vous le dis : gardez l'espérance ! vivez dans l'espérance ! Vivez d'espérance quoi qu'il en soit, quoi qu'il advienne; c'est ce à quoi nous sommes appelés et comme l'a dit le penseur grec Héraclite au 5e siècle avant notre ère : " Sans l'espérance, vous ne rencontrez jamais l'inespéré. "
Amen !